Les plaies ne cicatrisent pas, elles ne se referment pas après une décennie d’exactions où le manichéisme ne signifie plus grand chose. L’Algérie, de ses souffrances, tente de reconstruire, or son passé impacte le présent d’un indélébile trait. Le pays cherche à faire bonne figure en tutoyant des politiques qui ne sont pas les siennes, en reproduisant des codes et des organisations occidentales, elle voudrait s’affranchir des sources ayant abreuvé cette guerre civile fratricide de l’implosion. C’est en suivant des personnages taillés à la serpe que le romancier nous convie à suivre leurs destinés dans ces heures sombres et celles d’après.

«En 1994, alors que l’Algérie est déchirée par la guerre que se livrent l’armée et les islamistes, quatre lycéens de la banlieue d’Alger décident de former une organisation clandestine. Poussés à commettre un assassinat, ils échappent de justesse aux services spéciaux, la fameuse Sécurité militaire. Mais au terme de cette décennie noire, comment surmonter les traumatismes de leur génération ? Amin sera interné dans un hôpital psychiatrique tandis que Sidali, de retour d’exil, sera arrêté. Dix ans après les actions du groupuscule, leur cas intéresse encore un mystérieux général. Roman d’apprentissage d’une jeunesse perdue, roman noir relatant le climat de paranoïa durant la guerre civile, cette fresque des années 1990 est portée par une écriture poétique et une révolte poignante. »

Banlieusard d’ Alger, l’auteur est né en 1975, journaliste et reporter pour Le Point tout en collaborant à Middle East Eye. 1994 est le troisième roman d’Adlène Meddi.

Rigueur n’empêche pas forme.

En s’attachant à nous dresser les psychés de chacun de ses personnages soutenant le récit, il illumine ses pages par une plume alerte, imagée et poétique. La plus grande force du roman est de sonder les acteurs d’un drame en trois actes avec une acuité faite de pleins et de déliés. Il s’évertue à disséquer les stries constitutives de leur être, tailler au silex leurs rancœurs, leurs aigreurs, leurs traumatismes. Et son tableau combine deux courants, le réaliste dans sa justesse du contexte, le pointilliste dans la découverte minutieuse, progressive, d’êtres dont les idéaux sont frustrés, bafoués. Les protagonistes se révèlent alors plus complexes qu’au premier coup d’ œil.

Adlène Meddi sait installer une atmosphère et sait la magnifier par sa structure, en imposant ses personnages tantôt marionnettes, tantôt marionnettistes. Il aime son pays et nous le déclame. Mais ni cet amour, ni ses racines n’amendent sa critique envers une période de l’histoire de celui-ci qui se révélera présenter le négatif d’institutions larvées, corrompues dont l’objectif dérive du sens qu’elles doivent à leur peuple.

Par son prisme, on découvre cette période exsangue qui ne savait distinguer le bien du mal et perdit les notions cardinales des priorités d’une démocratie républicaine. Mais qui plus est, l’auteur sertit son propos d’un ouvrage artisanal aux facettes captivantes, esthétiques et didactiques. Sa langue écrite réalise la symbiose, en effet, du beau associé à l’utile. N’était-ce pas une belle addition?

Uppercut littéraire dans sa chanson de geste et sa pédagogie!

Chouchou