Ce mois de juin nous offre finalement de grands moments de lecture. Manotti, Bonidan, Alex Taylor et maintenant Philippe Pujol, journaliste marseillais, prix Albert Londres en 2014 pour sa série d’articles « Quartiers shit » sur les quartiers nord de Marseille. De sang corse par sa mère, il a pris ces montagnes maternelles comme décor de son premier roman situé au au milieu du XIXème siècle.
“Corse, 1850. Deux frères de l’Alta Rocca – région montagneuse du sud de l’île – se voient forcés de fuir leur village. Derniers hommes de la lignée des Manghjà Orso, ils sont traqués pour cela. Orso prend le maquis, et n’aura de cesse de restaurer son nom, mais il lui faudra d’abord pactiser avec le diable, en la personne de Santo, bandit sanguinaire et avide de pouvoir. De son côté, Giovanni, l’aîné, las de la spirale infernale des vendettas, quitte l’île et part sur les traces de leur père, vers les Etats-Unis d’Amérique. Il faudra attendre quarante ans pour que leurs destins se rejoignent à nouveau.”
L’auteur qualifie son roman de “western corse” plus par modestie que pour la réalité d’un roman beaucoup plus profond. Il est vrai qu’il y aura beaucoup de sang et de fusillades, des meurtres et des viols, jusqu’à un duel final dans un coin de maquis particulièrement hostile… très loin des villes et de l’image côtière paradisiaque de l’île. On y fera même parler deux carabines Winchester. Le style est superbe, les scènes très cinématographiques, les décors bien peints, les personnages aussi troublants et intrigants que passionnants. On est dans les mêmes veine et réussite que le monumental “Le sang ne suffit pas” d’Alex Taylor, chroniqué il y a peu. Alors que bien souvent, les journalistes qui s’essayent à la fiction sont ennuyeux malgré la qualité de l’intrigue, ici, on sent qu’un effort particulier d’écriture a vraiment été effectué. Après, certains trouveront encore que la langue est trop riche comme chez Alex Taylor mais, franchement, on est très vite emporté par le souffle de l’histoire et la beauté de la plume.
L’éditeur parle, lui, de “roman corse” et même si cela ne veut rien dire au départ, ce n’est quand même pas un événement, un roman corse… on peut l’entendre néanmoins comme un bout de l’histoire de la Corse racontée par celle des vendettas entre clans et qui régissent violemment la société corse de l’époque et font loi. Et même si l’ombre de Pasquale Paoli, homme des Lumières et fondateur de la république corse au milieu du XVIIIème siècle est toujours présente un siècle après, on s’aperçoit que sa philosophie qui aurait inspiré les créateurs de la constitution américaine n’est plus qu’une fierté, un symbole. Les Corses passent leur temps à se massacrer entre eux et donc ne dirigent pas leur combat contre les Français qui occupent leur île. La vendetta, les relations sociales, les rapports hommes femmes sont éclairés, un discours politique apparaît dévoilant un monde, une réalité bien plus surprenante qu’un western en Arizona.
“Aux hommes la politique, aux femmes la famille”.
On pourrait aussi parler de la complexité de certains personnages entre bien et mal, de la fin qui justifie tous les moyens, de certains combats, de la valeur d’une vie humaine, de ce désir de liberté qui justifie toutes les abominations… Une très belle surprise noire doublée d’un éclairage intéressant sur la pensée et la mentalité corses.
Clete.
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