Antonin Varennes signe son 10ème roman avec « Dernier tour lancé » qui s’inscrit dans l’univers de la moto GP. Il relate avec beaucoup d’humilité la relation père-fils, celle d’Alain Perrault qui donne tout à son fils Julien. Julien est né dans la douleur, enfant chétif et lent à l’école qui devient prodige de la moto, piqué à la vitesse, aux courbes au cordeau.
Alain l’élève seul dans un pavillon modeste de Villeneuve-Lès-Maguelone, mécanicien, homme simple et analphabète, il consacre tous ses revenus à la passion de son fils et fabrique ses premières motos. Julien connaît une ascension fulgurante, devient le numéro 5 adulé de tous, battant tous les records de temps et de vitesse sur les pistes du monde entier jusqu’au drame. Ce fameux virage du Mans ou il percute deux autres concurrents, l’un décède, l’autre devient paraplégique, lui s’en sort vivant mais brisé. Il est devenu l’assassin, le paria du circus.
Le fils prodige passe de longs mois à l’hôpital, en sort, devenu l’ombre du champion et reclus chez son père jusqu’à la tentative de suicide.Pour sa sécurité et le mettre à l’abri des médias, Alain le place dans une clinique psychiatrique, sous prétexte de repos uniquement. Interviennent deux nouveaux personnages clés du roman, Emmanuelle Terracher, la psy qui passe le plus clair de son temps au travail pour éviter sa vie de couple compliquée et François Buczek, l’artiste peintre déluré, perdu dans ses paradis artificiels, interné pour sa sécurité.
Julien va mieux et se retrouve de nouveau chez son père. La vie reprend tant bien que mal, l’ancien champion retourne au circuit près de chez lui, rencontre le propriétaire, autrefois admiratif et lui propose simplement de donner des cours aux jeunes au sein de l’école qui portait son nom. Refus et nouveau coup dur.
Ne jamais rien lâcher est l’adage du numéro 5, il se remet au sport, redécouvre son corps, celui de l’athlète qu’il a été et qui le fait tant souffrir aujourd’hui. Un nouveau locataire anime la maison, François s’est échappé de la clinique et y a élu domicile. Emmanuelle passe un pacte avec le trio, elle viendra de temps en temps s’assurer que tout se passe bien, devenant psy à domicile. La maison subit les délires de François sous l’impulsion de ses coups de pinceaux et de ses trips psychédéliques. L’ambiance est bonne.
Step by step, Julien se reconstitue une condition et décide de partir en road trip en moto, une de plus préparée par son père. C’est une forme d’évasion, un temps à la réflexion pour l’homme sur sa vie passée et celle à venir, au guidon, il sent la machine, les vibrations et ses sensations. À son retour, il se fait approcher par un sponsor nébuleux, la rencontre se fait, le contrat se signe, il revient sur les pistes. C’est un retour fracassant dans le monde du GP, le numéro 5 revient. Il est accompagné de son père qui l’a toujours suivi depuis son poste télé, d’Emmanuelle en pleine séparation qui a posé une année sabbatique et de François toujours défoncé. Les tours de piste s’enchaînent, la moto est dépassée, le pilote souffre, les premiers chronos sont mauvais. Julien s’accroche, malmène son corps rafistolé, les chronos commencent à attirer l’attention. La fine équipe parcourt le monde au gré des courses, Julien devenant de plus en plus compétitif, François de plus en plus défoncé. Entre-temps, Emmanuelle et son père se rapprochent, mettant à jour un lourd secret concernant la mère de Julien, ce secret qu’ils ont tacitement entretenu depuis si longtemps. L’abcès est crevé, la psy a fait son taf.
De nouveau le drame, François en plein trip après une grosse injection, part sur une des motos de Julien sur le circuit proche de la maison. Alain part à sa poursuite et le retrouve sur la piste, l’artiste peintre roule complètement déchiré, se prenant pour un pilote à faible allure, ce qui fait sourire Alain qui l’observe depuis le bord, rassuré dans un premier temps. À proximité du circuit, Julien qui s’entraîne en vélo, reconnaît le bruit de sa 500 et approche du circuit. Derrière le grillage, il y voit son père au bord de la piste et François sur sa moto. La vitesse augmente, François en plein trip met les gaz dans la ligne droite. Le virage approche, Alain lui fait des signes, trop tard, François va tout droit là ou il regarde. Choc. Julien assiste à ce que son père a vu un an plus tôt, la boucle est bouclée. Le père et son fils n’ont pas eu le temps de se dire qu’ils s’aimaient. C’est la malédiction Perrault. Les médias s’emballent, les millions publicitaires coulent à flot, Julien fera la course avant les obsèques car seule compte la course, il ne sait faire que ça.
Ce roman sent l’huile de moteur, les gaz brûlés et pour autant frappe fort par la finesse de son écriture. J’ai été très surpris par la noirceur de l’histoire qui est très subtile et latente, celle qui touche à la psychologie de l’homme. Il met également en lumière un univers où règnent l’argent, les sponsors, les marques et les droits de diffusion dans le monde du grand prix moto. Un univers où les pilotes sont rois, sans cesse entourés et en même temps seuls sur leurs montures mécaniques pour défier les lois de la gravité et de la vitesse.
Nikoma
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