Cette année particulièrement maussade et qui m’aura, par moments, hélas, passé l’envie de lire, a cependant très certainement durci mes choix en matière de lectures. La réalité étant souvent bien plus terrible que la grande majorité des fictions lues, le choix de dix romans marquants pour 2020, s’est avéré, maigre consolation, beaucoup plus aisé qu’à l’accoutumée.
Cinq ricains, quatre d’expression française et un… grec sembleraient montrer que mes choix se sont portés vers les zones de confort et pourtant la petite centaine de romans initiale a rencontré la même multitude d’univers géographiques et affectifs que tout lecteur rencontre dans son aventure romanesque.
Il y a bien sûr les romans ordinaires, mais aussi ceux qu’on ne comprend pas, ceux qui incitent à se pencher sur l’état mental de l’auteur ou à s’interroger sur la pertinence d’écrire sous coke, mais aussi les romans facebook avec des auteurs qui s’agitent quotidiennement pour nous rappeler qu’ils existent, de grands prêtres avec leurs hordes d’adorateurs et qui ont la magnifique capacité à passer de hyène à blanche colombe au moment de leurs sorties… On a tous connu aussi les romans dont on arrête la lecture à un moment pour revenir en amont car nos pensées ont vagabondé, les romans dont on admire la pugnacité de l’auteur à finir une histoire qui était sûrement une mauvaise idée au départ. Et que dire des romans qu’il vous semble avoir lu des dizaines de fois déjà, des personnages rencontrés des centaines de fois et puis tous ces romans que la quatrième de couverture rend imbuvables, toutes les couvertures répulsives,( la palme à Actes Noirs qui nous rappelle que “peu importe le flacon..”!), les novellas bâclées qui sentent le roman avorté, les recueils de nouvelles transformés en romans, les erreurs de casting, les recommandations bien déplacées et toutes ces romans dont vous ne gardez aucun souvenir une quinzaine plus tard, les romans qui puent la putasserie, l’opportunisme, les écrits dont vous n’avez pas aimé le style, l’écriture, les bouquins trop pauvres et les trop riches, les histoires que vous rejoignez au mauvais moment, ratant ainsi votre rendez-vous, les romans qui vont font passer un bon moment mais très fugitif, les bandeaux rouges à la con… Et bien sûr, chacun avec sa sensibilité, ses goûts, ses habitudes, sa générosité, sa tolérance ou son impatience…
Et puis il y a les autres romans, les bons, les grands, ceux qui vous restent en tête longtemps, qui vous ont impressionné, rendu humble, qui vous ont choqué, émerveillé, rendu malheureux comme les pierres et finalement marqué durablement. Vous savez ces journées au boulot que vous traversez, absent, avec “la soustraction des possibles” ou “les abattus » sous la main et que vous rejoignez dès que vous avez un minute, ces nuits que vous traversez en solitaire la mort dans l’âme avec les “Nickel Boys” ou en “Ohio”, ces moments terribles où “ le sang ne suffit pas” pour calmer vos “nuits rouges” maltraitées par “les dynamiteurs”, ces voyages qui vous entraînent aux confins de l’horreur avec “le plongeur ou à “Mogok”, brisant peut-être “ce lien entre nous”.
Peut-être représentatifs de cette terrible année, tous ces romans sont particulièrement noirs, de la plus sombre des nuances où la rédemption et la résilience sont absentes, où l’éclaircie est toujours de courte durée, des romans qui agressent, qui cognent, qui vous interrogent sur la nature humaine et titillent méchamment votre propre humanité, votre intimité… Aucun souvenir d’une sélection personnelle annuelle ressemblant tant à une “cour des miracles”, un tel pandemonium. Pas de réconfort à attendre des histoires mais par contre un bonheur constant à lire ces plumes toutes divines, à parcourir ces constructions malines ou réellement admirables au service de torrents de malheur, de cruauté, de courage, de misère sociale et intellectuelle.
Six confirmations et quatre premiers romans classés uniquement par ordre de sortie. Néanmoins la présence de Joseph Incardona en haut du classement reflète bien que “La soustraction des possibles” est, de loin, ce que j’ai lu de mieux, de plus puissant en 2020. J’envisage d’ailleurs de porter plainte contre l’auteur qui me maltraite à chacun de ses romans, cela doit pouvoir s’apparenter à une forme de masochisme chez moi.
LA SOUSTRACTION DES POSSIBLES de Joseph Incardona / Finitude.
« Une fois de plus, Incardona dépèce ses personnages, les met à nu dans leur apparence la plus vile, la plus sale et nul doute que chacun pourra y retrouver un aspect de sa personnalité qu’il cherche à cacher ou à ignorer. Les multiples digressions qui souvent font mouche, les remarques sur la nature humaine, sur les salauds qui nous cassent, donnent une énorme puissance à un roman particulièrement pointu dans ses descriptions et servi par une très, très belle plume imprégnée de morgue et de mépris. «
LES ABATTUS de Noëlle Renaude / Rivages.
« Voilà un roman qui pourrait n’être que la chronique très dure d’un enfant puis d’un adulte de la fin du XXème siècle si ne s’accumulaient autour de lui, dans son sillage, des tragédies, des horreurs et des meurtres. Articulé en trois parties très inégales dans la densité: les vivants, les morts et les fantômes, le roman est un véritable polar qui se double d’une dimension sociale avec le portrait d’une France provinciale des petites villes avec ses gueux, ses prolos et ses nantis de la bourgeoise locale, deux mondes, deux entités qui se côtoient mais ne se mélangent pas. Le style peut paraître bien quelconque, il ne l’est pas, parfaitement adapté aux tragédies qui peuplent le roman, au discours des personnages qui s’y perdent, s’y débattent avec leurs monstres intimes. » Rendre passionnantes misères sociale et intellectuelle n’est pas un mince exploit pour un premier roman.
LE SANG NE SUFFIT PAS d’Alex Taylor/ Gallmeister.
« De manière générale, Alex taylor montre les affres de la psyché humaine, les limites de l’entendement, l’animalité ordinairement cachée qui se dévoile dans la terreur, la perte de conscience: l’homme est un loup pour l’homme. L’histoire de cette colonie dans un hiver à fendre les pierres est éprouvante mais magnifique, interroge sur les comportements, les choix, montre la barbarie à visage humain, l’aveuglement généralisé, accepté par une communauté. « Quelle plume !
OHIO de Stephen Markley / Albin Michel.
“Ohio” est le roman de l’enclavement, de la récession, de l’isolement, du désabusement d’une jeunesse paumée, des mauvais choix, des regrets, des traumatismes adolescents qui bousillent toute une vie, des amours interdites, des passions éternelles, des addictions, de la guerre. “Ohio” est un roman éminemment politique, ça cogne dur, ça saigne, salope l’auréole de « Barack”et en même temps” Obama”, et effectue une troublante radioscopie d’une population qui va voter en masse Trump quelques années plus tard. « Grand Prix de la littérature américaine 2020 et en cours d’adaptation par HBO. What else?
NICKEL BOYS de Colson Whitehead / Albin Michel / Terres d’Amérique.
« Il m’est impossible de comprendre et encore plus d’expliquer en quoi “Nickel Boys” est magique… Tout est fluide, brillant, les enchaînements sont parfaits, la poésie offre des moments divins, en apesanteur… Une fois la lecture commencée, toute interruption ressemble à une trahison vis à vis d’Elwood et Turner et de leur martyre et donc on continue, noué, mal à l’aise jusqu’à un twist final génial aussi effroyable qu’inattendu. » Ce monsieur a pris la fâcheuse manie de remporter le Pulitzer chaque fois qu’il sort un roman. Nickel !
LES DYNAMITEURS de Benjamin Whitmer / Gallmeister.
« Continuant son credo d’une histoire de la violence aux USA, il creuse à nouveau et plus profondément dans le passé pour nous conter violemment le cloaque de Denver à la fin du XIXème siècle. » Dickens dopé au Tarantino.
CE LIEN ENTRE NOUS de David Joy / Sonatine.
« David Joy voulait créer un personnage ressemblant à Lester Ballard d’ “Un enfant de Dieu” de Cormac McCarthy et il l’a réussi certainement bien au delà de ses espérances tant la vengeance de Dwayne distille horreur mais aussi d’autres sentiments d’empathie bien plus troublants, créant un climat bien étouffant, imprévisible jusqu’à la dernière ligne. On est souvent secoué par les faits mais aussi par la réflexion que la prose de David impose. Il n’y pas de blanc et de noir, tout est gris, les victimes agissent comme des bourreaux tandis que les prédateurs font preuve d’une intelligence et d’une mansuétude inattendues. « L’habitude est prise, David Joy, ce pote qu’on aime retrouver.
LES NUITS ROUGES de Sébastien Raizer / Série Noire.
« De manière plus générale et parce qu’ils ne sont pas légion, ne ratez pas le polar français de l’année. » Sébastien Raizer a arrêté d’emmerder les planètes et revient sur Terre, sur ses terres. Il n’est pas là pour plaisanter et il s’en prend à ceux qui ont flingué sa Lorraine.
LE PLONGEUR de Minos Efstathiadis / Actes noirs / Actes Sud.
« C’est tout simplement du Thomas H. Cook et ses histoires d’amour dramatiques, du Indridason de la grande époque de “la femme en vert” pour le rythme, la parole donnée aux anonymes. Il se dégage beaucoup d’émotion dans la deuxième partie, un inquiétant crescendo qui culminera en fin de roman vers l’abomination ou à la stupéfaction pour le moins ». Un final glaçant .
MOGOK d’Arnaud Salaün / Le Seuil.
« La plume de Salaün est vive, précise, souvent belle, offrant uniquement les seuls détails nécessaires mais créant d’emblée l’ambiance. Satire sociale aussi acerbe qu’inattendue, Mogok renvoie parfois vers des océans de solitude, de tristesse… » La très belle surprise de fin d’année, bretonne de surcroît, un auteur assurément à suivre.
Peut-être que ce ne sont pas les meilleurs, sûr que j’en ai oublié, certainement que je ne sais pas su saisir la beauté d’une écriture, forcément que je suis resté insensible à certains élans, évidemment que je n’ai pas su saisir la poésie ou la prouesse, sûrement, sûrement, mais ces dix romans, eux, m’ont flingué, tous, et c’était bien… A vous de voir maintenant. Je vous souhaite pareil bonheur.
Et puis relativiser, toujours bien garder en tête ce que chante si bien Mustang…
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