Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions asphalte

LES CHIENS DE LA PLUIE de Ricardo Romero / Asphalte

Traduction: Maïra Muchnik

 Ce nouveau roman de Ricardo Romero est trouble, du début à la fin. Nous sommes à Paraná, au bord du fleuve du même nom. Plusieurs personnages, et à chacun plusieurs fragments d’histoires que nous pouvons tenter de compléter, ou pas. Manuel est coincé dans un embouteillage, Baltasar cherche à savoir où aller, Ángel répète inlassablement les mêmes exercices sur sa batterie, les tueurs à gages Juan et Juan attendent leur victime.
Qui sont-ils ? Ils semblent ne pas se connaître mais quelques-uns se sont croisés ou apparaissent furtivement dans des endroits proches les uns des autres. Qu’ont-ils en commun ? L’attente, qui est sans doute le personnage principal du livre. Tous semblent patienter, qui pour sortir faire la fête, qui pour rentrer se coucher. D’autres pour travailler, ou tuent le temps.

 Plus on progresse, plus l’entrelac dans lequel se trouvent les personnages paraît se délier. D’êtres fantomatiques, Elisa, Vicente, León et les autres prennent chair. Certains se côtoient, ont des liens familiaux, se sont aimés, ou doivent en tuer un.

 « Pourquoi tu m’interdis d’ouvrir la fenêtre ? »

 Cela faisait près d’une heure qu’ils étaient là, à attendre l’homme qu’ils devaient tuer. La chaleur était étouffante. Dans le bâtiment d’à côté, quelqu’un jouait de la batterie.

 « Je comprends pas pourquoi tu veux pas que j’ouvre la fenêtre », a insisté l’homme qui fumait dans le noir. Il paraissait nerveux, sa voix était un chuchotement crispé.

 Au centre de la pièce, il y avait une grande table en bois vernis, et au centre de la table un vase avec un bouquet de fleurs séchées. L’homme aux yeux opaques s’est retourné sur sa chaise et a posé les pieds sur la table.

 « Parce que l’eau va entrer, a-t-il répondu.

 Il pleut tout le temps, il pleut tellement qu’on lit Les chiens de la pluie au travers d’une vitre dégoulinante de pluie.
Il pleut tant que ça étouffe tout bruit, tout son autour. C’est un roman qui appelle le silence, c’est d’autant plus étrange qu’au livre est ajoutée une playlist concoctée par l’auteur. Et comme le récit est éclaté, mieux vaut se réserver de longs moments de lecture.

 C’est un roman qui avance sans se presser, il faut composer avec lui. Que s’y passe-t-il finalement ?  Il y a bien un meurtre dans Les chiens de la pluie, presque sans qu’on s’en aperçoive d’ailleurs, mais là n’est pas le cœur du livre, même si le cadavre est bien proche de nous pendant un bon moment, sur la banquette arrière. Ces personnages ressemblent à des pèlerins dont on ne sait quel chemin ils suivent, ils sont les pièces d’un puzzle d’ombres dont les formes ne cessent de se métamorphoser au fur et à mesure des pages. Bien qu ‘évoluant dans une ambiance sombre, poisseuse, un humour affleure discrètement, la grâce d’une phrase passe et apporte un sourire, comme un rayon solaire qui arriverait à transpercer toute cette attente humide.

NicoTag

Lire Les chiens de la pluie en écoutant Nadine Khouri, c’est un bel accord.

LES RÊVES QUI NOUS RESTENT de Boris Quercia / Asphalte.

Traduction: Isabel Siklodi et Gilles Marie

“Natalio est un classe 5, les flics les plus méprisés de la City, chargés d’éliminer discrètement les dissidents. Suite à un accident, il doit se procurer un nouvel « électroquant », robot d’apparence plus ou moins humaine qui lui sert d’assistant. Fauché, il se rabat sur un vieux modèle bas de gamme qui se distingue rapidement par l’inquiétante étrangeté de ses expressions et de ses réactions. Mais Natalio n’a pas le temps de s’interroger sur ces anomalies : il a un nouveau cas à résoudre. Une intrusion a eu lieu dans une de ces usines à rêves où se réfugient tant d’habitants de la City pour échapper à leurs vies misérables. Et des résultats lui sont demandés au plus vite…”

Boris Quercia est l’auteur d’une trilogie magistrale autour d’un personnage de flic Santiago Quiñones, sévissant, dans les affres de l’alcool et de la came, à Santiago du Chili et dont le second volume, “Tant de chiens” fut récompensé du grand prix de la littérature policière en 2016. Chez les lecteurs fidèles, la disparition de Santiago, cabossé et usé, fut un choc en même temps qu’un sujet d’inquiétude. Quel serait le futur de l’auteur, visiblement lassé de raconter la délinquance chilienne?

Dès les premières lignes de “les rêves qui nous restent”, on est très vite rassurés même si Quercia change d’univers littéraire en passant à de la SF qui parfois inquiète le lecteur pur et dur de polars. Son nouveau héros, Natalio est aussi un flic, aussi triste, solitaire et désespéré que Santiago, les médocs, la came et l’alcool en moins… d’où aussi un plus grand  discernement vis à vis des événements terribles qui l’entourent.

L’éditeur souligne que Quercia nous projette dans un futur digne d’un Philip K. Dick et cela est très rassurant pour les non adeptes de la SF, les univers créés par Dick étant souvent très proches du nôtre, facilement compréhensibles, assimilables sans migraine. D’un autre côté, les termes cités par l’éditeur sont peut-être un peu ambitieux, Quercia se contentant de créer un théâtre très proche du “Blade Runner” de Ridley Scott, auquel, il a ajouté certains éléments marquants des films “Soleil vert” de Richard Fleischer et “New York 1997 de John Carpenter. Tout cet environnement très connu de tous permet à Quercia de faire l’impasse sur des descriptions et des explications qui ralentiraient le récit et autorise le lecteur à se créer un peu son propre décor, ses propres images. Déjà, dans sa première trilogie, les éléments sur la ville étaient bien souvent négligés, on est donc en terrain connu, Quercia voulant juste créer une ambiance de doute, de peur, d’angoisse très funeste autour de son héros. L’intrigue policière n’est pas réellement frappante, l’histoire se contentant essentiellement de bien suivre les pérégrinations du chemin de croix de Natalio comme autrefois avec Santiago. 

Boris Quercia est le genre d’auteur qui vous attrape dès le début d’un roman pour vous abandonner décomposé à la dernière ligne. L’écriture de Quercia, toute simple, toute ordinaire est néanmoins une arme de destruction massive de tout premier plan puisque on s’engage très rapidement aux côtés de ce flic qui lutte pour sa survie. Par rapport à ses derniers écrits, il faut aussi noter que l’affectivité est surdéveloppée dans le sens où Boris Quercia, et ce n’est pas une mince affaire, arrive à créer de l’empathie voire de la tendresse pour une machine, un robot…

Les fans de Quercia et de Santiago Quiñones bien sûr replongeront avec délice dans ses univers glauques où chacun tente de survivre et les nouveaux lecteurs comprendront très vite que la SF est juste un support pour créer un cadre noirissime dans lequel se débat un Natalio au bord de l’abîme et qu’on suit jusqu’au bout de l’ignominie.

Béton!

Clete.

CASINO AMAZONIE de Edyr Augusto / Asphalte.

Traduction: Diniz Galhos

Dans Casino Amazonie, Edyr Augusto nous attire une fois encore sur son territoire de prédilection, Bélem, capitale de l’État du Pará au Brésil, où l’extrême richesse côtoie l’indigence la plus totale.

Il y a d’abord Gio, l’adolescent pauvre mais pétri d’ambition et d’audace, qui rêve d’ascenseur social, de fric, de reconnaissance. Tout, pour échapper à un destin de misère. « Cet emploi, c’était sa destinée, la perspective d’une vie de rêve dans un environnement idéal, les meilleurs mets et les meilleures boissons, à volonté, des femmes sublimes, superbement vêtues, qui ne cachaient rien de leur attirance pour lui, surtout les nuits où la chance leur faisait défaut. »

Le jeune Gio gagne un jour la confiance du richissime docteur Marollo, ophtalmologue qui gère de nombreux hôpitaux en ville, mais aussi le Royal, un casino clandestin dans un pays où les jeux de hasard sont illégaux. Marollo prend Gio sous son aile et à son service.

« Tous les jours, il naît un million d’abrutis pour un petit malin. Et quand tout ce beau monde se rencontre, on peut faire des affaires, tu me suis ? […] Tu sais, ce jeu ne repose que sur le talent des joueurs. En principe, c’est neuf personnes autour d’une table, deux cartes par joueur, cinq cartes sur la table, les mises de chacun, et c’est la meilleure main qui gagne. Mais il y a le bluff. »

À ce duo s’ajoute bientôt la sublime Paula, jeune fille ambitieuse, vénéneuse, et surtout joueuse de poker redoutable.

Les ingrédients sont réunis pour que ce triangle implose – sexe, pouvoir, triche et jalousie, tous les coups sont permis.

Autour d’eux évolue une faune hétéroclite de truands, de flics honnêtes ou véreux, de politiciens, chacun en quête d’adrénaline. (Sans oublier ce personnage terrifiant de médecin mû par ses pulsions meurtrières.) 

Dans ce grand jeu de convoitises, d’égos et d’ambitions où le hasard fait souvent mal les choses, les coups de bluff ne sont pas forcément là où on les attend.

Le Bélem de Casino Amazonie, terrain de chasse de la pègre qui règne en toute impunité, est rongé par la corruption, la pauvreté, les combines, la violence. Dans cette jungle de béton où tous s’entredévorent, les prédateurs d’un jour sont les proies du lendemain, ils prennent parfois des apparences trompeuses, rôdent, se camouflent. Chacun s’y vend, corps et âme, souvent à bas prix. L’argent domine le paysage en divinité absolue, l’argent sale et l’argent facile. Les personnages y meurent en quelques phrases assassines, en une brève volée de mots qui claquent comme des détonations. C’est percutant, impitoyable, sans concessions, impressionnant de rythme et de justesse. 

« Tire, putain. Fais pas ça, par pitié, j’ai une femme et des enfants ! Tire, gamin ! Tu vas perdre tes couilles, c’est ça ? Je t’en supplie, fais pas ça ! Trois coups de feu qui cinglent, et Gio qui vomit. Des bouts de cervelle éparpillés sur son visage et son t-shirt. Putain de sa mère. T’es un homme maintenant, un vrai. On le jette au fond d’un trou, après quoi tu te nettoies et on se casse d’ici. »

L’écriture magnétique et si singulière d’Edyr Augusto explose à chaque page comme les rafales saccadées d’une arme automatique qui viennent brièvement illuminer la pénombre des bas-fonds. (Je salue au passage le travail impeccable de Diniz Galhos à la traduction.)

Lire Augusto, c’est écouter un pote raconter une histoire : on se laisse porter par cette voix qui entremêle les dialogues à la narration sans ponctuation, dans un flot ininterrompu de discours rapporté. Par sa forme, par son rythme, sa prose nous implique totalement – impossible de rester passif dans cette lecture qui nous maintient en permanence aux aguets, sur le qui-vive. C’est puissant, terriblement fascinant, et très humain aussi.

Une belle réussite pour ce cinquième roman d’une maîtrise impressionnante.

Julia.

CE QUE LA MORT NOUS LAISSE de Jordi Ledesma / Asphalte.

Lo que nos queda de la muerte.

Traduction : Margot Nguyen Béraud

“Dans ces stations balnéaires de la Costa Dorada, sur le littoral de la Méditerranée, tous les habitants se connaissent. Le flux incessant des touristes a beau rythmer les saisons, ce sont toujours les mêmes jalousies, les mêmes rivalités, les mêmes clans. Lucía, qui a grandi ici, est belle, trop belle : elle attire tous les regards et déchaîne les commérages. Qu’il serait facile de lui imaginer une liaison avec le séduisant Ignacio Robles, fils à papa propriétaire d’une agence immobilière… Mais qui prendrait le risque de déclencher l’ire de son mari, le Crocodile, commandant local de la Guardia Civil ? Celui-ci est d’ailleurs sur une affaire délicate : un des jeunes de la ville a été retrouvé mort sur une plage, et il craint que ce cas révèle les petits trafics qu’il couvre en échange d’un pourcentage… Tous les ingrédients du drame à venir sont réunis.” 

Et drame il y aura: nous sommes dans un bien bon roman noir, sans effets de théâtre, tout est dans l’ambiance grise malgré le soleil estival, dans une noirceur se développant dans une société où tous semblent bien mal en point, malgré les apparences, les convenances. 

Lancé par un magistral premier chapitre plantant élégamment le décor, les personnages, et c’est ce qui différencie d’emblée le roman de pas mal de séries B voulant faire genre, le roman emprunte des chemins de traverse, papillonnant sur des personnages, des vies, des lieux, des hiérarchies locales visibles et invisibles. Dans une chronique sociale où pointe souvent le mépris, l’auteur montre les conséquences à l’aube des années 90 de la politique touristique outrancière de l’Espagne de la fin du XXème siècle sur cet ancien petit port de pêche devenu station balnéaire tout en progressant méticuleusement, méthodiquement vers la catastrophe.

Le choix d’un narrateur ayant vécu, ado, cet été de “chronique d’une mort annoncée” mêlant les souvenirs et les éclairages postérieurs donne une belle tenue au roman, qui sans en avoir la virtuosité, rappelle le très beau “Basse saison”  de Guillermo Saccomanno paru il y a quelques années également chez Asphalte.

“Ce que la mort nous laisse” n’est pas une lecture plaisante. La souffrance, la douleur, les erreurs, les mauvais choix hantent toutes les pages, les faux semblants aussi. Les mères, les femmes, les jeunes filles seront les premières victimes de l’argent sale, des petits monarques, de la came, de la connerie, de la vilenie mais pour les coupables plus dure sera la chute aussi.

Une belle plume, une tragédie ordinaire mais puissante, du noir qui brille. Chapeau bas.

Wollanup.


LA LEGENDE DE SANTIAGO de Boris Quercia / Asphalte.

Traduction: Isabelle Siklodi

« Rien ne va plus pour Santiago Quiñones, flic à Santiago du Chili. Sa fiancée Marina ne l’aime plus, ses collègues policiers le méprisent, et il est rongé par la culpabilité depuis qu’il a aidé son beau-père, gravement malade, à mourir.

Aussi, quand il tombe sur le cadavre d’un trafiquant dans un resto chinois, son premier réflexe est d’empocher la demi-livre de cocaïne pure qu’il trouve également sur les lieux. Un coup de pouce bienvenu pour traverser cette mauvaise passe, d’autant qu’on vient de lui confier une enquête sensible sur des meurtres racistes… Mais ce faux pas ne va pas tarder à le rattraper. »

Entamée par “ Les rues de Santiago” puis magistralement confirmée par “Tant de chiens”, très justement récompensé par le grand prix de littérature policière 2016, la suite très noire de l’auteur chilien Boris Quercia revient avec ce troisième opus qui ravira tous les aficionados dont je fais partie.

“La légende de Santiago” met à nouveau en scène Santiago Quiñones, flic borderline, accro à la coke, ayant une grande habileté, un immense talent à se mettre dans des coups foireux. Haï de la plupart de ses collègues, Santiago subit bien souvent ses enquêtes, celles-ci passant bien après les démons intérieurs qui sont les siens: came et sexe. Un peu comme avec Jack Taylor de Ken Bruen, on se demande dans quel état on va retrouver Santiago à l’entame d’une nouvelle aventure.

Les deux premiers romans démarraient pied au plancher, l’un notamment commençait par une ahurissante fusillade dans la rue. Ici, la violence, le drame sont instillés de manière aussi forte et aussi fréquente mais de manière un peu plus insidieuse, avec un ton peut-être différent d’antan. On est toujours dans du très solide hardboiled rythmé par les rails que s’enfile Santiago mais beaucoup plus qu’autrefois, on voit poindre des passages plus personnels où sont évoqués la relation amoureuse, les liens du sang, la famille comme dernier rempart à l’isolement et à l’aliénation, le don de soi à autrui.

Plus que dans les précédentes aventures, on entrevoit certains problèmes sociaux du Chili: la xénophobie née de l’arrivée de migrants, la mondialisation et les nouvelles mafias originaires de Chine et une société à l’arrêt. Néanmoins, c’est l’univers de Santiago, attachant malgré toutes ses tares, qui s’avère être le véritable moteur de l’histoire dont l’intrigue policière n’est quand même pas le premier des atouts. Violent, le roman se permet aussi quelques pointes d’humour auquel le lecteur sera sensible selon son empathie devant le spectacle d’un homme qui n’en finit pas de tomber.

Un vrai petit bonheur de polar, impeccable !

Wollanup.

 

SUR LE MONT GOUROUGOU de Juan Tomas Avila Laurel / Asphalte.

Traduction: Maïra Muchnik.

Après les conditions ouvrières dans les abattoirs, « Jusqu’à la bête », nous partons pour la frontière entre le Maroc et l’Espagne, à la rencontre des migrants en compagnie de l’auteur africain, Juan Tomas Avila Laurel et de son second roman, Sur le mont Gourougou.
 
« À la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla s’élève le mont Gourougou, où sont réfugiés des centaines de migrants d’Afrique noire attendant de pouvoir poser le pied en Europe. De cette communauté improvisée, on découvre l’organisation du quotidien, les histoires échangées pour tromper l’ennui, les vices, les jeux, mais aussi la lutte pour échapper aux autorités. Jusqu’à l’explosion de ce fragile équilibre quand certains commerces entre hommes et femmes, tenus secrets jusque-là, sont révélés au grand jour… »
Avec « Sur le mont Gourougou », l’auteur traite d’un sujet délicat, et surtout omniprésent dans l’actualité. Les médias nous informent, nous montrent une réalité douloureuse : les conditions de vie des réfugiés, dans les camps ou encore les conséquences d’une traversée de la méditerranée ou les chances de survies sont minimes. Mais ils parlent peu de ce qui tient en vie ces gens, de ce qui les pousse à quitter leur pays, de la solidarité éphémère qui les lie.
Voila ce dont parle Juan Tomas Avila Laurel.
Le mont Gourougou est un col au Maroc dominant l’enclave Espagnol de Melilla, c’est à dire le dernier obstacle à franchir avant d’entrer en Europe. C’est sur ce col, hostile, que le lecteur rencontre ces hommes et ces femmes venus d’Afrique. C’est dans des conditions difficiles que la vie s’organise. Les migrants vivent dans des grottes, dorment sur des cartons, souvent dans le froid, entassés les uns sur les autres. La faim est l’un des problèmes les plus complexes à régler, des groupes d’hommes tournent pour partir en ville en quête de nourriture que les citadins donnent à contre cœur ou en en quantité infime. De plus, il faut prendre en compte que la police des forêts complique le trajet avec leur chasse à l’homme. Sur le mont Gourougou, les réfugiés ne sont pas les bienvenus.
C’est dans ces conditions que les réfugiés, pour survivre et oublier la douleur se fabriquent de l’espoir. Ils se retrouvent en petits groupes ou chacun prend la parole pour raconter des histoires, souvent leur histoire, ce qui les a menés à quitter leur terre. Et il y a de quoi nous étonner ! L’un a quitté son pays car il a vu une petite fille se transformer en vieille dame, l’autre conte l’étrange histoire d’un marchand mangeur d’argent. Et ce n’est pas tout, pour échapper au chaos, les réfugiés jouent au foot, sport national, des tournois y sont organisés. On devine des sourires s’esquisser sur les visages, et, nous aussi, rions. Et c’est de bon cœur que l’on découvre que le mont est renommé la République populaire de Samuel Eto’o.
 « Sur le mont Gourougou » est un roman plein de malice et de tristesse qui nous met face à l’un des plus grands malheurs de l’humanité.
Bison d’Or.

INDIAN PSYCHO de Arun Krishnan / Asphalte.

Traduction : Marthe Picard.

« Arjun Clarkson est le rêve américain incarné : cet orphelin indien issu d’une basse caste, complexé et peu sûr de lui, a immigré à New York où il connaît une brillante carrière dans la publicité. Jusqu’au jour où, dans un accès de folie, il poignarde une ancienne collègue…
Pour brouiller les pistes, Arjun décide de faire croire à l’existence d’un tueur en série chassant ses proies sur le plus populaire des réseaux sociaux : MyFace. Certes, cela implique de commettre d’autres assassinats, mais n’est-ce pas l’occasion rêvée de se venger de tous ceux qui se sont moqués de lui ?
Au fil des meurtres, la rumeur de ce « tueur de MyFace » s’amplifie et sème la panique sur la toile, car Arjun est un excellent publicitaire. Sa distraction, en revanche, risque de compromettre sa carrière de serial killer… »

A propos de l’auteur Arun Krishnan, Asphalte dit : « Arun Krishnan est né en Inde et vit désormais aux États-Unis. Professionnel du marketing et de la communication, il travaille pour de nombreuses entreprises technologiques et organisations non gouvernementales. » et c’est sans nul doute pour cela que le discours de l’auteur sur les réseaux sociaux est si pertinent. Krishnan analyse les comportements, les codes, les règles d’un réseau social nommé Myface, composé à partir de Myspace et facebook, vous aviez sûrement reconnu et c’est passionnant, très mordant et souvent très drôle et parfois un peu moins hilarant quand on retrouve ses propres travers. Je vous ferai grâce de mon état d’esprit quand apparaît sur mon actu la premier dent de la petite dernière, les poses du chat, le contenu de l’assiette du repas au restau, des groupes hilares par forte addiction alcoolisée, les pieds et les jambes de la copine terminés par ses doigts de pied en éventail devant la mer turquoise, des selfies dégueu, des photos déplacées, des analyses politiques du café du commerce, la directrice de collection en maillot de bain…tous ces trucs qu’on reçoit qui nous gonflent mais qu’on aime bien balancer par ailleurs ! Ayant créé mon profil pour le site, je ne vais pas non plus cracher dans la soupe mais chacun risque d’y retrouver ses propres erreurs, les manifestations de son égocentrisme, l’exposition de son narcissisme ainsi que sa subordination à la mode ou au message bien-pensant dans des pages particulièrement mordantes.

Forcément se dégage un portrait terriblement féroce d’une élite newyorkaise qui bosse à Manhattan mais vit dans des placards à Queen’s. Une classe dirigeante, branchée, blanche, WASP avec une moralité Nouvelle Angleterre très austère qui codifie tous les rapports entre les individus y compris et surtout les rapports sentimentaux.

Toute personne ayant vécu à New York, verra rapidement la justesse de la description et s’apercevra que les goûts, les choix, les snobismes, les tropismes présentés dans le roman font montre d’une connaissance très pointue de ce petit monde où à la première rencontre, avant de voir si on pourrait se plaire, on annonce combien on gagne et donc si on appartient au même monde.

Enfin, « Indian Psycho » est un bon thriller mais que l’on devrait plutôt aborder comme un conte cruel dans le théâtre extraordinaire de Manhattan parce que si Arjun exploite les failles laissées par ses victimes sur les réseaux sociaux, le gouffre, c’est quand même du côté de l’enquête qu’il est le plus béant favorisant cette grande boucherie que nous allons vivre dans la peau de l’assassin.

Non par le ton mais par certains points comme le cadre, le milieu évoqué,  on pourra rapprocher le roman de celui de Brett Easton Ellis  » American psycho » et en partie pour les difficultés d’intégration au très réussi « Indian Killer » de Sherman Alexie où on parle d’Amérindiens.

« Indian Psycho » s’avère très rythmé et le ton est particulièrement drôle et, malheur, on finit presque par s’attacher à ce grand malade qu’est Arjun. Au fur et à mesure que le roman avance, on sent que le filet se resserre, que la fin est proche mais ceci dit, l’auteur ayant pris quelques libertés avec l’authenticité dans l’intrigue, on peut aussi aisément penser qu’il pourrait tout aussi bien surprendre dans l’épilogue.

Pointu et acéré.

Wollanup.

COMME UN BLUES d’ Aníbal Malvar / Asphalte.

Traduction: Hélène Serrano.

 

En Espagne, la pluie est forte et lourde; qui l’aurait cru ?

Carlos Ovelar, l’aurait-il cru qu’un soir pluvieux en 1996, un avocat ferait appel à lui pour retrouver sa fille de 18 ans, Ânia.

Pourquoi faire appel à lui, un simple photographe dans une agence madrilène ?

Parce que Carlos Ovelar est un ancien des services secrets.

Dès les premières pages, on tombe nez à nez avec une note de l’auteur à propos de la figure de Janus. Puis, sur un avertissement à propos du langage utilisé dans le roman, non dénué d’humour : Il espère toutefois que cette petite immersion sera utile à l’aimable lecteur, si d’aventure on le mettait un jour au trou.

Autant le dire tout de suite, l’intrigue de “Comme un Blues” est on ne peut plus simple. L’auteur fait le boulot nécessaire pour nous tenir en haleine et, finalement, on ne lui en demande pas plus lorsqu’on découvre le final très noir. “Comme un Blues” est un grand roman : les personnages sont géniaux! Sombres et résignés, mais géniaux! On se retrouve avec Carlos, quarantenaire et en pleine crise. Un bon flic, cynique et ayant un amour démesuré pour le whisky. Et Carlos est habité par la petite voix Janus, violente réminiscence de son temps dans les services secrets. Le malheur de Carlos est d’être écrasé par deux autres personnages, deux mastodontes: son père dit le Vieux et Gualtrapa. Deux phénomènes qui ont la réplique facile, cinglante et qui imposent le respect. Tous deux d’anciens barbouzes qui ont déjoué le coup d’état du 23 février 1981, d’une manière impossible à dévoiler ici sans risquer de révéler une partie de l’essence qui fait ce roman.

Avec « Comme un Blues », le lecteur découvre une partie de l’histoire espagnole post-franquiste – on devine la difficulté du service de renseignements à s’adapter à un nouveau régime politique, ainsi que le déroulement des opérations, des magouilles pour éviter le putsch du F-23.

Car c’est bien la grande époque (ou ce qu’on veut nous faire croire) des services secrets qui plane sur le roman, qui en fait l’essence. Les vieux barbouzes ne peuvent se défaire de cette partie de leur vie. Et Carlos essaye tant bien que mal à se libérer de cette emprise, en vain.

“Comme un Blues” est un roman de la mémoire et de l’impossible oubli. La pluie tombante sur Compostelle a une étrange ressemblance avec l’antichambre de la mort. Que ce soit pour la jeunesse accro aux drogues, et pour ces fossiles accrochés à la vie qui ne peuvent s’empêcher de mettre des bâtons dans les roues de leurs enfants, de les manipuler jusqu’à une fin tragique.

“Comme un Blues” est un roman noir savamment écrit. On y apprend l’histoire de l’Espagne.

On découvre que là-bas, la pluie est parfois omniprésente. Et Anibal Malvar nous pousse à réfléchir à ce qu’est «l’héritage». Celui laissé par nos aînés.

Bison d’Or.

CHAT SAUVAGE EN CHUTE LIBRE de Mudrooroo / Asphalte.

Cette version de Chat sauvage en chute libre est une réédition du roman de Mudrooroo paru en 1965, puis en 2010 aux éditions Asphalte.

Australie, dans les années 1960. Le narrateur, jeune métis aborigène, sort d’un court séjour en prison suite à un cambriolage. Livré à lui-même, il erre entre les bars jazz, où il risque de retrouver ses mauvaises fréquentations, et les plages où flâne la jeunesse dorée locale. Il se heurte de nouveau aux multiples barrières entre lui et les blancs, lui et les Aborigènes, lui et une société dans laquelle il ne trouve pas ses repères. Dans une librairie, il tombe sur un exemplaire d’En attendant Godot de Samuel Beckett, qui lui fera l’effet d’un électrochoc…

Parcours initiatique entre spleen urbain et retour à la brutalité du bush, Chat sauvage en chute libre est un roman politique, mais aussi l’histoire d’une rédemption.

Chat sauvage en chute libre est une œuvre poétique. Grâce à sa plume habile, Mudrooroo nous emmène dans une déambulation urbaine où notre imagination se confond avec la réalité. Nous avons l’impression d’être l’ombre du narrateur, de le suivre partout. Continue reading

© 2024 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑