Encore un premier roman de grande qualité dans la collection « Terres d’Amérique » d’Albin Michel qui est, je l’ai dit à maintes reprises, coutumière du fait. L’auteur, Bret Anthony Johnson, enseigne la littérature à Harvard, cela se voit, et est aussi un grand fan de skate et cela se voit également.
Alors le magazine Esquire a écrit « comme un roman de Dennis Lehane qui aurait été écrit par Jonathan Franzen » et ce n’est pas faux mais cela mérite néanmoins quelques précisions. S’il est vrai qu’il reprend un thème cher à l’écrivain de Boston avec l’histoire de la disparition d’un enfant, il se rapproche néanmoins beaucoup plus des univers familiaux traités par Franzen. Bref, « Souviens-toi de moi comme ça » n’est absolument pas un thriller mais bien un drame psychologique puissant, tendu, au suspense très intermittent et surtout secondaire.
« Cela fait quatre ans que le jeune Justin Campbell a disparu sans laisser de trace. Fugue ? Kidnapping ? Accident ? C’est une véritable tragédie pour sa famille qui, faute de certitudes, cherche des échappatoires. »
Gros roman, « Souviens-toi de moi comme cela » est divisé en quatre parties relativement égales commençant par une radiographie de la famille. Eric le père, professeur, tente d’échapper à sa détresse dans les bras d’une autre femme. Laura la mère, anéantie, en plus de son travail dans un pressing, retarde ses retours à la maison en s’occupant bénévolement de dauphins malades. Griff le frère cadet de Justin tente de vivre sa vie d’ ado en se demandant s’il devient amoureux et Cecil le grand-père continue comme son fils Eric à placarder des portraits de Justin un peu partout dans les environs de Corpus Christi au Texas. Une famille détruite qui a volé en éclats quatre ans plus tôt quand Justin 11 ans à l’époque, après une dispute avec son frère est parti faire du skate seul et n’est jamais rentré. L’auteur raconte la tragédie que vivent chacun à sa manière les quatre personnages: le poids de l’absence, le désespoir, la résilience, l’horreur d’une mère, la culpabilité d’un père, le sentiment de faute répétés jour après jour, nuit après nuit…
Et puis Justin est retrouvé et dans cette deuxième partie, avec un grand sens du détail, en dévoilant l’invisible, Johnson nous raconte l’euphorie des retrouvailles puis l’horreur de la réalité, les fondements de la captivité de Justin à quelques kilomètres de la maison puis le dur apprentissage d’une nouvelle vie en famille après quatre ans de séparation, et toutes ces interrogations liées à la vie de cet ado loin de ses parents, beaucoup d’interrogations et la prose de Johnson est ici très pudique, très précise, décrivant avec minutie le cheminement intellectuel de chacun, les mystères provoqués par Justin dont chaque fait ou geste est observé, analysé ou interprété à tort comme à raison…
Mais le ravisseur est relâché dans l’attente d’un procès où il compte plaider non-coupable et à nouveau le cauchemar refait surface pour cette famille qui a déjà du mal à revivre en harmonie…et bien sûr apparaissent évidemment les sombres desseins, les idées de vigilantisme, la volonté de réparation…
« Ce qu’il voulait, c’était que Justin hurle et l’injurie. Qu’il le couvre de reproches. Le punisse. N’importe quoi aurait été plus supportable que la pitié. Quand son fils quitta la pièce,Eric fut dégoûté par la profondeur de son soulagement. Pathétique, se dit-il. Impardonnable. »
Grand premier roman qui, par son analyse précise, minutieuse, intelligente et étonnamment empreinte de justesse et de pudeur des comportements de chacun des membres d’une famille dans le marasme, crée une atmosphère effroyablement sombre dont le lecteur patient subira rapidement, lui aussi, les terribles effets.
Redoutable.
Wollanup.
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