Entretien réalisé à « Etonnants Voyageurs » en mai 2014.
J’aurais plusieurs questions. S’il y en a que vous n’aimez pas, vous pouvez les passer. Vous avez dit que « Dans le grand cercle du monde, c’est l’histoire de mon ADN ». Qui êtes-vous, Joseph ?
Je n’aime pas cette question.
Ah ?
Qui suis-je ? Ca enregistre ?
Oui.
Oh merde. Désolé. Putain ! L’histoire de mon ADN…qui suis-je ? Salut, je m’appelle Joseph, je viens d’une très grande famille de onze enfants. Une famille de sang mêlé, metis comme on dit au Canada, métisse en France. Je suis un auteur canadien, j’habite aux Etats-Unis pendant la plus grande partie de l’année. On m’a dit que je faisais pont entre des cultures qui souvent ne se comprennent pas : la culture des Amérindiens, les cultures indiennes du Canada et celle comment l’appeler de l’Ouest du Canada ?
Dans le grand cercle du monde est votre troisième roman, le plus ambitieux aussi ; quelles ont été les différentes étapes de son écriture ?
De ce roman ? J’ai attendu pour écrire ce roman. Je voulais déjà l’écrire il y a un moment mais je n’étais pas assez bon pour l’écrire. Je devais apprendre à écrire d’abord en écrivant d’autres romans parce que c’est un roman imposant, en termes de paysages et d’histoire. Il est important même au niveau du projet que j’ai plus ou moins essayé d’accomplir. Mais, de fait, il y avait trois cultures principales impliquées dans l’intrigue, française, huronne et iroquoise, et une fois que je me suis rendu compte que chacune d’elles devait être représentée, incarnée par un personnage, le plus important de la démarche était fait.
Dans le grand cercle du monde raconte, entre autres, la guerre entre Hurons et Iroquois et met en lumière le rôle joué par les Français et les Anglais. Votre roman met en scène deux approches différentes de la colonisation : pour résumer, les Français offraient la religion, les Britanniques, des armes ?
Oui, ça me semble bien vu. Les Français étaient réputés pour aller à la rencontre des tribus indiennes et se mêler à eux. C’est de là que viennent les metis, du mélange de sang français et indien. Alors que les Anglais et les Néerlandais…Les Néerlandais avant les Anglais…
Distribuaient des armes ?
Ils distribuaient des armes, mais ils exigeaient que les Amérindiens viennent à eux, dans leurs…ce qu’ils appelaient des usines. Ils en avaient en divers endroits, les villes, la Nouvelle Amsterdam, maintenant New York ; la Nouvelle-France, Montréal et Québec… les Anglais et les Néerlandais…disaient aux tribus « c’est vous qui venez » tandis que les Français se déplaçaient pour aller à leur rencontre. C’était une toute autre façon d’établir le contact…
Pensez-vous que les Européens soient responsables des conflits entre les Amérindiens ou n’étaient-ils qu’un moyen ?
Ils n’en étaient pas la cause. L’Amérique du Nord n’était pas un paradis avant leur arrivée. Mais c’était de fait un pays immense qui maintenait un subtil équilibre entre toutes ces différentes tribus qui vivaient ensemble et se faisaient la guerre souvent. Les Européens n’ont pas amené la violence, mais certainement…ce que j’ai appelé la première course à l’armement. Vous voyez ce que je veux dire par course à l’armement ? C’était la première course à l’armement, ils ont fourni les armes et les conflits se sont envenimés parce que tout le monde se battait pour le commerce et je crois que tout le monde est responsable. Ce que les Européens ont effectivement importé, ce sont les maladies – pas volontairement, mais les maladies ont décimé la population.
Vous le racontez dans le roman. Christophe, un jésuite français, est un des personnages principaux du roman. Que pensez-vous des jésuites du 17e siècle et quelle est plus généralement votre position sur la religion ?
Les religieux du 17e siècle étaient très profondément convaincus que leurs actions étaient justes, qu’ils étaient dans leur droit mais ils n’étaient pas très ouverts.
Ils ne vous paraissent pas fous ?
Ils n’étaient pas très ouverts et très ancrés dans leurs convictions. A mon avis, ils n’étaient pas fous – je les trouve fascinants. Ils jouaient leur vie…Ils ont quitté leur pays, sachant qu’ils ne reviendraient jamais, qu’ils mourraient dans un pays étranger. C’étaient de vrais croyants – on les appelait les soldats du Christ. Mais ils étaient aussi très courageux, très bien entraînés, érudits et intellectuels. Ils n’étaient pas mesquins ou fous, même si certains l’étaient – comme les humains, certains êtres humains sont horribles, d’autres merveilleux.
Il y a des passages dans votre roman où ils sont aussi cruels.
Oui, ils peuvent être aussi cruels et atroces que n’importe qui. Quant à mon rapport avec la religion, j’ai grandi dans la religion catholique. Mais je me suis éloigné du catholicisme, une fois adulte, pour
mieux comprendre, je crois que les règles de vie de Jésus sont merveilleuses, mais je n’aime pas qu’une religion puisse contrôler et s’imposer à une autre.
En France, nous avons souvent une vision idyllique du Canada et notamment du Québec. Est-ce que les Canadiens ont-ils mieux réussi la cohabitation européens-Amérindiens que leur voisin du sud ?
A les intégrer vous voulez dire ?
Non, pas les intégrer : les Amérindiens étaient là avant. La manière dont ils ont traité les Amérindiens, les gens, la culture…
Ah, oui. Les Américains ont été très américains dans leur action contre les Amérindiens – ils ont juste annoncé « ils sont dans le passage, ils mourront, nous les tuerons ». Les Canadiens ont été plus passif-agressifs – nous n’avons pas eu de grosses guerres avec les Amérindiens. Nous, nous leur avons enlevé leurs enfants parfois sur plusieurs générations pour les envoyer dans des écoles de « résidents ». La manière canadienne était bien plus pernicieuse que la manière américaine. Les Américains ont fait comme pour tout : ce qu’ils n’aiment pas, ils essaient de le détruire. Les Canadiens ont été plus subtils, nous vous enlevons vos enfants pour effacer votre peuple, ce qui n’a pas marché et qui cause encore des problèmes très profonds dans notre pays.
A part vos romans, agissez-vous pour les droits des Amérindiens ?
Oui, tout à fait. J’écris sur ce sujet tout le temps. Je suis aussi journaliste et je m’intéresse aux questions de la société amérindienne. Il y a aussi le mouvement Idle No Morei. Vous en avez entendu parler ? C’est assez compliqué à expliquer… Je suis pour les droits des Amérindiens, la gouvernance sud et la souveraineté.
Vous vivez à la Nouvelle-Orléans ?
Oui, une partie de l’année ; mon épouse est américaine. J’ai arrêté d’enseigner à l’université, je vis à la Nouvelle-Orléans mais je rentre au pays tous les mois.
Vous écrivez en ce moment ?
Oui. Il y aura bientôt deux nouveaux romans. Il y aura un troisième roman dans la trilogie qui a commencé avec le Chemin des âmesii, donc un nouveau dans cette série. Je travaille à une suite à Dans le grand cercle
du monde, en cinq romans.
Au début, vous aviez parlé d’une trilogie – et maintenant, c’est cinq.
Elle s’étoffe. Comme moi, elle s’étoffe.
Dernière question: quelle est votre définition de l’Orenda ?
L’Orenda, c’est un souffle de vie qu’on trouve partout, pas seulement chez les humains. Vous savez que les êtres humains ont une âme, mais je crois que les animaux ont aussi un souffle de vie, que les arbres ont le leur, leur propre énergie, l’eau également, les pierres et tout dans le monde, dans le monde physique, a cet élément, comme cette mouche qui vient de passer a son propre Orenda, sa propre énergie, son souffle de vie.
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Merci à Morgane pour la traduction.
Wollanup, saint Malo, mai 2014.
iPour plus d’infos : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_Idle_No_More ; site officiel : http://www.idlenomore.ca/
iiEn français dans la conversation originale
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