Jean est un vieux paysan, rude et rustre comme peu. Agnès, fille de Jean, pas bien mieux lotie que son père avec qui elle partage les tâches depuis que sa mère est morte. La mère, elle n’a pas d’autres noms, a disparu quand Agnès avait quinze ans. Depuis, c’est comme si le jour ne s’était jamais levé.
Pàl vient de loin, d’un pays de froid. Il travaille à la ferme depuis quelques mois.
Il y a aussi le bien-nommé Pentecôte, le chien de Jean. Et les brebis.
Sacré huis-clos, épais, très épais. Rares sont les mots échangés.
Ça pourrait se passer il y a cent ans ou mille ans ou plus, ces êtres sont enracinés dans cette terre qui les a vu naître, d’où rien ne pourra les déloger sinon la mort.
Les jours passent lourdement, tous pareils, avec pour seule distraction un bout de plaisir furtif, rapide, entre Agnès et Pàl, à peine quelques minutes tard le soir, de temps en temps.

Il y a le ciel, et la terre, les carrés de la terre, le domaine des hommes, les champs mis à nu, les rivières contraintes, les routes noires et grises, l’ordre des hommes, leurs toits serrés les uns contre les autres, leurs douanes, leur ignoble façon de dessiner un monde qui ne leur appartient pas, la carte des puissants. De si haut, tout est minuscule et il n’y a de grand que l’homme qui regarde de loin, impuissant à saisir, forcé à l’inaction, inoffensif, étranger aux lignes qui s’écrivent, tout en bas, qui semblent impérieuses et qui ne sont rien quand le temps est passé. Jean regarde tout mais ne pense rien. Il chasse de son esprit les idées qui s’y engouffrent à mesure qu’il le vide. 

Les forêts ne sont pas désertes, et les bêtes qui les peuplent ont faim. Les brebis en pâtissent, en meurent, c’est inacceptable pour Jean que l’on voit crapahuter et chasser le loup, ce loup qui avait disparu et qui lui prend son bien. C’est comme une quête pour lui, ou un jugement dernier, une mort enfin. Il remonte dans sa vie, de son passé le plus lointain à son entourage et aux autres villageois qu’il ne peut pas souffrir, et le lui rendent bien.
Au même moment, Agnès n’est pas épargnée par cette nuit de chasse, des vautours s’envolent et s’approchent d’elle.

Dans les murmures de la forêt ravie est un premier roman (au titre bien trop long), je veux bien le croire, pourquoi pas après tout, mais une chose est sûre, Philippe Alauzet est bel et bien un écrivain. Il a plus qu’une simple histoire effrayante à raconter, il a un style propre, touffu et poisseux, ses phrases sont sculptées et tournées dans un bois noble. Ses mots sont choisis, poncés puis imbriqués ; il y a de l’ébéniste chez cet auteur. Et une prestance peu courante.
Le roman est court, ramassé sur une centaine de pages d’un nature writing noir, glaçant, prenez votre temps pour en apprécier chaque pli et repli ; de toutes façons vous ne pourrez pas faire autrement.

NicoTag