Chroniques noires et partisanes

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LE DERNIER INVITÉ d’ Anne Bourrel / La Manufacture de Livres.

On ressent une insensible brise serpentant la touffeur de la garrigue dans ce coin sudiste non défini de l’hexagone…les préambules à cet événement d’union entre deux êtres plantent le décor de ce roman où les fragrances se visualisent, où les images, souvent acides, se hument. Peut-on s’inviter alors que le passé gangrène le présent? Ce mariage sera l’occasion de se poser cette question et de tenter d’y répondre…

«C’est le matin de son mariage et la Petite se réveille avec en elle une colère sourde, une colère venue de passé et qui ne s’efface pas. Peu lui importe le compte à rebours des préparatifs, les fleurs, la robe… Ce qui a de l’importance pour elle, c’est sa famille rassemblée et surtout ce dernier invité, le cousin, qui réapparaît avec sa rancœur d’un héritage perdu. Mais même si l’on partage le même sang, il y a des choses qui ne se disent pas. Quoique l’on ait fait, quoique l’on ait dit, certaines vérités doivent rester ensevelies car l’ordre de la famille, ça se préserve. »

Ce village, carrousel de parfums pas toujours enivrants, est présenté par son auteur tel un exemple type du paysage de nos provinces actuelles. Soumis à son premier édile, reclus sur des principes dictés par le rejet d’autrui, les administrés subissent donc un repli culturel et un « quant à soi » inflexible, intangible. Ce cadre communal, idéologique, s’oppose à l’esprit libre, frondeur de la Petite. Elle se marie et ce mariage ravive des souvenirs, réveille des terreurs, exhume des souffrances par ce dernier invité « d’outre-tombe ». Anne Bourrel propose souvent dans ses écrits des allégories. De cet effort, le terme papier impose une symbolique dans le traumatisme subi par la Petite. Il supporte d’autant plus un état abstrait lié à cet événement douloureux et déchirant.

On retrouve bien là la prose et la profonde sensibilité de cette auteure qui nous mène par ses mots à une farandole de sentiments, de ressentis, de sensualités contradictoires. Son écriture sensitive récite paradoxalement une épreuve de vie qui fixe à jamais la destinée d’une jeune femme pensant que cette boule viscérale était enfouie dans ses tréfonds. La morale que je me fais de son roman prouve que chaque afflictions nécessite l’impériosité de son expression et son expulsion. J’aime à croire que le lieu de conception de cet écrit a infléchi de manière  forte la qualité de celui-ci, car j’y ai ressenti, par instant, les nuances chromatiques de Gracq.

La question initiale qui se pose permet la réflexion mais ne donne pas de réponses évidentes. C’est aussi dans cette dimension qu’Anne Bourrel affiche ses qualités intrinsèques. Elle libère des sens pour en porter d’autres en conjuguant l’esthétique avec le laid, l’ égrillard avec l’introverti.

Roman sépia, fort en sentiments viscéraux!

Chouchou.

 

L’INVENTION DE LA NEIGE d’Anne Bourrel/la Manufacture.

Sur deux histoires parallèles tendues s’arc-boutent des destinés, des torsions existentielles, des monceaux d’illusions perdues, des malheurs rugueux fouettant les virgules, mes points virgules, en somme les ponctuations de chemins chaotiques.

Dans toute la chaîne de vos ancêtres, ces gens auxquels vous tenez tant, vous tous, regardez : il y aura au moins un mensonge. Minimum. C’est de l’esbroufe, ces vies qu’on nous présente. Rien n’est rangé, rien n’est en place, rien ne tient. C’est comme la neige, c’est joli, c’est blanc, mais ça ne vient jamais quand on l’espère, ça fond à la moindre occasion et après, il n’y a plus rien, rien que la terre, rien que la boue. »

« C’est l’hiver et un froid inhabituel sévit dans le Sud de la France. Laure vient de perdre son grand-père. Ferrans son compagnon lui propose un séjour à la montagne. Il pense que quelques jours à la neige et au grand air lui feront du bien. Sur la route, Ferrans manque de renverser un coureur imprudent. 

Quand Laure, Ferrans et ses deux fillettes arrivent à l’Auberge du Bonheur, il n’y a pas de neige. Cependant Ferrans s’obstine à rester sur place. Laure insomniaque pleure le vieil homme qui vient de mourir et se souvient des récits qu’il faisait de son passé de réfugié espagnol.

Une auberge froide et venteuse, une jeune femme obèse, un lézard domestiqué, un médecin et un moniteur de ski au chômage technique, l’imprévu retournera comme un gant cette famille recomposée en apparence bien sous tout rapport. »

 

 

Le deuil éteint une jeune femme viscéralement lié à son aieul comme le mousqueton à son piton.

Les souvenirs de la guerre d’Espagne émaillés d’un amour passionnel, introverti trace un itinéraire cabossé et sans point défini vers une lumière rédemptrice et reconstructrice.

Dans les décors désolés et désolants des Cévennes montagnardes on se force à espérer un rétablissement “moral” après la disparition de l’être cher, du phare de sa vie. Le contexte, voire la parabole des landes escarpées saisissantes de froid mais paradoxalement vierge des flocons neigeux renverront les êtres à leurs vérités captées par le reflet du miroir de l’âme.

Par une narration originale decline par la mère de la protagoniste centrale, l’on perçoit une aridité moralisatrice mais, aussi, le désir impétueux de raccrocher, d’unir les sentiments inavoués, d’abolir les pudeurs anestrales…

A travers des passages d’écritures et de situations fortes, empreints d’émotions sourdes, boules compactes et tendues de sentiments exacerbés, ce cri nous bouscule, nous projette dans les tréfonds de souvenirs connus de chacun. Régulièrement on est saisi par la fébrilité, on sent poindre la larme au coin de l’oeil, on sent l’oppression à la base du cou, on lâche nos contrôles émotionnels et les digues se craquellent…

Anne Bourrel aura réussi le pari du roman noir cendré, on ressent la suie en bouche, la difficulté à déglutir, le nœud abdominal… Mais l’on sait que l’on a lu une oeuvre forte, sincère et profonde dans le tableau des sentiments originels.

Chouchou.

 

 

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