Chroniques noires et partisanes

Étiquette : cabdriver

ENTRETIEN AVEC DEGE LEGG à propos de CABDRIVER.

Dege Legg, plus connu par chez nous sous Brother Dege, est notamment musicien. Son titre, Too old to die young, s’est un jour retrouvé dans la bande-son du film Django Unchained de Quentin Tarantino et fut nommé aux Grammy Awards pour cela. Pour autant, il demeure un artiste de l’ombre, terré dans son bayou. Mais il n’est pas que musicien. Grace aux Editions du Sonneur, nous pouvons enfin découvrir en France une autre de ses facettes, celle d’écrivain. Avant d’en arriver là où il en est aujourd’hui, Dege Legg a eu bien des métiers, donc celui de chauffeur de taxi. De cette expérience, il en a tiré un livre assez fort intitulé Cabdriver

Est-ce que le projet d’écrire un livre sur ton expérience en tant que chauffeur de taxi était quelque chose que tu avais en tête dès le début de ton boulot ?

En fait, j’avais juste besoin d’un putain de travail. J’étais fauché, triste et un peu perdu, mais après quelques jours passés à observer les personnages dans et autour du boulot de chauffeur de taxi – à voir les gens faire des choses bizarres et drôles – j’ai définitivement été inspiré pour documenter cette expérience. J’essaie de tout transformer en art quand la vie craint. Les citrons en limonade. C’est la seule façon de tolérer la quantité massive de conneries auxquelles l’humain moyen est confronté.

Ecrivais-tu tous les jours tel un journal ou t’es tu mis à écrire ce livre après coup, en te basant sur tes souvenirs ?

Je prenais des notes de ce qui se passait dans le taxi, puis je transcrivais et étoffais les notes le lendemain de mon service, avant d’aller travailler le jour suivant. C’était donc un processus constant d’écriture quotidienne. Au moment où j’ai quitté mon emploi, j’avais un fichier Word de 800 pages. Et puis je l’ai finalement révisé, révisé et révisé jusqu’à obtenir une taille raisonnable.

Si tu as écris ce livre au moment où tu étais chauffeur de taxi, pourquoi a-t-il mis autant de temps à être publié ?

Après avoir quitté mon emploi, j’avais besoin d’une longue pause. Je ne voulais plus penser aux gens et aux expériences. C’était comme si j’avais besoin de me désintoxiquer. Mais ensuite, je suis revenu au texte et j’ai commencé à le réviser encore et encore. Et puis j’en avais à nouveau marre. Et puis je reprenais là où je m’étais arrêté. C’est pourquoi cela a pris si longtemps.

Certaines parties de Cabdriver, dans lesquelles tu livres certaines de tes pensées, sont écrites comme des poèmes. Pour ma part, ces textes m’ont rappelé Charles Bukowski. Est-ce l’une de tes influences ? Avais-tu des influences spécifiques pour ce livre ?

J’adore Bukowski et il a définitivement été une influence, tout comme Kerouac, Henry Miller et même Gabriel Garcia Marquez. Les chapitres en prose du livre semblaient mieux fonctionner pour les sections méditatives où je réfléchis à l’expérience au lieu de simplement raconter une autre histoire.

Les textes qui composent ce livre sont souvent courts et bruts. On peut imaginer que, si tu l’avais voulu, tu aurais pu mettre un peu plus de détails. Mais tu ne l’as pas fait. Qu’est-ce qui a motivé ce choix d’être aussi factuel ?

Car je prenais des notes dans les marges de mon journal de bord (où j’écrivais l’adresse et les destinations), le manque d’espace m’a obligé à écrire des phrases et des notes plus courtes. Lorsque je transcrivais les notes, j’aimais l’apparence des phrases courtes et du verbiage sur la page. Cela a influencé la sensation « d’écriture rapide » de la prose du livre et son formatage, car je n’avais pas beaucoup de temps pour prendre des notes tout en faisant le travail, donc le rythme rapide du travail a influencé la vitesse à laquelle le texte s’écoule.

Il y avait cet écrivain français appelé Joseph Ponthus, qui n’a publié qu’un seul livre en 2019, intitulé A la ligne, avant de décéder en 2021 à l’age de 42 ans. Un très beau livre où il écrit sur son expérience de travailleur à la chaine en usine. Mais compte tenu du rythme, de la fatigue et du peu de temps qu’il avait pour écrire, tous ses textes sont écrits de la façon dont il devait travailler. Des textes courts, sans ponctuation, épurés et puissants. Est-ce que tu te retrouves dans cette démarche ?

Oh, complètement. Comme mentionné ci-dessus, le rythme accéléré du travail a influencé la nature de l’écriture. Parfois, les répartiteurs me criaient « Dépêchez-vous ! » Ce genre de stress ne laisse pas beaucoup de temps pour de longs passages fleuris. De plus, les quarts de travail de 12 heures et l’intensité des expériences étaient vraiment fatiguants, donc en quelque sorte ça élimine toutes les conneries de l’écriture de quelqu’un. Pas le temps pour faire joli. 

Peut-être ai-je tort, mais j’imagine que tu n’as pas mis tout ce que tu aurais pu mettre dans ce livre, en tant que souvenirs j’entends. Est-ce qu’il y a des choses que tu as hésité à mettre mais n’as finalement pas mis ? Si oui, pourquoi ?

En bref, oui. Il y avait beaucoup de redondance : différentes personnes ivres faisaient toujours la même chose. Ou différents toxicomanes ou personnes dysfonctionnelles, faisant des choses similaires. Cela devient ennuyeux. Quand les mêmes choses se produisent si fréquemment, cela m’ennuie d’écrire à leur sujet. De plus, il y avait des histoires que je n’arrivais pas à comprendre, alors je les ai laissées de côté. Des trucs qui n’avaient aucune résolution ni signification. Il y en a déjà une partie dans le livre, ainsi que certaines expériences que je n’ai pas pu rendre saisissantes. Il y a eu aussi quelques incidents classés X, mais ils n’étaient en réalité pas très intéressants.

Quand j’ai lu ton livre, j’ai eu l’impression de voir une photo de l’humanité, à un endroit et à un instant donné, qui nous donne un bon aperçu sans filtre de la réalité et de la société dans laquelle on vit. Je suppose que depuis, tu es repassé dans certaines des rues que tu as parcourues en taxi. Est-ce que ce que tu vois aujourd’hui est différent ? Constates-tu une quelconque évolution ?

Cela n’a fait qu’empirer, je pense. Il y a une horrible et triste beauté aux ghettos américains. Je ne sais pas comment y remédier. Ce n’est pas mon travail. Mon travail consistait à le parcourir, à écrire sur les choses que je pouvais comprendre et à continuer d’avancer.

On comprend que tu-as beaucoup été amené à parler avec tes clients. Quelle est la pire ou la plus belle chose que tu aies entendu à ce moment là ?

Oh, c’est difficile. De toutes les personnes, je pense que ce sont les femmes qui disent les choses les plus lourdes. Entendre une femme au cœur brisé dire à propos de son mari : « Il ne veut plus de moi. » Elle pleurait hystériquement.

Tu dis clairement que, pour un chauffeur de taxi, conduire de jour ou de nuit sont des choses très différentes. Que c’est même presque deux mondes différents. Comment expliques-tu cela ?

Les monstres sortent la nuit. Le jour est réservé aux personnes responsables. La nuit, c’est quand ils se transforment tous en vampires, toxicomanes et alcooliques. C’est sauvage. C’est la façon la plus simple que je puisse le dire.

Ton livre m’a beaucoup rappelé Night on Earth, le film de Jim Jarmusch. As-tu déjà vu ce film ?

Je l’ai vu il y a longtemps, mais je ne m’en souviens pas beaucoup. Mais j’aime ses films. Down By Law et Stranger Than Paradise.

Tu as composé une bande-son pour ce livre. Peux-tu m’en dire plus à ce propos ? Comment as-tu procédé ?

Oui, c’est maintenant un album de 36 chansons intitulé Only the Dust. Lorsque j’ai enregistré le livre audio, j’en ai eu marre d’entendre simplement le son de ma propre voix. C’était tout simplement trop sec et plat. Étant musicien et habitué à entendre plusieurs pistes audio sur les compositions de chansons, j’ai commencé à mettre des morceaux de musique d’ambiance originale en arrière-plan pour transmettre davantage de sens et de ton. Et ça a marché. Ça a élevé chaque chapitre du sol jusque dans les airs. Je suis un grand fan de musique d’ambiance, mais ma musique d’ambiance est moins « élévatrice » et méditative, et plus sombre et pensive, ce qui, je pense, fonctionne bien avec le livre.

Est-ce qu’il y a une chanson en particulier qui te rappelle cette période de ta vie en tant que chauffeur de taxi ?

Stone Dead Forever by Motorhead ou In The Wee Small Hours Of The Morning by Frank Sinatra.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait devenir chauffeur de taxi ?

Même conseil que les chauffeurs de taxi chevronnés m’ont donné : « Faites confiance à votre instinct ».

As-tu recroisé le manchot (un client récurrent et haut en couleur)?

Non. Cependant, j’ai entendu des gens dire qu’il était devenu sobre et qu’il menait désormais une belle vie.

Est-ce qu’aujourd’hui tu vis de ta musique ou est-ce que tu continues d’enchainer les boulots ?

Heureusement, je suis maintenant musicien, écrivain et artiste à plein temps.

As-tu d’autres expériences sur lesquelles tu as ainsi écrit et qui, peut-être, pourraient un jour faire l’objet d’un livre ?

Oui, je travaille déjà sur mon prochain livre, qui s’appellera Roadlog. C’est une collection de toutes mes histoires de tournée au cours de mes 20 années passées dans différents groupes. Ça devrait être bon. Écrit dans le même style et format que Cabdriver. J’ai beaucoup de bonnes histoires sur toutes les choses folles que font les musiciens, semblables aux gens du taxi à bien des égards.

As-tu des projets musicaux à venir ?

Nouvel album à venir en mars 2024.

As-tu lu un ou des livres dernièrement que tu recommanderais ?

J’aime les livres de non-fiction sur la survie.

Endurance : L’incroyable voyage de Shackleton d’Alfred Lansing

Skeletons on the Zahara de Dean King

Aussi loin que mes pas me portent de Josef M. Bauer

Depuis que ta chanson Too old to die young a figuré dans la bande son de Django Unchained de Tarantino, à chaque fois que l’on te présente, on te lie à ce film et à Tarantino. As-tu encore des nouvelles de lui ?

Tarantino est le meilleur. Il a des couilles, de l’intellect et une vision. On ne peut pas en demander beaucoup plus.

Brother Jo.

Entretien réalisé en novembre 2023 par mail.

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Is the project of writing a book on your experience as a cabdriver something that you had in mind since the beginning of your job?

Actually, I just needed a damn job. I was broke, sad, and kind of lost, but after a few days of observing the characters in and around the cab job – seeing people do weird and funny stuff – I definitely became inspired to document the experience. I try to turn everything into art when life sucks. Lemons to lemonade. It’s the only way to tolerate the massive amount of bullshit that the average human is confronted with.

Did you really write it every day as a diary or did you start later on based on your memories?

I took notes of things were happening in the cab and then I would transcribe and flesh out the notes the day after my shift, before I went to work the following day. So it was a constant process of writing daily. By the time I quit the job, I had a 800-page Word file. And then I eventually revised and revised and revised it down to a manageable size.

If you wrote that book at the time when you were a cabdriver (2003-2008), why did it take so many years to be published?

After I quit the job, I needed a long break. I didn’t want to think about the people and the experiences anymore. It was like I needed to detox. But then, I came back to the text and began the process of revising it over and over. And then I would get sick of it again. And then I would pick up where I left off. That’s why it took so long.

Some parts of Cabdriver, in which you open up about some of your thoughts, are written as poems. Those texts reminded me of Charles Bukowski. Is he one of your influences? Did you have any specific influences for that book?

I love Bukowski and he was definitely an influence as well as Kerouac, Henry Miller, and even Gabriel Garcia Marquez. The prose chapters in the book seemed to work better for the meditative sections where I’m reflecting on the experience instead of just telling another story.

Your texts in that book are often short and raw. We can imagine that, if you wanted to, you could have put some more details. But you didn’t do it. What has motivated that choice to be that factual?

Because I took notes in the margins of my log book (where I’d write address and destinations), the space limitations made me write shorter sentences and notes. When I would transcribe the notes, I liked the way the shorter phrases and verbiage looked on the page. That influenced the “speed writing” prose feel of the book and formatting, because I didn’t have a lot of time to take notes while actually doing the job, so the quick pace of the work influenced the speed at which the text flows.

There was this French writer named Joseph Ponthus who published only one book in 2019 called A la ligne before passing in 2021 at the age of 42. A beautiful book on his experience as a worker on production lines. But because of the pace, the tiredness and the little time he had to write, all of his texts are written the way he had to work. They are short, raw, with no punctuation but very powerful and true. Do you recognize yourself in that approach?

Oh, completely. As mentioned above, the accelerated pace of the job influenced the nature of the writing. Sometimes I was getting yelled at by the dispatchers to “Hurry up!” That kind of stress doesn’t give one a lot of time for long, flowery passages. Also, the 12-hour shifts and the intensity of the experiences were really tiring, so that kind of squeezes all the bullshit out of one’s writing. There’s less energy for putting lipstick on a pig.

Maybe I am wrong, but I imagine that you didn’t put everything you could have put in that book, in terms of memories I mean. Are there things that you have hesitated to put in that book but finally didn’t? If yes, why? 

In short, yes. There was a lot of redundancy: different drunk people doing the same thing over and over. Or different drug addicts or dysfunctional people, doing similar things. That gets boring. When the same things happen with such great frequency, I become bored writing about them. Also, there were stories that I couldn’t make sense of, so I left them out. Stuff that didn’t have any resolution or meaning. There’s some of that already in the book, but some experiences I couldn’t make jump off the page. There were also a couple X-rated incidents, but they were actually not that interesting.

When I read your book, I had that feeling of seeing a picture of humanity taken at a given place and time, which gives us a good insight without a filter of the reality and the society in which we live. I suppose that since you have come back in some of the streets where you have wandered in with your cab. Do you see any difference today? Do you observe any evolution, good or bad?

It’s only gotten worse, I think. There’s a horribly, sad beauty to American ghettos. I don’t know how to fix it. That’s not my job. My job was to drive through it, write about the stuff I could make sense of, and keep moving.

We understand that you are often required to speak with your clients. What is the worst or the most beautiful thing you’ve heard at that time?

Oh, that’s hard. Out of all the people, I think women say the heaviest things. Hearing a heartbroken woman say about her husband, “He doesn’t want me anymore.” She was crying, hysterically.

You clearly say that for a cabdriver, driving during the day or the night are very different things. That it is almost two different worlds. How do you explain that?

The freaks come out at night. Daytime is for the responsible people. Nighttime is when they all turn into vampires and drug addicts and alcoholics. It’s wild. That’s the simplest way I can put it.

Your book reminded me a lot of Night on Earth, that Jim Jarmusch movie. Have you seen it?

I saw it a long time ago, but I don’t remember much about it. I like his movies, though. Down By Law and Stranger Than Paradise.

You have composed a soundtrack for that book. Can you tell me more about it? How did you proceed? 

Yes, it’s now a 36-song album called Only the Dust. When I recorded the audiobook, I became bored with just hearing the sound of my own voice. It was just too dry and flat. Being a musician, and used to hearing multiple tracks of audio on song compositions, I started putting bits and pieces of original, ambient music in the background to further convey meaning and tone. And it worked. It lifted each chapter off of the ground into the air. I’m a big fan of ambient music, but my ambient music came out sounding less “uplifting” and meditative, and more dark and pensive, which I think works well with the book.

Is there a song in particular which reminds you of your time as a cabdriver?

Stone Dead Forever by Motorhead or In The Wee Small Hours Of The Morning by Frank Sinatra.

What advice would you give to someone who would like to become a cabdriver?

Same advice the veteran cabdrivers gave me, “Trust your gut.”

Have you met again the one-armed client?

I have not. However, I have heard reports through people that he got sober and is living a good life now.

Today do you live of your music or do you still have to do all kinds of jobs?

Thankfully, I am a full-time musician, writer, and artist now.

Do you have other experiences on which you have written and might maybe one day become a book?

Yes, I am already working on my next book, which is going to be called Roadlog. It’s a collection of all my tour stories over the course of 20-years of being in different bands. Should be good. Written in the same style and formatting as Cablog. I’ve got a lot of good stories about all the crazy things musicians do, similar to the cab people in a lot of ways.

Do you have new music projects to come?

New album coming in March 2024. 

Have you read one or some books recently that you would recommend?

I like nonfiction books about survival.

Endurance: Shackleton’s Incredible Voyage by Alfred Lansing

Skeletons on the Zahara by Dean King

As Far as My Feet Will Carry Me by Josef M. Bauer

Since your song Too old to die young ended up in the soundtrack of Django Unchained, every time you are introduced somewhere you are bound to that movie and to Quentin Tarantino. Do you still have news from the man? 

Tarantino is the best. He’s got balls, intellect, and vision. Can’t ask for much more.

Brother Jo / Nyctalopes.com

CABDRIVER de Dege Legg / Editions du Sonneur

Cablog, Diary of a Cabdriver

Traduction: Dennis Crowch

« Chaque boulot est sa propre aventure. Conduire un taxi la nuit à Lafayette en Louisiane n’a pas fait exception.

Il y a eu des hauts exaltants, des bas dévastateurs, des moments de terreur, d’hilarité, d’invraisemblable absurdité, et des nuits sans fin de banale routine, ponctuées d’épisodes touchants, capables de vous faire sereinement retrouver foi en l’humanité. Ce fut une sacrée virée. […]

C’était mon job, et voici mon livre. Bon voyage. »

Le nom de Dege Legg ne vous évoque peut-être pas grand-chose, mais pourtant, il a comme qui dirait roulé sa bosse. Il écrit, il voyage et surtout, ce pour quoi on le connaît le plus, il est un musicien averti qui, sous le blase Brother Dege (notamment mais pas que), a déjà enregistré une belle collection d’albums. Cela ne vous dit toujours rien ? Mais si, souvenez vous le film Django Unchained de Tarantino, avec le titre le plus marquant de la bande-son, j’ai nommé Too old to die young. C’était lui. Cela lui a d’ailleurs valu une nomination aux Grammy Awards mais ne l’a pas empêché de rester terré en Louisiane. Dege Legg est donc un artiste, et pour survivre dans son Sud profond des Etats-Unis, il aura eu toute une pelletée de jobs. Faut ce qu’il faut pour casser sa croûte. Parmi ces boulots, il exerça celui de chauffeur de taxi de 2003 à 2008. De cette expérience, il en a tiré un livre. Edité en 2020 outre-Atlantique, Cabdriver est désormais publié en France, aux Editions du Sonneur.

Quand je pense taxi, je pense indubitablement vie nocturne et ce sont deux films qui me reviennent à l’esprit. Il y a bien évidemment le culte Taxi Driver de Martin Scorsese, mais aussi Night on Earth de Jim Jarmusch. Alors si les taxis roulent aussi de jour, Dege Legg fut bien chauffeur de nuit. Une toute autre ambiance que celle des rues la nuit. L’humanité y prend parfois un tout autre visage…

Tel un journal de bord fragmenté, ce sont de courts épisodes de vie que nous donne à lire Dege Legg. Écrits à l’os, ces textes ne font que quelques lignes, et jusqu’à deux ou trois pages maximum. Il va droit à l’essentiel. Parfois, aussi, il couche sur papier quelques pensées, façon poèmes à la Charles Bukowski. Point de superflu. C’est brut, pur et assez fascinant. D’une course à une autre, une rue après l’autre, d’une rencontre à une autre, on voyage dans les entrailles de l’humanité. Ces petites chroniques, ces souvenirs mis bout à bout, se font le miroir d’une Amérique souvent sur la brèche. On rit beaucoup. Mais on pleure aussi. Un impressionnant panel de personnalités défilent au gré de ses interactions avec ses clients. C’est sombre, violent, beau, touchant, dur, et j’en passe. En toile de fond, souvent, une certaine misère. Des gens pauvres, abandonnés (les ravages de Katrina ne sont pas loin), perdus, infectes, allumés, flippants, abîmés, on voit vraiment de tout ou presque. Et ces moments, aussi courts soient-ils, disent tous quelque chose du monde dans lequel on vit.

Ecrit simplement et avec sincérité, Cabdriver est un instantané, aussi crépusculaire que lumineux, des bas-fonds de la vie. Avec Dege Legg pour chauffeur, on plonge en taxi dans les vicissitudes de la vie et on parcourt les fêlures, les travers et les plaies du tout un chacun. Une courte lecture qui en dit long sur l’humanité. 

Brother Jo.

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