Traduction: Philippe Loubat-Delranc.

Le hasard des sorties au Seuil fait que nous avons la chance de découvrir le nouveau Thomas H. Cook juste après la dernière livraison du dernier Ron Rash dont j’avais écrit, comme d’autres chroniqueurs tant cela semblait évident, qu’il ressemblait, dans sa construction, à un roman du premier cité. J’avais ajouté, et j’avais aussi lu le courroux de certains, qu’à l’opposé de Cook, Rash ne savait pas tenir un suspense. Il ne s’agit pas de comparer les œuvres de deux écrivains respectables mais l’occasion m’est donnée ici de pouvoir appuyer ma remarque.

Thomas H. Cook a écrit une vingtaine de romans depuis 1980 et, s’il a écrit des polars classiques, avec souvent un twist final particulièrement redoutable et imprévisible pour le néophyte (l’habitué, lui, s’y attend et cherche à anticiper la diablerie que l’auteur nous réserve pour nous assommer ou nous briser le cœur), il se distingue depuis une dizaine de romans par des histoires racontant un drame du passé qu’un témoin ou un proche tente d’élucider de nos jours. Ces enquêtes menées par des amateurs sont propices à montrer des drames souvent familiaux en explorant finement la psychologie des personnages, l’histoire des lieux et les mentalités de l’époque. Cook est un auteur qui me souffle à chaque fois tant son travail est minutieux, précis dans la narration tout en offrant un rythme qui rend totalement dépendant. Il faut être particulièrement brillant pour réussir à happer le lecteur de la sorte avec des histoires dont on connait au départ la fin macabre. Cook sait provoquer de l’empathie pour ses personnages en les faisant évoluer dans des histoires d’amour à l’issue terrible mais, à chaque fois, un tel fonctionnement représente sûrement un travail herculéen pour l’auteur. Et ici le charisme de Martine Aubert emporte tous les suffrages dès les premiers mots.

« Dans les années 1990, Ray Campbell s’installe au Lubanda, État imaginaire d’Afrique noire, pour le compte d’une ONG.
Sa vision de ce que devrait être l’aide occidentale ne rencontre pas l’approbation de Martine Aubert, née et établie au Lubanda, pays dont elle a adopté la nationalité. Elle y cultive des céréales traditionnelles dans la ferme héritée de son père belge, et pratique le troc. Tant que règne le bon président Dasaï, élu démocratiquement, Martine vit en harmonie avec la population locale. Mais tout bascule quand des rebelles instaurent un régime de terreur : elle devient alors une étrangère « profiteuse ». Sommée de restituer ses terres ou de partir, elle se lance dans une lutte vaine contre le nouveau pouvoir en place avant d’être sauvagement assassinée sur la route de Tumasi. Campbell, amoureux transi de l’excentrique jeune femme, rentre en Amérique.
Vingt ans plus tard, devenu le florissant patron d’une société d’évaluation de risques, il apprend le meurtre, dans une ruelle de New York, de Seso, son ancien boy et interprète. Voilà qui rouvre de vieilles plaies et ravive plus d’un souvenir brûlant. Ayant établi que Seso détenait des documents relatifs à la mort de Martine, il retourne au Lubanda pour confronter les coupables. »

Dans «  Danser dans la poussière », Cook innove en ancrant son récit dans les années 90 et aujourd’hui dans le pays imaginaire du Lubanda tout en complexifiant l’intrigue en y adjoignant des temps à New York, un mois avant l’expérience actuelle vécue par Ray Campbell en Afrique noire. Mais tout reste clair, limpide, de l’horlogerie suisse dans une intrigue qui tranche avec les autres écrits car, en implantant son intrigue en Afrique, Cook écrit aussi un roman hautement politique. Les suites du colonialisme, les peuples nomades, les dirigeants véreux, le droit du sang et le droit du sol, le racisme, le modernisme ou les traditions, l’aide humanitaire et ses limites autant de sujets évoqués avec intelligence et réflexion qui font de ce roman une belle ode à l’Afrique.

A partir de la moitié du roman, on tremble malgré que l’on sache l’issue fatale, voyant la souricière, le piège terrible…Une fois de plus, Cook réussira son twist final après vous avoir trimbalé où il voulait et s’il ne vous mettra peut-être pas sur le cul cette fois-ci, il vous laissera néanmoins un goût salement amer pour terminer un roman magnifique d’intelligence et d’humanité. Un must !

Brillant !

Wollanup.