Chroniques noires et partisanes

Étiquette : 10/18

LA FAMILLE WINTER de Clifford Jackman / Editions 10/18.

 

Traduction: Dominique Fortier

La violence de l’histoire américaine au XIXe siècle a servi d’à-plat paysager ou social pour une galerie de personnages, réels ou bien fictionnels, outlaws, braqueurs, tueurs à la carrière sanglante (et souvent brève), chasseurs d’hommes sans pitié. Les silhouettes entremêlées de Jesse James, de Billy the Kid, de John Welsey Hardin, de Josey Wales pourraient se dessiner facilement devant vous. C’est du côté de l’authentique chasseur de scalps John Glanton et de son supposé acolyte, le Juge Holden, au centre de l’incontournable roman Méridien de sang de Cormac McCarthy, qu’il faudrait se pencher pour donner une mesure de l’extraordinaire violence déchaînée par La Famille Winter, dans le premier ouvrage traduit du Canadien Clifford Jackman.

La « famille » Winter se constitue à la faveur de la guerre de Sécession. Un détachement d’éclaireurs maraudeurs, en pointe et déjà en marge, tandis que derrière eux les colonnes du général Sherman vont s’ébranler à travers la Géorgie. Cette situation est une aubaine pour certains de ces hommes. L’officier Quentin Ross, menteur pathologique, roublard, tueur psychopathe et sadique. Les frères Empire, stupides et cruels qui voient le Walhalla de pillages et de viols qui s’offre à eux. Dans un affrontement à l’arme à feu, ils sont redoutables. Pour d’autres, c’est une sorte de fatalité. Fred Johnson, l’esclave qui a le dos au mur ou la corde presque au cou, il a tué son maître à coups de hache. C’est une force de la nature et une intelligence. Bill Bread, le Cherokee rongé par l’alcool et la culpabilité, peut-être le bourgeon d’un sens moral. Jan Muller le soldat allemand enrôlé à peine débarqué en Amérique et qui obéit aux ordres de Ross, fussent-ils déjà louches. Au centre de cette sinistre association se tient l’insondable Augustus Winter, torturé par son père au nom de principes moraux et religieux. S’affranchir des règles est pathologique chez lui. Il va révéler un don surnaturel pour le meurtre. La famille Winter est l’histoire de son ascendant sur la sinistre fratrie, de sa volonté morbide de piétiner jusqu’au bout une morale qu’il juge hypocrite.

Pendant presque trente ans la famille va faire parler d’elle, tandis qu’elle s’élargit ou rétrécit sur le plan numéraire. Elle joue un rôle abject dans tous les épisodes de la fin de la guerre, de la reconstruction, de l’expansion urbaine et politique du Midwest, de la Frontière et de la disparition de celle-ci.  Episodes qui sont parfois de simples ligaments narratifs. Tantôt stipendiée et utilisée en sous-main, tantôt pourchassée, tantôt au service de la « civilisation » américaine, tantôt s’opposant à elle. Le nombre de morts violentes qu’elle laisse dans son sillage est proprement ahurissant. Clifford Jackman tape dur, très dur. La sympathie ou l’affection pour les bad guys que d’aucuns pourraient ressentir est ici mise à rude épreuve. Ces mecs sont de vrais putains de tarés sanguinaires.

Encore que Clifford Jackman nous protège d’une partie de l’horreur. Des pires atrocités, nous avons un écho a posteriori, par des détails ou des dialogues. La cruauté de Winter, sa réputation justifiée, est inscrite dans le regard de ceux qu’il rencontre. Elle suffit bien souvent. Et l’écriture de Clifford Jackman privilégie l’action et dévie de toute velléité de flamboyance littéraire. Les violences, les sévices, les fusillades et les meurtres s’enchaînent à un rythme endiablé. On en oublie le décompte de la même manière qu’on oublie la quantité de projectiles balancés dans une production cinématographique américaine, disons moyenne. C’est leur accumulation qui peut-être pèse, au final.

Impardonnables et détestables, les membres de la famille Winter le sont. J’ai suivi une bonne part de leur effroyable parcours à califourchon sur une lame de rasoir, m’interrogeant sur le moment où je serais tranché en deux, d’écœurement ou de lassitude. J’ai tenu bon.

Déjà, parce que j’ai été intrigué puis séduit par la période « Chicago » de la famille, une des plus étonnantes dans leur parcours, et leur implication  en tant que nervis, dans la campagne électorale de 1872, une réussite de reconstitution puante et bruyante de la jeune métropole, déjà corrompue jusqu’à l’os.  Ensuite parce que, dans le cheminement d’Augustus Winter perce ici et là une interrogation, oui, philosophique. Augustus Winter est déterminé à outrepasser les règles et les normes, il force sa « famille » à le suivre sur un terrain effroyable. Il va peu à peu se rendre compte que cela ne le rend que temporairement à part. Il existe une force plus impitoyable encore que lui. Elle est en marche pour le broyer.

« Toutes les sociétés ont en leur cœur un mythe mobilisateur, un récit directeur, un prisme à travers quoi voir le monde, mais Augustus s’était cru différent. Il avait cru que lui seul parmi les hommes avait le courage d’affronter la vérité du monde, de vivre en accord avec les lois de la nature, de suivre les règles de la raison pure. Que lui seul avait vu la face de Dieu. Ce fut donc pour lui une double désillusion que de découvrir que cette croyance avait été son fantasme personnel. »

Advient le crépuscule de la famille Winter, en Oklahoma, à la toute fin du XIXe siècle. Au milieu des explosions de violence de son récit, l’auteur dessine une lucide dynamique sociale et historique.

« L’Ouest se refermait autour d’eux tandis que s’élevaient les clôtures, que les hordes de bétails envahissaient les plaines et que les Indiens disparaissaient. Les nouvelles se répandaient aussi vite  que l’éclair par les fils du télégraphe. La Famille Winter se regroupa à nouveau ; c’est tout ce qu’elle pouvait faire face à la pression constante exercée par l’ennemi. Partout autour d’elle,  la pressant de tous les côtés, les gens, les gens, les gens. »

Augustus Winter n’est pas Kurtz et le roman de Cliffton Jackman n’approche pas l’esthétique du film Apocalypse Now ni la force littéraire de Méridien de sang.  Mais de sa gangue « explicite et graphique », comme diraient littéralement les Anglo-Saxons, pourrait émerger  une pierre précieuse, du point de vue des premiers Sapiens Sapiens . En l’occurrence un silex, tranchant et capable de faire naître le feu. Mais tout le monde ne pourra pas le contempler ou s’en réchauffer, aussi Sapiens Sapiens soit-il.

Copieusement violent. Mais peut-être pas si gratuit.  En tout cas, pas de la graine pour les petits serins.

Paotrsaout.

 

 

 

 

DANS LES EAUX DU GRAND NORD de Ian McGuire / 10 / 18.

Traduction: Laurent Bury.

« Patrick Sumner, un ancien chirurgien de l’armée britannique traînant une mauvaise réputation, n’a pas de meilleure option que d’embarquer sur le Volunteer, un baleinier du Yorkshire en route pour les eaux riches du Grand Nord. Mais alors qu’il espère trouver du répit à bord, un garçon de cabine est découvert brutalement assassiné. Pris au piège dans le ventre du navire, Sumner rencontre le mal à l’état pur en la personne d’Henry Drax, un harponneur brutal et sanguinaire. Tandis que les véritables objectifs de l’expédition se dévoilent… »

Amoureux des grands vents, de territoires vierges et de terres sauvages où l’homme n’est plus qu’un simple élément quand les éléments se déchaînent, ce roman est sûrement pour vous. Ian McGuire vous convie dans le grand Nord canadien à la fin du 19ème siècle, très loin des dernières lueurs de la civilisation où l’homme, animal en danger comme les autres, tente de survivre.

Par les atmosphères, les situations « Dans les eaux du Grand Nord » évoque forcément le Melville de Moby Dick mais aussi Jack London. Au chaos orchestré par la nature, McGuire adjoint une figure du mal particulièrement abjecte, un tueur animé d’aucun remords, bestial dans ses agissements, provoquant ainsi un rythme infernal au roman tout en lui donnant une couleur particulièrement sinistre.

Fonctionnant sur les thèmes de la survie et de la vengeance, « Dans les eaux du grand nord » peut être rapproché de « le revenant » de Michaël Punke (Presses de la Cité) devenu le film éponyme d’Alejandro González Iñárritu interprété par Leonardo DiCaprio avec une énigme policière néanmoins plus étoffée quand on apprend petit à petit la réalité de l’expédition. Par ailleurs, en de maintes occasions, la terrible vie des baleiniers comme l’existence des populations nomades qui peuplent ces territoires hostiles sont racontées avec talent et pédagogie.

Bref,  » Dans les grandes eaux du Nord » est un bon « page-turner », réellement enthousiasmant, au rythme soutenu, sans faiblesses, à conseiller pour une lecture originale et roborative de weekend, capable de moments lyriques à qui je reprocherai sans doute, une fin un peu escamotée et une psychologie des personnages qui aurait mérité d’être plus détaillée dans un univers masculin particulièrement barbare.

Frissons septentrionaux.

Wollanup.

 

 

LA VOIX SECRÈTE de Michael Mention/ 10/18 série Grands Détectives.

Dans la France du « roi-bourgeois », Louis-Philippe, et sous le joug du ministre de l’intérieur sanguinaire Adolphe Thiers, une recherche effrénée d’un tueur en série d’enfants débouchera sur des associations, des amitiés baroques.

« Une enquête criminelle dans les bas-fonds de Paris en 1835, retraçant les derniers jours du célèbre dandy, assassin et poète Pierre-François Lacenaire

Durant l’hiver 1835, sous le règne de Louis-Philippe, alors que Paris est rongé par la misère et les attentats, la police enquête sur un tueur d’enfants. Tous les indices orientent Allard, chef de la Sûreté, vers le célèbre poète et assassin Pierre-François Lacenaire. Incarcéré à la Conciergerie, celui-ci passe ses journées à recevoir des visiteurs et à rédiger ses Mémoires en attendant de passer sous la guillotine. Un autre crime se produit, révélant davantage de similitudes avec ceux commis jadis par Lacenaire. Allard décide alors de le solliciter dans l’espoir de résoudre au plus vite cette enquête tortueuse. Entre le policier et l’assassin s’instaure une relation ambiguë, faite de respect et de manipulation, qui les entraînera tous deux dans les coulisses d’un Paris mystérieux et violent. »

Les révoltes grondent dans le Paris du XIXème siècle et après celle de Lyon des Canuts, la boucherie face aux revendications de la classe ouvrière prend une tournure effroyable quand les troupes du général Bugeaud ravagent un quartier au 12 rue Transnonnain. (actuel rue Beaubourg). C’est dans ce climat délétère que les crimes seront perpétrés et le paradoxe voudra que cela soit un propre assassin qui en possède les clefs de la compréhension.

Ce Paris chaos, ce Paris pauvre, ce Paris interlope, dans sa désolation résonne de mille vibrations dans différentes dimensions. Les conditions de vie, dénuées de dignité, poussent à la débrouille, au système D, et le crime reste la phrase, le point, des existences suspendues à des fils ténus.

La ville capitale est un personnage à part entière dans le récit de Michael Mention. Il l’hume, exhale de ses pages les fragrances distinctes à chaque lieu. Le cœur alimentaire des Halles et les abattoirs montmartrois restent symptomatiques de cette volonté de nous plonger dans une œuvre littéraire olfactive. Par ce biais, il réussit de fait à nous transporter dans nos propres sens et édifie une bulle pluri-dimensionnelle.

C’est en retraçant la politique de l’époque qu’il évoque en filigrane, ou pas, des problèmes sociétaux contemporains. Le niveau facial des difficultés populaires n’évolue pas dans le même registre mais conserve un reflet saisissant des humiliations, des brimades, du déclassement, des uns face aux autres. La société du XIXème siècle, aussi sordide soit-elle, possède les variables d’ajustements similaires à notre époque.

Transporté dans cette enquête poisseuse, rugueuse, noir opium, où la guilde des auteurs de romans noirs est fièrement représentée. Les pages sont rêches, excorient notre pulpe digitale mais la lecture est bien source d’enrichissement personnel et dans nos réflexions face à notre Histoire.

Roman historique lacérant qui se joue de nos sens dans l’olfacturium putride d’une cité exsangue !

Chouchou.

 

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