― C’est Jhonson, présente la mère, un vague sourire aux lèvres.
Le prénom glisse sur Darwyne comme l’eau sur un plumage d’oiseau : il se fiche de savoir comment il s’appelle, l’homme à la débroussailleuse. La seule chose qu’il y a à retenir, c’est que désormais il va habiter avec eux.
Que c’est le nouveau beau-père.
Les lèvres serrées l’une contre l’autre, l’enfant acquiesce, conscient qu’il n’a pas son mot à dire, que c’est la mère qui décide de ce genre de choses, pas lui. Mais il ne se fait pas d’illusion, il sait très bien ce que l’arrivée de ce Jhonson veut dire.
Il sait que ça va recommencer.
Ils sont deux, Darwyne et Mathurine.
Le pian de Guyane est un opossum bien mal considéré, un peu comme le rat en métropole. Sale petit pian dégueulasse, c’est ainsi qu’est surnommé Darwyne Massily par sa mère Yolanda, la plus belle femme du bidonville de Bois Sec d’après lui. Il parle peu, essentiellement à lui-même. À l’école il est considéré comme inadapté par les enseignants, les autres enfants l’ignorent ou le méprisent à cause de ses jambes déformées.
Les beau-pères défilent, c’est le huitième qui vient d’entrer dans sa vie, et pourtant il n’a que 10 ans. Il ne retient pas leurs noms parce qu’il sait déjà comment ça va se passer et se terminer. Il sait qu’il va de nouveau subir ce nouvel arrivant qui lui prend sa place.
Darwyne est clairement mal traité, c’est là que Mathurine entre en scène.
Mathurine est éducatrice spécialisée, célibataire et âgée de quarante ans. Son désir d’enfant est un élément clef de ce roman. Elle côtoie toute la misère et la violence faite aux enfants de Guyane. Un signalement anonyme lui est parvenu au sujet de Darwyne.
Le contact prend du temps à s’établir avec Darwyne. L’enfant et l’éducatrice vont se rencontrer, et trouver un terrain d’entente : leur passion commune pour la nature, la forêt guyanaise. Les connaissances de Darwyne sont stupéfiantes pour son âge, presqu’inquiétantes.
Ainsi avance le roman, entre Mathurine, Darwyne et Yolanda ; au gré de l’évaluation sociale que Mathurine n’arrive pas à conclure. Quelque chose cloche entre la mère et le fils.
Et à présent que Bois Sec s’est assoupi, que se sont tus tous les vacarmes humains, il écoute les bruits de la jungle. Après cette journée de plus avec le beau-père, ça l’apaise. Jamais il n’irait dire cela, ni à la mère ni à personne d’autre, mais ce qu’il entend d’abord, c’est la lisière débroussaillée en train de guérir de ses blessures. Les plaies qui se referment lentement, le crissement ligneux des tissus végétaux. Et, plus loin, Darwyne entend gronder la faune nocturne qui se presse derrière l’orée. Il entend les oiseaux de la nuit, feuler le grand ibijau, crisser la chouette à lunettes, il entend chanter les rainettes et les adénomères, il entend brailler les singes hurleurs, tout là-bas. Et ne sachant aucun de ces noms-là, ces noms couchés dans les livres des naturalistes, il les nomme à sa manière, dans sa tête. Et pourtant conscient que la mère n’aimerait pas le voir ainsi, il reste longtemps à écouter ce sous-bois plus étendu que le ville elle-même, déployé à l’infini sous le tapis des cimes. L’Amazonie entière à quelques centimètres de sa couchette.
L’écriture de Colin Niel fourmille d’un vocabulaire inhabituel au polar ou au roman noir, c’est une occasion de s’enrichir de toute une faune bien éloignée des rues de New York, Paris ou Stockholm. Le décor foisonnant de Darwyne est savamment planté, non seulement on voit mais en plus on entend, on sent. L’auteur donne vie à ces plantes, arbres, lianes ; ses pages sont luxuriantes, palpitantes, vivantes de tous les animaux croisés. Toutefois cette nature peut être oppressante, s’y retrouver seul n’est pas bon signe. La forêt n’a rien d’idyllique, tout comme le bidonville dans lequel vit la famille Massily. Avec Darwyne, Colin Niel nous montre ce qu’est la Guyane des petites gens, des migrants comme Yolanda et Jhonson. Pas d’eau courante, des toits de tôles qui tiennent avec des bouts de ficelle, toutes ces vies précaires bien plus proches de la Jungle de Calais que des clichés habituels sur Kourou. C’est tout l’envers de l’exotisme.
Il faut être attentif lors de la lecture, non seulement pour bien appréhender la complexité du jeune Darwyne, personnage partiellement et librement inspiré du folklore amazonien, mais surtout parce que Colin Niel sème son roman d’indices à peine écrits qui reviennent en tête en cours de lecture ; et ce jusqu’à ce que cet épilogue épouvantable, qui paraissait inconcevable, soit enfin dévoilé.
NicoTag
La forêt guyanaise de Darwyne et Mathurine possèdent un rythme bien à elles qui pourrait bien ressembler à celui-ci.
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