Chroniques noires et partisanes

Étiquette : dror mishani

UN SIMPLE ENQUÊTEUR de Dror Mishani / Série Noire / Gallimard

Traduction: Laurence Sendrowicz

Quand Une deux trois de Dror Mishani était paru à la Série Noire, on avait apprécié de le trouver au catalogue de la SN. Il nous semblait alors qu’il avait trouvé sa juste place, même si on regrettait la disparition de son enquêteur Avraham Avraham qui nous avait tant plu dans ses trois enquêtes parues au Seuil. Surprise et joie, il est de retour et je vous envie vraiment si vous vous apprêtez à faire la connaissance de ce mec bien.

“Bientôt quarante-quatre ans, récemment marié et promu commissaire à Holon, Avraham est las d’enquêter sur des crimes domestiques dont la résolution ne rend service à personne. Il rêve de missions plus importantes. Aussi le jour où deux affaires se présentent simultanément délègue-t-il la plus banale — un nouveau-né découvert dans un sac plastique à proximité de l’hôpital — à une collaboratrice. C’est la disparition d’un touriste signalée par le directeur d’un hôtel du front de mer qui retient son attention…”

En attendant une éventuelle mutation plus proche des affaires concernant la sécurité d’Israël, Avraham doit retourner à l’ordinaire. Battre le pavé, frapper aux portes, un ordinaire qui ne lui plait plus vraiment mais Avraham est un type humain qui va s’acquitter de sa tâche du mieux qu’il pourra. L’homme, grand admirateur du commissaire Maigret, agit d’ailleurs comme son modèle fictif, en développant une réelle empathie pour les victimes, et par voie de conséquence, la moindre affaire le touche toujours profondément, le mine. 

Avraham prend son temps, fouille, furète, interroge et comme à chaque fois, ses affaires qui paraissent tristement banales s’avèrent en définitive tragiques, cruelles. Petit à petit, on descend vers des abîmes. L’histoire de la disparition de ce touriste qui n’en est pas un va lui poser un sacré cas de conscience et lui permettre d’entrevoir les hautes sphères de la sécurité du pays qu’il convoite. La deuxième affaire du bébé abandonné verra Mishani et Avraham revenir vers des drames familiaux souvent traités et mettra en évidence des plaies non cicatrisées et cachées du peuple israélien. 

Le hasard des deux investigations le mènera à Paris, seul point commun aux deux histoires. Une pointe d’exotisme pour son lectorat local mais qui nous prive un peu de son regard acerbe sur la société israélienne. Outre Maigret dont il apparaît comme un beau successeur, on peut aussi comparer Avraham à Erlendur d’Indridasson, même rythme, même empathie pour les victimes, même bonheur de noir.

Dror Mishani, certainement une des plus belles trouvailles de la SN de ces dernières années.

Clete.

UNE DEUX TROIS de Dror Mishani / Série noire / Gallimard.

Shalosh

Traduction: Laurence Sendrowich.

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

“Une : Orna. Deux : Emilia. Trois : Ella. La première vit très mal son récent divorce. Elle s’apitoye sur elle-même, fréquente sans vrai désir Guil, un avocat rencontré sur un site web qui lui ment avec aplomb. Elle connaît brutalement un destin tragique. La deuxième, une réfugiée lettone, auxiliaire de vie, est une pauvre fille solitaire, paumée, mystique. Le fils de son précédent employeur – qui vient de mourir – veut l’aider à trouver du travail. Il s’appelle Guil. Ça ne se termine pas bien non plus. Apparemment, Guil sévit en toute impunité… C’est alors que survient la troisième, l’inquiétante Ella…”

Dror Mishani est un écrivain israélien de Tel Aviv où il situe ses intrigues. Auteur au Seuil de trois polars recommandables mettant en scène le flic Avraham Avraham, il débarque à la Série Noire mais sans son enquêteur fétiche pour une histoire qui devrait ravir les amateurs d’Indridason à qui il fait irrésistiblement penser.

Comme le grand maître islandais, Mishani crée des polars particulièrement réussis mettant en valeur des personnages ordinaires, communs, qui connaissent des destins tragiques que personne n’aurait pu présager. “Une deux trois” dresse le portrait de trois femmes banales qui se font abuser par un salopard bien quelconque, une sorte de dragueur des parvis d’église s’il en existe…

Et c’est à travers la description de la relation que ces femmes sans grand intérêt ont avec leur bourreau qu’avance minutieusement une intrigue qui, sans donner dans le gore ou le glam, fait la part belle à des femmes et à un homme, si ordinaires, si proches de nous qu’on pense les connaître, ou tout au moins les reconnaître. Dans le dernier tiers du roman l’étude psychologique cédera la place à une partie polar bien menée, engageant le roman vers un tempo plus proche du thriller.

Tout comme chez Indridason, rien d’explosif, pas de bastons, de flingues, juste du malheur et une empathie certaine pour ces malchanceux de la vie, les mauvais choix ou l’absence de choix… Assurément un bon moyen d’entrer dans l’univers noir de Dror Mishani.

Du bon polar.

Clete.


LES DOUTES D’AVRAHAM de Dror Mishani au Seuil Policiers

Traduction : Laurence Sendrowicz.

Dror Mishani, né à Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit son héros Avraham Avraham enseigne la littérature et l’histoire du roman policier à l’université de Tel-Aviv. Il est entré dans l’univers du polar avec Simenon et son intérêt pour tous les personnages, victimes comme assassins donne à ses romans une atmosphère particulière. « Les doutes d’Avraham » est le troisième volet de cette série.

« Une veuve sexagénaire est retrouvée étranglée dans son appartement de Tel-Aviv. Peu après l’heure probable du décès, un voisin a vu un policier descendre l’escalier de l’immeuble. Avraham, promu chef de la section des homicides, est confronté à sa première enquête de meurtre. Il doute plus que jamais de lui-même, sur le plan personnel autant que professionnel. Pendant que la police s’active, une jeune mère de famille, Maly, s’inquiète du comportement insolite de son mari : ayant renoncé à trouver un emploi, il la délaisse depuis quelques jours, fréquentant trop assidûment la salle de boxe et refusant de répondre aux questions pressantes qu’elle lui pose. »

Comme l’indique le titre, Avraham est en plein doute : nouvellement promu chef de la section des homicides, c’est la première enquête pour meurtre qu’il doit diriger. Chef de ses anciens collègues, il a du mal à trouver les bons rapports, à accepter de n’être plus en première ligne sur le terrain, à subir les pressions de sa hiérarchie, la malveillance de celui qui voulait être chef…

On retrouve Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit et travaille Avraham. Dror Mishani plonge la ville dans une atmosphère hivernale surprenante pour Israël : tempête, pluie, froid, autant d’éléments qui évoquent Maigret à Avraham et qui le réjouissent un peu car Marianka, sa compagne belge installée depuis peu avec lui cesse de parler de l’hiver bruxellois avec nostalgie quand l’atmosphère fraîchit. Encore des doutes, bien plus personnels pour Avraham…

Dror Mishani construit son roman en suivant deux histoires : celle d’Avraham, qui mène l’enquête en remontant la piste de la vie de la victime et celle d’une famille, d’un couple qui se débat dans des difficultés économiques et se défait suite à un drame. On sait bien sûr que ces deux histoires vont se mêler. En fait, le lecteur en sait bien plus qu’Avraham et l’intérêt ici n’est pas la recherche du coupable, mais le pourquoi, Dror Mishani réussit à créer le suspense sur ce simple élément.

L’empathie qu’il exprime pour tous les personnages fonctionne, ils sont tous humains. Des êtres blessés, meurtris qu’on va suivre en sachant qu’il n’y aura pas de gagnant. L’univers de Dror Mishani est loin d’être manichéen : pas de méchants haïssables, mais des êtres ordinaires qui pètent les plombs face au malheur et basculent par faiblesse, par bêtise, par accident. Le meurtre est toujours une tragédie dont les dégâts ne s’arrêtent pas avec la résolution de l’affaire, l’enquêteur lui non plus ne peut pas en sortir indemne. Un univers bien sombre mais si humain.

Un très bon polar où le noir se détache d’une palette de gris.

Raccoon

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