J’ai découvert Glenn Taylor par hasard quand La Ballade de Gueule-Tranchée était sorti en poche. J’avais saisi ce bouquin dont le titre m’évoquait déjà un type avec un bec-de-lièvre ou la marque d’un vicieux coup de lame dans la face, persuadé qu’il allait me causer. Je l’avais acheté puis lu et n’avais pas été déçu. Sur ce blog qui publie régulièrement des papiers sous la titraille « Mon Amérique à moi », je conseille la lecture au préalable (ou bien alors vite après) de l’Amérique de Gueule-Tranchée, héros atypique, dont on suit les aventures sur ses 108 années d’existence dans son terroir de Virginie-Occidentale. Car ses aventures bien à lui nous racontent quelque chose de l’Amérique.

 

Grasset a donc publié l’année passée ce nouveau titre de Glenn Taylor, Pendaison à Cinder Bottom. J’ai parfois mal au crâne en contemplant les sorties éditoriales classées sous le genre « polar/noir ». A croire que tout le monde rivalise pour piétiner les pitches de la même argile (flic, tueur, machin…), les titres du même champ sémantique (qui ne font frémir que les attaché(e)s de presse), les mêmes graphismes à dominante noire et les mêmes polices de caractères rouges ou jaunes. J’évoque cet aspect parce que Pendaison à Cinder Bottom n’est pas un polar. C’est un roman qui m’a fait penser à certaines images animées, celles de Deadwood, celles de L’Arnaque, celles de Ocean Eleven’s tandis que le thème musical de Mon Nom est Personne sifflotait à mes oreilles. ll en accompagne assez bien la dureté et la comédie. Le roman séduira ceux qui sont adeptes d’un certain cross-over : vérité humaine, ambiance, intrigue (à tiroirs) personnages, style (travaillé pour être précis et efficace. Brice Matthieussent est le traducteur de ce texte, rappelons qu’il n’est pas le moins talentueux en France).

 

Une communauté de Virginie-Occidentale à la bascule de deux siècles, le XIXe et le XXe. Un endroit où le rêve d’en croquer, celui d’émigrants de fraîche date, va se lier puis se heurter aux projets d’une vieille espèce, les petits tyrans locaux, affairistes vicieux, forts de leur pouvoir, de leur fric et des armes que leurs sbires portent. C’est l’histoire d’une vengeance, d’une revanche familiale, aux racines profondes. Le fils Abe Baach doit venger le père, Al, et les frères abîmés ou assassinés, les femmes blessées. C’est l’histoire d’un chef-d’oeuvre d’arnaque, nourri de faux pas et de coups bas, élaboré dans le temps, puis déclenché comme on abat son jeu au poker, d’un coup. Il est beaucoup question de cartes, de tripots, de tours et de spectacles de bar, de bordels dans ce livre. Une partie se joue autour d’une table, elle a l’échelle d’une ville, et toute une communauté, vive et vivante, y participe de près ou de loin, et comme pour toute bonne table qui se respecte il y a un ou des Judas. Glenn Taylor peint avec talent ce monde où affaires, pistolets et politique se mêlent, dans lequel une stratification sociale et raciale s’est glissée qui contredit le mythe du pays neuf. Il n’y avait en fait que la liberté de construire à nouveau un système où les gagnants seraient rares et impitoyables et les perdants nombreux.

 

Ça ne sent pas la poudre là-dedans. Certes, on compte quelques morts violentes, les moeurs sauvages ne sont pas apaisées dans cette Amérique déjà loin de la Frontière, mais on y entend surtout cliqueter les rouages de l’esprit déterminé à construire une machination. Les pièces de l’échiquier se mettent en place petit à petit et toutes ont leur rôle, noires ou blanches, qu’elles portent armes ou costumes de notables ou sapes chatoyantes mais fausses des arnaqueurs.

Vous n’allez peut-être pas y croire, mais pendant les moments où vous serez à Cinder Bottom, quartier chaud de la ville pionnière et minière de Keyston, Virginie-Occidentale, vous ne nous demanderez pas si vous vous lisez un polar, un roman noir, un western. Vous serez balancé dans les rues boueuses, dans un vieux puits de mine ou sur la table de chêne et vous vous direz peut-être que vous n’avez pas tiré les mauvaises cartes mais un bon bouquin du paquet. Une paire même, puisque Pendaison à Cinder Bottom devrait vous faire penser à ne pas négliger La Ballade De Gueule-Tranchée.

Paotrsaout.