Chroniques noires et partisanes

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VENGERESSES de Peggy-Loup Garbal / Philippe Rey

Mireille et Marie ont vécu silencieuses de longues années, à porter seules, ensemble, leur anormalité. Pour ces soeurs jumelles autistes, les coups ont été encaissés très tôt : la mort du père, l’alcoolisme de la mère, une société violente et déshumanisante. Ballottées d’une famille d’accueil à l’autre, meurtries par des blessures profondes, celles que l’on disaient douces, calmes et timides, décident, à la suite d’un énième renvoi chez leur mère, de se faire justice elles-mêmes.

C’est le début d’un périple qui les mène du nord au sud de la France, à la reconquête de la place qui leur revient. Furies assoiffées de vengeance, les deux soeurs traquent un à un leurs anciens tortionnaires, infligent rigoureusement leurs châtiments, sans exception. Et, lorsqu’elles arriveront enfin face au dernier des coupables – le plus surprenant –, iront-elles jusqu’au bout de leur plan ?

Cela faisait un petit moment que je n’étais plus allé regarder ce qui faisait du côté de chez Philippe Rey. Enfin, ça n’est pas tout à fait exact, disons plutôt que ça fait un petit moment que je n’ai rien vu de chez Philippe Rey qu’il me semblait pertinent d’évoquer sur Nyctalopes. La dernière fois, ce fut Une déchirure dans le ciel de Jeanine Cummins. Cette fois-ci c’est Vengeresses, le premier roman de Peggy-Loup Garbal, sur lequel j’ai jeté mon dévolu. 

Premier constat, le livre ne pèse pas lourd. 126 pages seulement ! C’est court. Très court. Mais est-ce trop court ? Pas ici. Enfin pas vraiment. D’un côté, c’est un peu trop expéditif par moments, mais d’un autre, ça fuse comme il faut pour être percutant. L’écriture de l’autrice se veut directe, sans détour, une façon d’aller droit au but sans prendre le risque de s’éparpiller. Mais les sujets sont néanmoins nombreux : les relations familiales, la gémellité, l’autisme, la différence au sein de la société, la maltraitance, la vengeance et j’en passe. Peggy-Loup Garbal reste parfois trop en surface mais ouvre la porte à la réflexion. Elle allume la mèche et donne matière à débattre. 

Avec Vengeresses je ne peux m’empêcher de penser à ce genre cinématographique assez controversé dit du « rape en revenge ». Pour les novices en la matière, ce sont généralement des films qui reposent sur une histoire de viol(s) suivi d’une vengeance brutale et punitive. C’est un peu  le fil conducteur du livre. Comme qui dirait, pas le temps de niaiser ici. Nos deux jumelles ont la ferme intention d’en finir avec ceux qui leur ont fait du mal au cours de leur vie, une vie qui se dévoile par bribes, au fur et à mesure que l’on fait route vers ce qui devrait être le grand final de cette petite expédition. Mais comme le livre se lit très rapidement, je ne peux trop en dire, au risque de vous divulgâcher l’intrigue.

Pour une première, Peggy-Loup Garbal ne prend pas de pincettes en écrivant Vengeresses et c’est franchement appréciable. Un roman tout en tension, aussi lapidaire qu’ardent. On n’a pas le temps de s’ennuyer, ni de jouer la fine bouche.. Un début encourageant. On attend de lire la suite.

Brother Jo.

LA BÊTE À SA MÈRE de David Goudreault / Editions Philippe Rey

Le hasard des sorties de début d’année fait que j’en suis à ma troisième histoire d’ados ou d’adultes bordeline qui, avec beaucoup d’application s’emploient à devenir des psychopathes tout à fait recevables. Si « Jesse le héros » de Lawrence Millman  lorgnait vers le discours moralisateur expliquant que les images diffusées à la tv avaient une forte influence sur des personnes au bord d’entrer dans la barbarie, provoquant un certain malaise chez le lecteur quand les situations déclenchaient une franche hilarité, « La bête à sa mère » se rapproche plus de « Jaqui » , l’auteur montrant très rapidement que les influences externes jouent un peu sur le mental du personnage principal mais que le mal est fait depuis très longtemps, sans nécessité d’une assistance extérieure. Ainsi, c’est toujours l’éternel débat : bousillé par la société ou largement flingué avant… et c’est le parti de la malfaçon originelle que semble privilégier le Canadien David Goudreault en racontant la geste pathétique et barrée du fils dans une prose souvent animée d’un humour ravageur.

« Ma mère se suicidait souvent.

Ainsi commence la confession d’un jeune adulte, qui ne se remet pas de la séparation d’avec sa mère, survenue en bas âge. Ses propos vibrent d’une rage contre ceux qui la lui ont arrachée. Sa mère devient sa véritable obsession, il pense l’avoir localisée à Sherbrooke. Mais saura-t-il se faire accepter par celle qu’il a tant idéalisée ? »

David Goudreault, dès le début, énonce un diagnostic de dysphasie, mais on s’aperçoit très rapidement qu’il souffre aussi d’une totale insensibilité à la douleur infligée à autrui ou aux animaux qui seront ses premières victimes comme chez tout bon psychopathe en formation. Notre « héros » est particulièrement dégueulasse, grand adepte de la pornographie et des jeux d’argent, alcoolo, toxico, voleur, et surtout particulièrement remonté pour retrouver sa mère qui l’a abandonné aux services sociaux très rapidement avant de disparaître encore plus vite.

Son parcours chaotique dans la société, entièrement voué à la recherche de sa mère va l’occuper à plein temps et lui faire nourrir des ambitions de cellules familiales reconstituées quand enfin, il va retrouver sa trace. Goudreault maîtrise parfaitement son sujet et montre adroitement la réalité des relations du personnage principal avec sa mère et les interprétations totalement erronées qu’il peut en faire. Nul doute que l’expérience d’éducateur de l’auteur lui a permis de croquer de manière très crédible, des hommes et femmes à la rue, en plein désespoir et « ruinés » par leur rencontre avec notre « malade ». Si le propos peut paraître léger, drôle, tant les délits mineurs de gosse capricieux peuvent et font sourire souvent, Goudreault sait aussi glacer le lecteur quand les « gamineries » laissent la place à l’abjection, à l’horreur.

Ecrit sans grandes qualités stylistiques notables, le récit se savoure néanmoins tant le mode d’écriture sied à la « quête ». Et s’il est nécessaire de mettre en garde les personnes fragiles et les amateurs des chats sur la rugosité du propos, n’oublions pas non plus de souligner la qualité d’un roman qui n’est que la première partie d’une trilogie déjà sortie au Canada et dont on espère pouvoir bientôt dévorer la suite dans « La bête et sa cage » et dans « Abattre la bête ».

Repoussant et attrayant.

Wollanup.

 

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