Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions 10/18

FURIE CARAÏBE de Stéphane Pair / Editions 10 /18.

Stéphane Pair est un journaliste que l’on peut écouter sur les ondes de France Info lors de certaines affaires de justice ou faits divers. On l’avait découvert lors de son premier roman Elastique Nègre en 2017. Il y faisait un portrait fidèle, crédible de la Guadeloupe au sein d’une intrigue policière efficace.

Lié familialement aux Antilles, l’auteur est resté dans la Caraïbe pour nous raconter certaines des pages les plus noires de Haïti. Première république noire libre en 1804, le pays a connu depuis une histoire chaotique rythmée par des catastrophes climatiques (séismes, cyclones) et par les agissements des gouvernants provoquant misère, corruption, coups d’état, répression, élimination de l’opposition, vacance du pouvoir… De toutes ces apocalypses, la plus terrible peut-être, la plus représentative de l’horreur vécue par la population haïtienne est peut-être la période de 1957 à 1986, dates du règne de la famille Duvalier père et fils surnommés aimablement et faussement « Papa Doc » et « Bébé doc » qui ont instauré une dictature avec comme bras armé, les funestes « tontons macoutes » chargés des basses œuvres, tueurs masqués officiels des tyrans.

« 1971, Haïti. Rosalie Adolphe est certainement la femme la plus puissante du pays. Au service du président François Duvalier, elle traque sans pitié les opposants au régime, allant jusqu’à participer à de véritables massacres comme celui dans lequel la famille Sansaricq a perdu la vie.


1986, Sybille est la dernière survivante de la famille Sansaricq. Membre de la rébellion, elle cherche à se venger des miliciens qui ont brutalement tué les siens, vingt ans plus tôt. Accompagnée de Jacques, un trafiquant dont elle est éperdument amoureuse, elle est décidée à mettre fin au régime violent des Duvalier et à libérer Haïti. »

Basé sur le portrait de deux femmes que tout oppose mais liées par un drame, Furie caraïbe est un roman tout à fait recommandable pour toute personne qui s’intéresse à Haïti et à son chemin de croix de territoire abandonné des dieux. La plume appliquée de Stéphane Pair s’avère judicieuse pour nous montrer la sale réalité de l’époque, les combats perdus, les luttes désespérées des Haïtiens comme la répression aveugle des opposants, l’outrance, la violence du régime des Duvalier.

Sans trop insister avec le cadre historique, Stéphane Pair construit une intrigue addictive, faisant monter progressivement un suspense qui connaîtra son apogée lors de la rencontre des deux personnages principaux, Sybille, le dernier membre d’une famille assassinée par les tontons macoutes et Rosalie chef de cette milice, tout en montrant très justement le combat vers la liberté d’anonymes mais aussi des futurs dirigeants comme un certain père Aristide.

Clete.

LE TEMPS EST LA PLUS GRANDE DISTANCE de Larry Fondation / 10/18

Time Is The Longest Distance

Traduction : Romain Guillou

Étudiant brillant, Lawrence préparait une thèse sur les écrivains Nathaniel Hawthorne et Nathanael West quand il a perdu pied. Dépression, dégringolade, pour échouer sur les trottoirs de Los Angeles. Entre démence et lucidité, Lawrence survit dans un monde cabossé. Hanté par son passé et ses lectures, il confond les opérations de police de la ville et les procès des sorcières de Salem, ressasse ses vieux cours de biologie et tâche tant bien que mal de se raccrocher au peu qui lui reste : ses rassurantes superstitions, les corbeaux qu’il côtoie, et Bekah. 

Ce n’est que tout récemment que le nom de Larry Fondation a été porté à ma connaissance et ma curiosité fut immédiatement piquée au vif. Avec la récente réédition au format Poche, chez 10/18, de son roman Le temps est la plus grande distance, mon prétexte pour découvrir son œuvre fut tout trouvé. 

Une lecture bien singulière que ce livre. J’aime les lectures singulières même si elles sont imparfaites ou difficiles. Il faut des lectures singulières. Elles ont le pouvoir d’élargir notre horizon littéraire, de nous rappeler qu’il y a tout un monde à l’écart de la norme. Ce sont les livres dont je me souviens le mieux, qui me posent question, sur lesquels parfois je bute ou dont je ne sais que penser. En parler, en revanche, n’est pas forcément évident. 

Que dire de Le temps est la plus grande distance ? C’est un roman sombre et chaotique. Un livre court mais qui marque par son âpreté. Une plongée assez radicale dans les bas-fonds de Los Angeles par lesquels Lawrence, personnage principal, est aspiré et dévoré. Une perte de repères tant pour Lawrence que pour le lecteur. Point de lumière ici, que des ombres dans l’obscurité. Une réalité brutale mais confuse. 

Mais au-delà de l’histoire, il y a cette plume, cette écriture si particulière. Une dimension poétique très prédominante. Des passages entiers en vers et de très courts chapitres (si tant est que l’on puisse parler de chapitres) se présentant comme des bribes de pensées égarées. Certains parlent de puzzle et il y a de ça. Il nous faut tenter d’emboîter les pièces les unes dans les autres. Un exercice pas évident mais prenant. J’ai néanmoins l’impression que, comme souvent pour ne pas dire toujours, la poésie souffre ici de la traduction (à l’image d’un Bukowski par exemple). Il est aisé, je pense, de se faire une fausse impression du roman en français. A lire, peut-être, plutôt dans sa langue d’origine pour en saisir toute la puissance.

Le temps est la plus grande distance ne plaira pas à tout le monde. C’est une certitude. C’est un roman exigeant, non pas par sa taille, mais par ce qu’il dit et la façon dont il le fait. Ne vous y trompez pas, c’est même au-delà du roman. Attendez-vous plus à un poème tortueux, urbain et noir de crasse. Larry Fondation nous embarque là où personne ne souhaite finir.

Brother Jo.

DERNIÈRE SAISON DANS LES ROCHEUSES de Shannon Burke / Editions 10 / 18.

Traduction: Anne-Marie Carrière.

L’accueil réservé à la publication du polar 911 de Shannon Burke (2014) et de récentes lectures très séduisantes parmi les grands formats de 10/18 (La Famille Winter de Clifford Jackman, Dans les eaux du Grand Nord de Ian McGuire) me faisaient attendre la dernière publication de l’Américain chez le dit éditeur avec une petite impatience. Cette fois-là, Burke revenait avec un roman d’aventures historiques, un western plus précisément, et les éclats des chroniques outre-Atlantique que nous recevions semblaient scintiller de bon augure.

Fin des années 1820. Tout ce qui est à l’ouest du Mississippi et de Saint Louis est une contrée sauvage. Un homme décidé peut y faire fortune, s’il survit à l’expérience, car la trappe et le commerce des fourrures sont de rudes activités. Le jeune et ambitieux William Wyeth rejoint une expédition vers le territoire crow, à des centaines de kilomètres de Saint Louis. Ce qu’il découvre de la vie des trappeurs le séduit. Mais blessé, il doit à l’aide et la loyauté de ses pairs de survivre et d’être évacué vers un fort militaire. Pendant sa convalescence, il tombe amoureux d’une jeune et fière veuve, Alene Chevalier, et finit par la séduire. Une vie plus rangée attend Wyeth s’il parvient à rentrer à la date fixée d’une expédition audacieuse qui se prépare, loin à l’Ouest, et qu’il ne peut ignorer. Menée par un fils de famille arrogant et tête brûlée, Henry Layton, avec d’anciens camarades de Wyeth comme Ferris, cette expédition s’annonce dangereuse mais très rentable. Elle va mettre à l’épreuve la nature profonde de nos héros et se heurter de plein fouet aux disputes territoriales et commerciales entre Britanniques, Américains et peuples indigènes dans les Rocheuses.

Ce roman est un honnête produit de divertissement. L’écriture est simple. Les tensions entre les trois principaux personnages, leurs caractères et leurs ambitions, nourrissent le déroulé dramatique. Paysages et épisodes violents contribuent à la dimension aventuresque. L’auteur s’est documenté pour redonner vie à ces trappeurs et coureurs des bois, pour reposer une époque, un contexte environnemental, commercial, diplomatique marqué par les divisions et les querelles guerrières.

Dépassé ce premier niveau de lecture, si vous attendiez comme moi un texte à la hauteur des citations (« A grand immersion into the past » – Kirkus ; « un chef d’œuvre de justesse historique et de fougue romanesque » -Publishers Weekly) qui épicent le web ou la quatrième de couverture du roman de Shannon Burke, vous serez (très) déçus. Pour le dire, des impressions se sont imposées au fil des pages : fadeur du style, côté émoussé des scènes et agaçant des personnages principaux,  approximation de la reconstitution. La liberté de l’auteur en matière de fiction est entière, elle l’autorise par exemple à adjoindre aux trois héros des compagnons d’expédition comme Jed Smith, Jim Bridger, Hugh Glass, trois des coureurs des plaines et des bois parmi les plus illustres de l’époque. Il est parfois cocasse de songer qu’ils ne sont là que pour un caméo littéraire. La liberté de l’auteur l’autorise aussi à négliger des faits historiques, à imaginer des épisodes scénaristiques inattendus (c’est un euphémisme) pour bousculer un récit indolent ou avancer des détails improbables voire incorrects sur les tribus indiennes et la géographie physique. C’est sa liberté de création et de fiction. A l’avoir utilisée de cette manière, Shannon Burke et son dernier roman ne m’ont pas personnellement convaincu.

A explorer, à votre convenance. En terme de qualités littéraires, romanesques, historiques, on peut attendre autre chose.

Paotrsaout

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