Traduction: Daniele Bondil
Ce roman n’est évidemment pas une nouveauté et ce beau tirage est d’ailleurs déjà sorti en 2014. Jim Thompson, l’un des très grands du polar ricain, décédé en 1977, a laissé une oeuvre formidable, très noire, souvent autobiographique. Vous ne l’avez peut-être jamais lu mais il est certain que vous avez vu une des adaptations cinématographiques américaines ou françaises de ses romans. The killer inside me de Winterbottom, Guet apens de Peckinpah, Les arnaqueurs de Stephen Frears ainsi que Coup de torchon du regretté Bertrand Tavernier. Le cinéma a beaucoup goûté, avec plus ou moins de bonheur, les romans terriblement noirs de Thompson qui a lui-même travaillé à une époque pour Hollywood. Alain Corneau ne s’est d’ailleurs pas trompé en prenant Patrick Dewaere pour incarner le personnage principal de A Hell Of Woman qui nous intéresse, dans son film culte Série noire.
En France, ce roman, paru dans une version tronquée à la série noire de Gallimard sous le titre Des cliques et des cloaques en 1967 fut réédité en 2013 en version complète par Rivages sous le nom de Une femme d’enfer. Et c’est la traduction la plus récente signée Danièle Bondil qu’a choisie la maison suisse des éditions la Baconnière pour rendre hommage à ce grand roman noir.
La forme a été choyée. Les illustrations superbes, qui rendent le texte encore plus sombre, dégueulasse, gluant, sont signées Thomas Ott dont les travaux graphiques sont reconnus depuis longtemps. Le format, la mise en page offrent de nombreux clins d’œil nous incitant à penser qu’on est en train de lire un vieux pulp. Certainement un beau cadeau pour amateurs de vieux polars ou d’une Amérique vintage des bars borgnes aux whiskies de très basse gamme, aux cendriers remplis, et aux juke box braillards attirant tristes sires et femmes dangereuses.
Dès le départ, on est dans un décor tellement imité depuis, avec des personnages terribles que tant d’auteurs ont vainement tenté de cloner. Les romans de Jim Thompson sont terribles. Il ne connaît pas la pitié, n’imagine même pas une quelconque rédemption, se concentre sur la chute, raconte la damnation et le combat aveugle et désespéré qu’on sait perdu d’avance.
“Frank Dillon, petit vendeur au porte-à-porte, n’arrive plus à joindre les deux bouts et donne le change en maquillant ses bons de commande. Un jour, il sonne chez une vieille acariâtre qui, en guise de paiement, lui propose sa nièce Mona ! Touché par la jeune fille, Frank lui promet de l’aider. Mais il est bientôt arrêté pour détournement de fonds, premier pas vers la chute…”
“Est-ce le dernier des salauds, ou le premier des pauvres types ?” demandait la Série Noire dans sa quatrième de couverture en 1973. Franck Dillon, vous le verrez très vite, après des aspects sympas, au début, au tout, tout début, aura le triste privilège de nous montrer qu’il est les deux. Pauvre type au départ qui tente de s’en sortir avec des arnaques médiocres aux gains médiocres en harmonie avec la médiocrité qui est sa seconde peau, Dillon devient, par l’appât d’un gain inespéré, le dernier des salauds, une ordure qui ne va reculer devant rien pour arriver à ses fins. Si sa chute est programmée, on craint pour ceux qu’il risque d’entraîner vers l’abîme.
La narration, utilisant la première personne, nous fait entrer dans le cerveau limité, dérangé d’un homme qui va se foutre en l’air encore plus rapidement avec l’aide de l’alcool. On ne peut faire confiance à quelqu’un qui picole et ici, on apprend que parfois il faut vraiment s’en méfier. On vit toutes ses pensées et ses lubies, ses hésitations et on constate avec effroi qu’il fait à chaque fois les choix les plus crétins. Cette addiction l’entraîne dans une paranoïa dévastatrice, les têtes vont tomber.
Un must.
Clete.
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