Andrée A. Michaud est l’auteure québécoise de ce roman paru en 2013 et récompensé à plusieurs reprises outre-atlantique dans sa partie francophone.
« À l’été 67, une jeune fille disparaît dans les épaisses forêts entourant Boundary Pond, un lac des confins du Québec rebaptisé Bondrée par un trappeur mort depuis longtemps. Elle est retrouvée morte. On veut croire à un accident, lorsqu’une deuxième adolescente disparaît à son tour… »
Les femmes sont à l’honneur chez Rivages en cette rentrée: Jane Smiley et Emily Saint John Mandel pour les romancières reconnues internationalement et donc maintenant Andrée Michaud qui n’est pas totalement inconnue chez nous puisqu’un de ses précédents polars est paru en France et qui, par cette histoire, devrait atteindre une reconnaissance amplement méritée.
Alors, premièrement, vous l’aurez compris par le résumé de l’éditeur un tueur rôde dans cette communauté installée dans des chalets de vacances autour d’un étang à cheval sur la frontière entre le Canada et les Etats Unis. C’est une période heureuse, les familles profitent de l’été , « Lucy in the sky with diamonds » dans le transistor, les épouses semblent passer leur temps à préparer des gâteaux tandis que les maris pêchent ou chassent. Bel été, loin des clameurs du monde, le français et l’anglais se côtoient dans les conversations lors des barbecues nocturnes quand la bière a échauffé les esprits pour devenir un franglais cocasse agrémenté de pointes lexicales québécoises que nous, Français, adorons, entendre avec un brin de curiosité condescendante.
Et dans ce petit éden, rêvent de petites ados en passe de devenir des lolitas mais que la plupart des hommes voient finalement comme des gamines qu’elles sont toujours même si de récentes formes féminines, des attitudes, tendent à faire penser qu’elles ont passé un cap,quitté l’innocence de la tendre enfance. Et c’est sur elles que va tomber la foudre. Une première victime puis rapidement une deuxième pour énoncer l’horreur et prouver qu’un salopard est tapi dans la forêt aux alentours de ce havre si hospitalier.
C’est à ce moment que l’on remarque l’omniprésence des hommes, des maris, des pères, des frères qui par leur agitation, leur douleur, leur colère, leurs soupçons, leurs initiatives, leurs muscles, leur détresse occupent tout le devant de la scène. Ils sont rejoints par Michaud, flic américain ne parlant pas un traître mot de français malgré un patronyme qui trahit des origines francophones. Personnage hanté par une autre histoire de jeune fille assassinée, Michaud flic expérimenté paraissant usé par son boulot vit très mal cette affaire qui le ramène à son échec précédent.
De facture très classique, Bondrée ne vous séduira sûrement pas par son aspect thriller mais ce huis-clos est absolument à lire tant la plume de Andrée Michaud est belle, travaillée avec malice parfois et classe toujours. Certains magnifiques passages se superposent à un ton général de haute tenue qui donne à la lecture un ton désuet, mélancolique qui sied parfaitement à l’atmosphère générale d’une histoire qui semble au départ suspendue hors du temps pour mieux accélérer sur la fin dans une symphonie triste de la douleur, de la perte et de l’incompréhension jusqu’au dénouement dramatique et tellement regrettable, une vérité qu’ apporteront finalement les femmes, les petites filles moins visibles mais finalement bien plus présentes que la gente masculine. Elles dévoileront cette lumière sale qui souillera, tuera un si joli petit coin, jusqu’à ce qu’un jour, une autre génération reprenne possession de ces lieux oubliant qu’à une époque la mort a frappé si sauvagement et de manière si injuste.
Si le roman ne brille pas par ses péripéties, il offre, par contre de très belles scènes et des passages beaux, tellement beaux comme les paroles d’une petite fille à propos de sa mère.
« Le soleil faisait étinceler le cercle jaune qui se diluait autour de ses iris, pareil à un anneau de minuscules pépites en fusion. Il y avait un tel amour dans ces yeux que j’avais pensé que jamais, de toute ma vie, je n’en reverrais de si beaux. J’ avais détourné le regard pour ne pas être pétrifiée… »
Insidieuse, la plume de Michaud instille une petite musique qui ne s’arrête pas une fois la dernière page tournée, imposant une réflexion sur l’humain, sur le temps qui passe et relativise les plus grands drames, les immenses douleurs… la marque des grands romans.
Outrageusement beau.
Wollanup.
PS1: une belle chronique québécoise du roman.
http://www.hopsouslacouette.com/2016/09/bondree-andree-michaud.html
PS2: un petit clin d’œil amical, l’intéressé se reconnaîtra. Je ne cite pas le traducteur et le félicite encore moins parce que tout simplement le roman est écrit en français, Tabernacle!
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