Chroniques noires et partisanes

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LE TABLEAU DU PEINTRE JUIF de Benoît Séverac / La Manufacture de Livres

 — Très bien. Ainsi tu pourras prendre le tableau.

 J’ai un moment d’hésitation. Ai-je oublié une conversation à propos d’un tableau ?

 — Le tableau ? Quel tableau ?

 — Celui du peintre juif.

 Nouveau temps de réflexion. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

 — Quel peintre juif ?

 — Les gens que tes grands-parents ont cachés dans leur grenier pendant l’Occupation. 

 — Grand-papa et grand-maman ? Ils ont caché des Juifs à Génolhac ?

À 50 ans passés Stéphane découvre une histoire vieille de 75 années. Il est marié à Irène et au chômage dans une région à l’écart. Un peu dépassé par la vie aussi. Le tableau arrive et se transforme en pomme de discorde. Le vendre et résoudre les multiples problèmes financiers du couple comme le souhaite Irène, le garder pour ce qu’il représente de courage familial ?
Stéphane, le petit-fils, a l’idée de demander le statut de Justes pour ses grands-parents auprès de Yad Vashem à Jérusalem.
On voit le couple se déchirer. Stéphane se réfugie de plus en plus à l’intérieur de lui-même, dans une histoire familiale dont il aurait souhaité être le héros à défaut de se voir comme un raté. Il ira jusqu’à s’envoler pour Israël à la demande du comité d’attribution du titre de Justes.

 Dans un récit parallèle savamment distillé, Benoît Séverac nous raconte les déboires d’Eli Trudel, l’artiste peintre du titre, et de son épouse Jeanne Fredon, dans le sud de la France puis en Espagne entre 1943 et 1944. 

 Difficile d’en dire plus sans dévoiler l’intrigue. Toujours est-il que ce voyage en Terre Sainte ne se passe pas vraiment bien. Ce pauvre Stéphane se retrouve pris dans un imbroglio avec la police israélienne, l’ambassade de France, et les experts de Yad Vashem. Avec en sus une assignation à résidence dans un appartement proche du taudis.

 “Les doutes qui m’assaillent depuis plusieurs semaines reviennent à la charge, encore plus forts. Qu’est-ce qu’il va m’arriver si je n’obtiens pas la reconnaissance que j’espère pour mes grands-parents ? Cela n’empêchera pas que ce qu’ils ont fait était grand et beau. Cela n’empêchera pas que ce sont eux qui l’ont fait, et pas moi. Donc qu’ils soient reconnus comme Justes ou pas ne changera rien à ma faillite et à mon incapacité à rebondir.”

L’écriture de Benoît Séverac est précise, on sent que chaque mot est à sa place. Se dégage aussi une certaine ferveur de la part de l’auteur pour cette histoire.
 Le Tableau du peintre juif  est sérieusement documenté, les remerciements détaillés sont à ce titre éclairants, c’est rare et mérite d’être souligné. Ce n’est pas un roman policier, plus un roman noir, ou plutôt gris anthracite, une énigme où l’enquête prévaut sur le reste. Quelle est l’histoire de ce tableau coincé dans les plis de l’Histoire ? Qui sont vraiment Eli et Jeanne Trudel ? Quel est le but de leur fuite vers l’Espagne ? Voilà ce à quoi Stéphane devra répondre s’il veut retrouver tout ce qu’il a perdu lors du premier tiers du roman.

 Stéphane, voilà un personnage ambivalent, on ne sait jamais s’il est idéaliste ou superbement naïf tant il fait preuve d’une obstination sans bornes pour un projet qui est au choix tout à fait honorable ou carrément catastrophique. On le voit se perdre, se tromper lui-même avec acharnement. Est-il attendrissant ou simplement détestable ? Son entêtement le mènera pourtant bien vers le bout d’un chemin. C’est une véritable odyssée qui lui permettra de découvrir sa vérité, d’évacuer ses peurs, ses fautes, et enfin de faire face à ses contradictions.

NicoTag

115 de Benoît Séverac / La manufacture de livres.

Tout part du postulat que pour une même scène, suivant notre éducation, notre profession, notre niveau socio-culturel, la perception constituée accouchera d’une vision parfois aux antipodes et les faits relatés aux prismes antagonistes. C’est aussi cette vision de notre société qui fait l’objet de ce roman.

« Lors d’une descente de police dans un camp de Gitans, NathalieDecrest, chef de groupe dans un commissariat de quartier, découvre des jeunes Albanaises, cachées dans un container pour échapper à leur proxénète.

De son côté, le docteur Sergine Hollard, vétérinaire, projette de créer une clinique ambulante pour les chiens des SDF. Lors d’une consultation, elle fait la connaissance d’Odile, une sans-abri victime de deux sœurs tyranniques, et de Cyril, un jeune autiste qui vit à la rue, également sous leur coupe.Les univers de la prostitution et des grands précaires vont se croiser.Policière et vétérinaire en connaissaient les lisières ; elles vont en découvrir la violence. »

Toulouse et le personnage récurrent de Sergine Hollard doté de tous les attributs de la ville rose jusqu’aux bouts des phalanges représentent le décor à cette série engagée par son précédent ouvrage Le Chien Arabe. A la lecture de ce précédent effort mon ressenti était le suivant : Un fond scénaristique et une structure ambitieux mais l’ingrédient principal, le piment ne me paraissait pas assez connoté… Un livre qui se lit bien, des personnages attachants, des questions sociétales se posent, en particulier la place de la femme au sein d’une religion, de la famille. La dégradation de pans entiers de la Cité par des rouages fourbes et tapis dans des politiques infondées, se désolidarisant des citoyens et leurs problématiques, envahit notre quotidien en détériorant les interactions humaines. De ce nouvel acte mes sensations sont relativement similaires.

Sergine Hollard vétérinaire de son état, ancienne rugbyman s’y référant régulièrement, a ce don de l’empathie, de la philanthropie et une manie « réflexe » à se plonger dans les ennuis, dans des difficultés inextricables la mettant en porte à faux avec les services de l’ordre public de manière récurrente. Séverac nous plonge dans un contexte lourd, poisseux, interlope où « communiquent » prostitution, sans domicile fixe et associations tentant d’apporter une aide sociale, humaine à ses délaissés de la vie à la lisière de nos sociétés. Et c’est avec ses épaules, son abnégation, son cœur que Sergine se rue vers ses projets brisant le consensus. Les scories de la vie coalescentes affluent alors présentant ce tableau dont le rendu peut donc être divergent selon nos perceptions explicitées en liminaire.

Ce roman présente, à mes yeux, plus un profil d’un documentaire journalistique, où manque la dimension littéraire, mais il est indéniable que l’on s’attache aux personnages ainsi qu’à cette série éventuelle.

Docu choc délesté du poids des mots !

Chouchou.

 

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