Chroniques noires et partisanes

Étiquette : actes noirs actes sud (Page 3 of 3)

DANS LES BRUMES DU MATIN de Tom Bouman / Actes Noirs Actes Sud

Fateful Mornings

Traduction : Yannis Urano

Il était annoncé dès la parution du premier titre de Tom Bouman en France au début de l’année 2018 : son roman Dans la vallée décharnée (chroniqué de façon amène sur le blog à l’époque) allait connaître une suite, indépendante dans son intrigue mais se centrant sur le même personnage principal, Henry Farrell, flic de Wild Thyme, bourgade du backcountry de Pennsylvanie, aux limites nord-est de cet Etat, à la frontière avec l’Etat de New York.

L’officier Henry Farrell est chargé d’enquêter sur la disparition de Penny Pellings, une toxicomane notoire, à Wild Thyme. C’est le compagnon de la jeune femme qui a alerté la police après avoir découvert leur caravane sens dessus dessous et attendu le retour de Penny, en vain. Il a beau clamer son innocence, tout semble pourtant l’incriminer. Quelques jours plus tôt, Farrell avait en effet été appelé sur les mêmes lieux pour régler leur affaire de violence conjugale.

Au nord de la frontière pennsylvanienne, le corps d’un homme non identifié est bientôt retrouvé dans le fleuve Susquehanna.

Ces deux affaires pourraient bien être liées. Assisté du shérif et de la police du comté de New York, Farrell va devoir sortir de sa zone de confort, infiltrer la jungle urbaine, plonger dans les arcanes du trafic de drogue et arpenter à nouveau les collines du comté de Holebrook.

Les mêmes ingrédients qui avaient fait la qualité du premier titre se  retrouvent ici : minutie de l’enquête policière, patience et ténacité du policier (du chasseur presque), connaissance intime d’un territoire et de la communauté qui l’habite, proximité avec la nature. Il y a une richesse du détail qui, incontestablement, installe sur la carte géographique et sur la carte de l’imaginaire le comté de Holebrook, Pennsylvanie. Il est bon aussi que la fiction littéraire replace aussi la temporalité d’une enquête policière, qui peut parfois s’étalée comme ici sur des mois parce qu’il ne se passe rien d’autre d’intéressant ou de nouveau qui s’y rapporte. Les enquêtes menées au pas de charge et bouclées en dix épisodes tendus n’existent pas toujours. Tom Bouman peut à loisir insérer dans le fil de son roman aspects sentimentaux, familiaux, sociaux, quitte à faire au final de son polar une chronique vive de cette humanité rurale. Quitte aussi à entrelacer les fils de l’intrigue et rendre perplexe le lecteur face à son dénouement. Le style (précis) est là mais peut-être qu’une partie de la force motrice du premier opus s’est égarée dans les brumes du matin. En tout cas, le cycle continue, une troisième enquête d’Henry Farrell a été publiée aux Etats-Unis. Elle nous ouvrira à nouveau la voie des collines.

Paotrsaout

L’ÉPIDÉMIE de Asa Ericsdotter / Actes Noirs Actes Sud

Traduction: Marianne Ségol Samoy.

« L’épidémie » de l’auteure Asa Ericsdotter (auteure suédoise vivant actuellement aux États Unis) est son premier roman paru en France.

L’histoire se déroule de nos jours en Suède. Johan Svärd en est le 1er ministre et est à la tête du Parti de la Santé. C’ est un homme beau, mince, le représentant d’un peuple suédois qui l’a élu pour son programme, celui de faire de la Suède une nation svelte et en bonne santé. En effet, le peuple suédois est classé en fonction de son IMGM (Indice de Masse Grasse et Musculaire) et les obèses deviennent les parias d’un pays obsédé par sa ligne.

Les mesures du gouvernement, sous la coupe de Johan Svärd, deviennent de plus en plus drastiques et délirantes. L’accès à l’emploi se fait en fonction de l’IMGM, mais aussi l’accès à la propriété ou à la location, les gros dits « les Porcs » paient également plus d’impôts et sont poussés à perdre vite du gras dans des églises devenues salles de fitness. La nourriture est contrôlée et tout ce qui est mauvais est banni ou surtaxé, les opérations bariatriques sont subventionnées et sont même proposées dès la naissance pour les enfants prédisposés. Les obèses sont fustigés d’être la source des dettes du pays, en récession économique. C’est qu’ils coûtent chers tous ces gros avec leur embonpoint et tout ce qui en découle en maladies et prises en charge.

C’est au cœur de ce basculement vers le totalitarisme que l’on découvre Landon, un jeune chercheur. Il a quitté sa femme Rita, devenue squelettique et amorphe, pour se réfugier dans sa maison de campagne et fuir la pression de la ville, du travail, des publicités incitant à maigrir toujours plus. Il y rencontre sa voisine Helena et sa fille. Toutes les deux sont bien évidemment de bonnes vivantes et ont fui également pour échapper aux incitations et aux menaces. L’alchimie entre Landon et Helena est immédiate. Lui redécouvre le goût de la vie et elle, le regard d’un homme sur elle sans dégoût.

Mais un matin, Molly en larmes et affolée explique que sa maman a été enlevée. En parallèle, on suit Gloria, une écrivaine reconnue, en surcharge pondérale avérée. Elle ne sort presque plus de chez elle jusqu’au jour où elle reçoit une convocation de l’institut pour la nutrition destinée aux gens du groupe dont l’IMGM est supérieur à 50. 

Elle s’y rend comme beaucoup d’autres et se retrouve confinée dans un immense stade. Ce qui va suivre n’est ni plus ni moins qu’une rafle. Contrainte par la force et à coups de matraque, elle est emmenée, comme toutes les personnes présentes, dans un camion à bétail hors de la ville, dans une ferme d’élevage de porcs. C’est dans ces fermes de porcs désaffectées et rachetées par le gouvernement que Gloria, Helena et biens d’autres vont vivre l’enfer.

C’est aussi à ce moment-là du roman que l’histoire devient dérangeante, glaçante et nous rappelle la folie des hommes. Il paraît pourtant impensable qu’une population soit stigmatisée de la sorte, parquée et éliminée, sans que quiconque ne s’y oppose ou ne soupçonne quoi que ce soit ! Ah bon et bien il faut croire que l’histoire peut se répéter, le casting est juste différent.

Landon fait tout son possible, via différents contacts pour retrouver Helena et la sauver. Lorsqu’il découvre les fermes, les abattoirs, l’abomination est à son paroxysme. La lecture devient parfois difficile, amère, c’est cru, ça sent le sang chaud, les viscères, la putréfaction… Bref, la deuxième moitié du roman monte en intensité jusqu’à l’écœurement parfois. 

Âmes sensibles, passez votre chemin.

Ce roman est décalé au premier abord puis vous pète à la gueule sans prévenir. C’est une énorme claque, lourde, qui vous sonne pour longtemps !

Nikoma

LA FILLE SANS PEAU de Mads Peder Nordbo / Actes Sud.

Traduction: Terje Sinding.

« La fille sans peau » est le premier polar de Mads Peder Nordbo et le premier d’une trilogie. Autant vous l’annoncer directement, il me tarde de lire la suite, « La fille sans peau » est un véritable coup de harpon, ça fait mal, l’impact est violent et il est impossible de s’en défaire… L’histoire se situe à Nuuk, capitale du Groenland où l’auteur lui-même a vécu et ça se sent. La description de l’environnement est sublime, glaciale, immaculée et pourtant au fil des pages, ce Groenland devient étonnamment glauque, étouffant et tâché de façon indélébile.

Un corps est retrouvé dans une faille et il pourrait être un authentique Viking, parfaitement conservé, preuve de l’existence de ce peuple scandinave sur ces terres glacées. Le scoop est mondial, Matthew Cage, journaliste de 28 ans est là pour le couvrir. Brisé, après un accident de voiture ou sa femme a trouvé la mort, enceinte de sa fille. Il est à Nuuk, capitale du Groenland sur les traces d’un père disparu trop tôt, comme à la recherche d’une forme de rédemption. Seulement voilà, le corps disparaît le lendemain et c’est celui du flic chargé de le surveiller qui est retrouvé en lieu et place de la momie. Il est nu, ouvert de l’entrejambe jusqu’au sternum, vidé de ses entailles, formant une monstrueuse tache vermeille dans un paysage monochrome.

Ce meurtre est la copie conforme de meurtres ayant eu lieu 40 ans auparavant. Une sordide affaire non résolue et passée sous silence où les corps de 4 hommes avaient ainsi été retrouvés. Ils étaient tous pères de petites filles, soupçonnés de viol sur leur progéniture L’enquêteur de l’époque était Jakob mais il a également disparu, devenant le suspect principal. Matthew enquête alors auprès de la police locale et de ses habitants, met la main sur l’ancien carnet de Jakob, se heurte aux hostilités de certains et fait la rencontre de Tupaarnak. Elle est groenlandaise, jeune, athlétique, chasseuse de phoques et entièrement tatouée mais aussi fraîchement sortie de prison, condamnée à l’âge de 14 ans pour le meurtre de son père, de sa mère et de ses 2 petites sœurs.

Au cours de l’enquête, on rencontre une population locale, les Inuits, parqués dans des blocs d’immeubles décatis, construits par le gouvernement danois, qui a fait main basse dans le cours de l’histoire sur le Groenland et tente de civiliser un peuple incompatible à l’enfermement. On découvre la réalité d’un pays bien éloigné de l’image de la carte postale et finalement méconnu.

Plus les pages défilent, plus l’histoire nous plonge au cœur de pratiques malsaines, opérées il y a quarante ans par des personnes haut placées, laissées libre d’agir en toute impunité, sous la protection d’un gouvernement souverain. Derrière les meurtres, se cache une toute autre vérité. Les petites filles des environs faisaient l’objet d’expériences, sous couvert de soigner la tuberculose. Elles étaient envoyées dans un internat où elles subissaient des traitements de chocs, faisaient l’objet d’expérimentations et étaient violées et humiliées en toute impunité. Certaines rentraient à la maison entre deux expériences et vivaient un autre enfer, celui de l’inceste. 

Matthew et Tupaarnak dérangent de plus en plus au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête, devenant eux-mêmes des cibles à abattre, afin de laisser une nouvelle fois ce qui aurait dû resté enfoui à tout jamais dans la glace.

C’est une histoire sombre sur fond blanc qui ressurgit et l’auteur réussit l’exploit de lier l’enquête du présent et celle du passé avec un final explosif où tout s’imbrique à la perfection. C’est finement construit, les personnages principaux sont charismatiques et Mads Peder Nordbo met en exergue les exactions d’un pays colonisateur habituellement connu comme une des nations les plus abouties socialement.

Comme quoi la glace peut aussi provoquer des brûlures.

Nikoma

TROMPERIE de Andrea Maria Schenkel/ Actes Noirs / Actes Sud.

Täuscher

Traduction: Stéphanie Lux.

Andrea Maria Schenkel est une auteure allemande dont les romans sont tous édités en France par Actes Sud. “La ferme du crime”, son premier, daté de 2008 est aussi le plus connu. Elle s’ y emparait d’un fait divers célèbre allemand pour en faire une fiction, un peu à la manière de Truman Capote dans “De sang froid”. Dans “Tromperie” sorti en février, elle renouvelle ce choix d’écriture puisque l’affaire criminelle servant de trame au roman s’est produite dans la réalité en 1922 et a eu un large écho dans le pays. 

“Landshut, 1922. Un double meurtre sanglant secoue le Sud de l’Allemagne. Quand Clara Ganslmeier, une trentenaire célibataire, et sa vieille mère sont retrouvées assassinées dans leur appartement – l’une sauvagement poignardée, l’autre étouffée –, la petite ville bavaroise est en ébullition. Le principal suspect est Hubert Täuscher, fils d’un riche fabricant de brosses, mouton noir de la famille et coureur de jupon impénitent. Bien qu’entretenant une relation à Munich avec une jeune femme, Täuscher s’était fiancé à Clara, de dix ans son aînée. Pour la population et la justice, il ne fait aucun doute qu’il s’intéressait à la beauté de l’une et à l’argent de l’autre. Et qu’il a tué Clara et sa mère pour leur dérober des bijoux de grande valeur.”

Il est des romans agréables qui s’avèrent particulièrement retors au moment de les évoquer, même succinctement sur le papier. Agréable parce la lecture s’avère intéressante à défaut de réellement passionnante même si le suspense existe avec cette envie de savoir si Hubert Täuscher s’en sort ou se fait condamner. Variant les points de vue, les modes littéraires, Andrea Maria Schenkel donne de la vie à son écrit, évitant le soporifique qu’une intrigue assez ordinaire aurait pu engendrer. Les profils psychologiques sont bien dressés et l’auteure, adroitement, crée le trouble en proposant un autre cheminement vers la vérité. Par contre, il est impossible de parler plus précisément de l’intrigue sans spolier et sans trop en dire sur une histoire qui dépasse à peine les deux cents pages. Niveau références, on n’est pas très loin de Simenon ou plus récemment de Graeme Macrae Burnet et “L’accusé du Ross-Shire”.

Le rythme n’est pas très soutenu, il n’y aura pas de coup de théâtre final ou de “deus ex-machina”, l’auteur s’attachant surtout à cerner des personnalités en proie à des souffrances, des manques, des rêves déçus ou avortés, permettant ainsi au lecteur de se faire sa propre opinion, ses propres hypothèses jusqu’à la vérité finale.

Un bon petit polar.

Clete.

LA MAUVAISE HERBE d’Agustin Martinez / Actes Noirs Actes sud.

La mala hierba

Traduction: Amandine Py

Après avoir perdu leur emploi, Jacobo et Irene quittent Madrid pour un petit village près d’Almería, où ils occuperont la vieille ferme délabrée héritée des parents, le temps de se remplumer un peu. À leur traîne : une adolescente boudeuse de quatorze ans, furieuse d’avoir abandonné ses amis pour venir s’enterrer dans ce trou avec des parents qui ne comprennent rien à rien.

Dans un décor de Far West andalou – chaleur écrasante, bottes d’herbe sèche soulevées par les assauts du sirocco, sable qui s’infiltre dans le moindre interstice –, les habitants du village vivent en autarcie. Le clan a ses lois tacites et un chef qui emploie la moitié des habitants, régentant son monde depuis sa splendide villa sur la colline.

Quelques mois plus tard, alors que leur fille passe la nuit chez une amie, Jacobo et Irene sont attaqués chez eux. Irene est tuée et Jacobo laissé pour mort. Quand il sort enfin d’un long coma, la police lui révèle le nom du probable commanditaire : Miriam, son ado revêche.”

Avertissement: Actes Noirs, une collection de qualité dont les couvertures foutent quand même souvent les jetons sur le contenu. Ne surtout pas s’y arrêter. 

Deuxième roman d’Agustin Martinez, succédant à “Monteperdido” paru en 2017, “la mauvaise herbe” est catalogué comme un thriller. Et pourtant cette deuxième réalisation est d’une ampleur et d’une ambition bien plus universelle que le thriller moyen (pas trop notre tasse de thé). Souvent dans un thriller “mainstream” un thème principal est traité et d’autres plus ou moins survolés, priorité étant donné fréquemment à l’action, à l’urgence. Ici, par contre, plusieurs thèmes sont traités de concert de manière particulièrement pointue que ce soient les rapports familiaux, l’adolescence,  le déclin du couple, la récession économique d’une famille, l’appauvrissement de l’espace rural et des zones périphériques, les vices des hommes, l’économie de la misère… contribuant à rendre ce roman très prenant de la première à la dernière page dans une ambiance poisseuse, malsaine, glauque, sale, particulièrement perverse et immensément toxique.

Il est lourd pour un thriller, il fait ses quatre cent pages ce bouquin, et c’est chez Actes Noirs / Actes sud, c’est écrit serré, serré. Pas comme chez certains que je ne citerai pas qui semblent éditer pour malvoyants avec grosse police et très aéré dans la composition pour donner un certaine consistance à un écrit un peu léger. C’est du lourd ici, il y a bien suspense mais il n’y a pas, loin s’en faut, le feu à la baraque non plus, L’histoire est particulièrement originale et le temps est pris pour préparer, décrire le drame horrible, l’armageddon d’une famille.

Le dernier quart, par contre, ménage de sérieux rebondissements succédant à de longues périodes d’errance du lecteur qui, un moment, n’a plus aucune certitude sur les agissements de Jacobo, d’Irène et de leur fille Miriam se faisant l’avocat puis le procureur de chacun avec la même infortune finalement. Le roman raconte deux époques, l’avant tuerie et l’après et Agustin Martinez manie le suspense dans sa narration avec beaucoup de talent, bousculant, trompant, abusant savamment et salement le lecteur avant de le flinguer dans un final particulièrement frappant, éprouvant et source de multiples réflexions post-lecture.

Assurément et de très loin le meilleur polar lu depuis un certain moment. Un roman particulièrement puissant qui marque, une terrible tragédie familiale et une belle plume hispanique qu’il faut absolument suivre.

Clumpidos !

Clete.

PS: en fait c’est terrible et beau comme du Migala, talentueux Espagnols eux aussi et en écoute en dessous.

LE SANG DU MISSISSIPPI de Greg Iles / Actes Sud.

Mississippi Blood

Traduction: Aurélie Tronchet.

« Mais pourquoi la ville est-elle en proie à de telles attentes ? Les détails choquants de cette affaire expliquent-ils à eux-seuls que Natchez soit devenue cette semaine l’épicentre de tout l’Etat ? Je ne le pense pas. J’en suis venue à croire que quelque chose de plus profond est à l’œuvre pour ses habitants. Natchez est une ville divisée, comme le Mississipi est un état divisé et l’Amérique une nation divisée. Et malgré les protestations de ceux qui réfuteraient cette tragique vérité, la racine de cette division est raciale – le boulot inachevé de l’esclavage. »

La trilogie Natchez finit en fanfare avec ce dernier tome qui retrouve le souffle de Brasier Noir après un tome deux un peu plus délité et souffrant de quelques longueurs qui l’ont malheureusement desservi.

Pour mémoire, nous sommes à Natchez, petite ville du Mississippi toujours en proie à ses démons ségrégationnistes : Les Aigles Bicéphales, groupuscule suprématiste armé y est toujours actif malgré l’âge avancé de ses membres fondateurs.

Penn Cage, maire de Natchez et ancien procureur, découvre dans Brasier Noir que son père Tom, le médecin le plus respecté de la ville, est accusé du meurtre de son ancienne infirmière Noire, Viola Turner, avec qui il avait eu une aventure dans sa jeunesse. Viola, atteinte d’un cancer en phase terminale revient mourir à Natchez après l’avoir quitté suite aux pressions des Aigles Bicéphales.

Est-ce que sa mort est due à un protocole médical destiné à abréger ses souffrances ou bien au besoin du docteur Tom de cacher l’existence d’un enfant métisse, fruit de leur amour de jeunesse ?

Est-ce vraiment Tom Cage qui a tué Viola Turner ? Ou alors les Aigles Bicéphales ont-ils décidé de sévir puisque Viola n’aurait jamais dû revenir dans leur ville ?

Difficile pour Penn de savoir. Déjà, il doit composer avec la nouvelle de l’infidélité de son père. Avec l’existence d’un demi-frère. Accepter une bonne fois pour toutes que flics comme hommes d’affaires trempent dans la même boue raciste que les Aigles Bicéphales en toute impunité et ce, des décennies après la fin officielle de la ségrégation. Perdre au fur et à mesure les êtres aimés (oui, il faut quand même lire les bouquins, je ne vous fais qu’une mise en jambes).

Tom Cage refuse de parler et se paie en plus une cavale rocambolesque dans L’Arbre aux Morts. Il a vraiment tout du coupable au point que même son fils ne sait plus à quel saint se vouer.

Lorsqu’on ouvre Le Sang du Mississipi nous arrivons au moment du procès : Tom a dû se rendre, il est le coupable parfait et il ne fait rien pour faire changer la donne. Surtout il ne DIT rien (sauf à son avocat, aussi mutique que son client qu’il s’agisse des faits ou de la stratégie du procès). Open bar pour Greg Iles qui nous sert durant pratiquement la moitié du roman un huis clos au tribunal avec des twists qui vous gardent collés au bouquin.

Les années 60, crades et nébuleuses, refont surface dans toute leur horreur. Le combat entre l’accusation et la défense, pas toujours fair-play, vous colle des sueurs froides. La reconstitution des faits vous coupe le sifflet.

Greg Iles est définitivement un très grand conteur : parfois les ficelles et les symboles sont un peu gros mais cela n’enlève pas grand-chose au récit, au message et à la tension sous-jacente qui dans ce troisième opus est présente dans pratiquement chacune des huit cents et quelques pages.

Ce qu’on avait cru comprendre dans les deux précédents romans n’est finalement pas si sûr. La sénilité supposée du Maître Quentin Avery, chantre des droits civiques absolument incompréhensible durant le procès de son ami Tom Cage maque de vous faire choper un infarctus à plusieurs reprises. Le désarroi de Penn Cage n’est pas loin de vous tirer des larmes. Sauf que. Sauf qu’il y a les femmes : dans la trilogie de Greg Iles, les personnages les plus forts, les plus têtus, les plus coriaces, sont les femmes.

A commencer par Viola Turner, fabuleuse ! Cora, amie, fidèle, sincère. Caitlin, chevalière blanche obsédée par la vérité, Serenity, nouvelle arrivée dans le récit, trop parfaite pour être vraie, mais qu’importe, elle représente l’avenir dans toute sa complexité : Noire, intellectuelle, guerrière, visible, une voix indispensable. Peggy, la femme de Tom, mère de Penn, digne, droite, inébranlable.

Sans aucun doute, ce procès, cette fin de trilogie, devrait vous tenir en apnée jusqu’au bout. Je ne vous ai parlé que de la surface : à vous de découvrir le reste. Vous ne verrez pas passer les huit cents pages, je m’y engage !

PS si toutefois vous avez trop peur de vous engager dans la trilogie, les flashbacks et les explications de Penn dans Le Sang du Mississipi sont largement suffisants pour lire ce dernier tome comme un roman à part entière. Mais ce serait dommage…

Monica.

Brasier noir

L’arbre aux morts

« Now I taught the weeping willow how to cry cry cry

And I showed the clouds how to cover up a clear blue sky

And the tears that I cried for that woman are going to flood you Big River

Then I’m going to sit right here until I die. » Johnny Cash


COMME LES LIONS de Brian Panowitch / Actes Noirs Actes Sud.

Traduction: Laure Manceau.

Retour à Bull Mountain

…et c’est pas trop tôt ! Souvenez-vous du choc que le premier roman de Brian Panowich avait produit parmi les aficionados du roman noir : cette histoire à la Caïn et Abel au fin fond de la Géorgie, mettant en scène Clayton Burroughs, shérif d’une petite bourgade et sa famille, le clan Burroughs, bandits de père en fils depuis des décennies. La confrontation entre les deux entités de la même famille a été rude et la fin de Bull Mountain appelait une suite sans tarder.

Deux ans plus tard, la voici !

« Clayton allait prendre place face à Bracken et ses hommes, mais Mike le poussa discrètement du coude vers la chaise la plus imposante en bout de table. Il s’y installa, et le soulagement de ne plus avoir à se tenir sur sa jambe gauche se lut sur son visage. Ce qui échappa à tout le monde par contre, sauf à Mike, c’est l’étrange mélange d’émotions qui lui retournaient le bide. Il était assis sur la chaise qui avait appartenu à son frère Halford, et à son père avant lui. La même chaise depuis laquelle son grand-père Cooper avait dirigé l’empire Burroughs avant eux tous. »

Clayton est bien abimé lorsque nous le retrouvons dans ce deuxième opus : physiquement (sa jambe gauche le fera souffrir jusqu’à la fin de ses jours) et surtout psychologiquement. Il a un peu trop tendance à lever le coude et à force de ruminer il n’est plus qu’un fantôme pour Kate, sa femme, et leur bébé.

Si le début du roman m’a un peu inquiétée, je trouvais le rythme un peu trop lent et l’action longue à démarrer, ça s’arrange assez vite : qu’est-ce qui peut pousser à agir quelqu’un d’aussi indécis et affaibli comme Clayton ? Une intrusion depuis l’extérieur, un clan ennemi qui mettrait en péril non seulement les restes de l’empire Burroughs mais surtout sa famille, des innocents, sa descendance.

Rassurée : ça dégaine toujours aussi vite sur Bull Mountain et, même d’outre-tombe, les Burroughs disparus ont encore leur mot à dire. C’est sec, sans pitié et, ma foi, assez sanglant !

Seul regret : j’aurais vraiment aimé que Kate occupe une place plus importante : on sentait depuis Bull Mountain qu’elle en avait sous le pied et ça se confirme dans Comme les lions. Que dis-je ! elle mériterait un roman rien que pour elle !

Tout ce beau monde existe en France grâce à la traduction de Laure Manceau !

Monica.

LA FILLE OUBLIÉE de David Bell / Actes Noirs Actes Sud.

Traduction: Manuel Tricoteaux.


C’est en auteur installé que David Bell revient sur le devant de la scène avec ce quatrième roman publié chez Actes Sud : après Fleur de cimetière (2013), Un lieu secret (2015), Ne reviens jamais (2017), La Fille oubliée sortait le mois dernier en France.Jason. Danvers avec sa compagne Nora est revenu s’installer dans la petite ville de son enfance, Ednaville dans l’Ohio. Ils s’efforcent de retrouver un second souffle en couple. Jason essaie de mener sa barque tranquillement dans sa ville natale qu’il a quitté brusquement à la fin du lycée. Après une ultime et brutale dispute avec son meilleur ami d’alors, Logan, dont personne n’a su ce qu’il était devenu. Enfui ? Mais c’est en la personne de sa soeur cadette Hayden, qu’il n’a pas vue depuis des années, qui prétend avoir arrêté la drogue et l’alcool qui l’avaient marginalisée et éloignée de sa famille que le passé frappe à l’improviste un soir à la porte de Jason. Alors même qu’elle n’a cessé de trahir leur confiance, elle lui demande une faveur : veiller sur Sierra, sa fille adolescente, pendant quarante-huit heures, le temps de régler une affaire qui doit l’aider à tirer définitivement un trait sur son ancienne vie. Mais Hayden ne revient pas. Pire, cette disparition réveille l’autre affaire non résolue : la disparition de Logan, Jason avait été entendu par la police, puis l’affaire avait été classée sans suite. Mais quelques jours après la disparition de Hayden, on retrouve un cadavre dans les bois voisins… Jason se lance à la recherche d’Hayden, avec le vague pressentiment que son aventure est liée au passé de la petite ville.

David Bell manifeste à nouveau, nous dit-on, son intérêt pour les liens familiaux, les les traumas et fantômes du passé. C’est l’intérêt principal de ce roman dans lequel les rapports entre les personnages, leur psychologie, sont patiemment dévoilés et amenés. David Bell déploie un suspense maîtrisé et sans précipitation, qu’apprécieront les amateurs.

Toutefois, des lecteurs plus exigeants pourraient regretter que le roman ne s’appuyât justement que sur ces aspects dont David Bell sait pourtant très bien jouer. Ils voudraient que les personnages, les décors…etc fussent perçus moins au travers de calques grisâtres et qu’ils fussent plus affirmés ou caractérisés, plus typés. Nous sommes à Ednaville, Ohio, chez les Danvers, et ce pourrait être partout ailleurs et concernerait une autre famille Smith, originaire d’une petite ville des Etats-Unis. Mais peut-être que ces lecteurs plus exigeants ne sont pas si nombreux, peut-être qu’il ne s’agit que de moi, qui attendrait plus de détails vifs et d’audaces littéraires.

Tous les morts ne veulent pas se laisser enterrer comme ça. Mais tous les vivants ne veulent pas se laisser enfouir comme ci.

Paotrsaout

Newer posts »

© 2025 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑