Chroniques noires et partisanes

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FILLE DE de Christian Roux / Rivages.

Six ans séparent Fille de de Que la guerre est jolie paru en 2018. L’auteur est donc plutôt rare peut-être parce que l’homme Christian Roux a plusieurs cordes à son arc, exerçant aussi son talent en tant que scénariste, auteur, compositeur et interprète. Sachons donc apprécier à sa juste valeur la rareté de ce nouveau roman.

« Sam, 26 ans, est une solitaire. Mécanicienne hors pair, elle tient un garage sur les hauteurs de Cassis et semble mener une vie tranquille. Mais un jour, son passé ressurgit sous les traits de Franck, un homme qu’elle aurait souhaité ne jamais revoir, tout comme son père Antoine. Adolescente, elle a fait partie de leur bande de braqueurs, puis à 20 ans, elle les a quittés. Juste après son départ, un coup a mal tourné, Antoine a dû planquer le butin tandis que Franck s’est retrouvé derrière les barreaux. Aujourd’hui Franck veut récupérer le magot. Hélas Antoine a plus ou moins perdu la mémoire à la suite d’une crise cardiaque. Qui d’autre que Sam pour tenter de la lui rafraîchir ? »

Road trip,  Fille de nous balade sur les routes les plus discrètes de France en compagnie de Sam jeune femme au caractère bien trempé et d’Antoine son père tous deux plongés dans le théâtre du passé, sur les chemins de la vérité. Un voyage périlleux pour retrouver la cache d’un trésor perdu dans les méandres du cerveau quasiment cramé d’Antoine et un retour aux origines du drame qui a scellé l’explosion de la famille : la fuite de Sam, la disparition de sa mère, le casse raté, l’arrestation… six ans plus tôt. Petit à petit, on entre dans le mystère et on se frotte à la douleur de Sam, aux horreurs du passé, aux erreurs coupables.

Il est certain que le thème du roman est loin d’être original mais on ne demande pas non plus aux auteurs de refaire le monde à chaque roman. Dans la multitude des histoires de relation filiale, de notion de famille, d’héritage du sang seuls le talent et l’écriture vous sauvent d’un possible ennui. Mais aucun souci, Christian Roux a déjà prouvé sa maîtrise à maintes reprises. Néanmoins, par la voix de Sam, il prévient le lecteur venu s’aventurer.

« Que les choses soient bien claires mon vieux. Je ne reviens pas. Je ne suis pas là pour jouer la grande dégoulinade hollywoodienne entre le pépère et sa fifille qui enfin se comprennent, se sont toujours aimés, mais la vie et blablabla et blablabla… Dès qu’on a retrouvé ce putain de trésor planqué dans ta putain de mémoire, tu rentres dans ton trou à rats, moi dans le mien, et basta, fin de l’histoire. » Il en sera bien autrement et de manière bien plus tragique durant 150 pages sèches, sans dorures, sans artifices faciles et pourtant si attachantes quand le narrateur puis l’auteur interpellent malicieusement le lecteur.

Du noir, du vrai, du bon.

Clete

QUE LA GUERRE EST JOLIE de Christian Roux / Rivages.

« La ville de Larmon, située à une heure de Paris, est dirigée par un maire plein d’ambition qui a de grands projets immobiliers. Il veut convertir l’ancien quartier ouvrier où l’usine Vinaigrier faisait vivre toute une communauté, en un ensemble résidentiel haut de gamme. Mais les gens qui continuent d’habiter le quartier ne l’entendent pas de cette oreille. Pas plus que les artistes qui ont investi l’usine pour leurs performances et installations d’art contemporain. Alors la municipalité va recourir à des pratiques illégales pour faire déguerpir les habitants. Tout est bon : chantage, menace, incendies criminels… Meurtre. Mais pour cela, il faut des voyous, des bandits, des gens qui ne reculeront devant rien. » 

Pas de doute, on entre ici dans le dur, dans le social, dans le malaise urbain à la croisée des mondes politiques et dans l’univers du grand banditisme en col blanc mais aussi barbu bas du front ou encore racailles en baggy et casquettes criardes ricaines.  

 Ah Dieu ! que la guerre est jolie 
 Avec ses chants ses longs loisirs 

Dans un magnifique premier chapitre à la plume experte et talentueuse et auréolé d’une citation de Guillaume Apollinaire , Roux montre la poésie de bombardements nocturnes sur Bagdad et le supplice de rats enflammés par une main criminelle dans un immeuble abandonné. Le grand frisson, l’horreur palpable, le malaise naissant sans artifices, la description glaciale, sans états d’âme, la détermination, l’inhumanité. Tout est dit déjà dans cette intro d’un roman qui par la suite, pendant quelques pages, aura un cours plus anodin avant de remonter avec une explosion finale destructrice. 

Le roman, l’histoire, en apparence et en réalité, n’est pas très originale mais bénéficie d’un cadre contemporain, mettant en scène de nouveaux et importants acteurs de l’internationale du banditisme venus des Balkans ou de mosquées  salafistes de quartiers français. Si cette actualisation permet de bien dater le roman, de parfaitement l’ancrer dans le présent de certains quartiers du pays tout en laissant présager du futur, son originalité, sa richesse, sa force et son âme se situent plus dans ce traitement des magouilles si souvent décrites et contées mais montrées ici avec le sceau de l’authenticité du vécu, du témoignage livré avec sincérité et souvent avec une certaine empathie tangible. 

La plume de Christian Roux  sonne juste, authentique, et j’ai très souvent adhéré à de petites  remarques anodines  mais tellement justes. Les personnages, les principaux mais aussi tous les autres sont particulièrement bien peints, permettant de comprendre leur personnalité, leur parcours, leurs idéaux comme leurs combats menés comme perdus. Le propos est humain mais ne se veut pas humaniste. Christian Roux ne juge pas les options, les comportements même si tout acte d’écrire, par ses choix narratifs, inclut sa part de subjectivité. 

Parsemant son propos de souvenirs de guerre d’un photographe, l’auteur ose un parallèle surprenant entre la réalité de la guerre en Irak et Syrie et la situation de Larmon. Et si la comparaison parait  initialement particulièrement osée, le talent de persuasion de l’auteur, avec cette impression de détachement qui marque les pages, arrive à nous convaincre, nous persuader que la destruction de l’usine Vinaigrier contribue à l’effacement de l’histoire de gens, gomme l’histoire d’un quartier ouvrier, bafoue la mémoire collective tout comme des bombardements en Irak, et qu’ici aussi, la mort frappera aveuglément emportant des vies anonymes et surtout innocentes. 

Noir brillant! 

Wollanup. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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