Attention, cette histoire est puissante, ce bouquin risque de vous sauter à la figure tant le roman d’ Atticus Lish, son premier et récompensé en 2015 du « PEN/Faulkner Award », est un vrai grand roman.

Zou Lei est une jeune femme chinoise d’origine ouïghoure musulmane de la région du Xinjiang. Elle a vécu l’exclusion de part ses origines et de part sa religion dans son propre pays et décide de tenter l’Amérique. Arrivant en temps que clandestine en Caroline au milieu des années 2000, dans une Amérique en proie aux affres du traumatisme du 11 septembre, elle subit l’exploitation des boulots clandestins sous payés, les rafles, le mépris des Américains mais aussi de ses compatriotes, l’incarcération et elle décide un jour de monter à New York.

Brad Skinner, lui, est un GI américain rentrant au pays après trois missions en Irak où il a connu des blessures physiques, des plaies morales. En fait, il est surtout dézingué dans sa tête, carbonisé, perdu pour/dans son pays et tente lui aussi l’aventure à New York.

Zou Lei veut vivre, veut travailler, juste s’en sortir, elle ne croit déjà plus au rêve américain si tant est qu’elle y ait cru à un moment. Skinner n’a plus toute sa tête, ne reconnaît pas ce pays qui est pourtant le sien, erre, se came, picole, hanté par les drames vécus, détruit par la perte de ses camarades. Fruit d’une improbable rencontre, ils vont entamer une histoire commune dans le Queens, dans un New York sale, glauque, très loin des zones luxueuses de Manhattan ou des quartiers bobos de Brooklyn. On bosse, on trime, on survit dans le Queens par des petites combines, des jobs au noir. Zou Lei et Skinner vont vivre là une liaison tout à fait extraordinaire, une histoire d’amour très peu conventionnelle qui va leur permettre d’ oublier leur détresse pendant quelques semaines jusqu’à ce que la tragédie les rattrape.

Atticus Lish nous ouvre les portes d’un autre New York, celui de la débrouille, de l’exploitation des misères sociales dans un Chinatown très loin de celui de Manhattan qui paraît, du coup, folklorique. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, c’est marche ou crève et Zou Lei, comme des milliers d’autres clandestins tente de garder la tête hors de l’eau pendant que Skinner, lui, se noie. Le roman crée deux angoisses effrayantes: on prie pour la touchante jeune Chinoise et on tremble en attendant le pétage de plomb destructeur de Skinner. On a les prémices du drame, des alertes à plusieurs reprises et puis on en a la certitude à l’arrivée d’une figure du mal, d’une pourriture, d’une raclure dont l’histoire lamentable est contée avec tant d’insistance que l’on sait que l’ordure concoctera les pires desseins envers Zou Lei, envers Skinner et envers le couple.

Le style de Lish peut désarçonner par cette absence de ponctuation dans certains dialogues mais très vite, on est emporté par cette frénésie verbale qui donne une vitesse à l’histoire, cette magnifique et précise appétence à nous conter la ville. L’urgence de la vie est ressentie dans des passages furieux où l’auteur, avec une immense fougue et une connaissance parfaite du monde qu’il décrit brosse des portraits de la ville effrayants et néanmoins poétiques malgré leur extrême noirceur.

Lish par son réalisme terrible, par la violence de son écrit frappe, agresse, choque le lecteur tout en le laissant parfois pantelant par la force et la beauté poétique de son histoire pourtant si commune. C’est du grand art, c’est effroyable, c’est touchant, c’est du grand Noir urbain et politique. Et quelle plume, quelle capacité à nous faire entrer dans le cauchemar!

Impitoyable!

Wollanup.