Promis je ne parlerai plus dorénavant des phrases prétendument écrites par de grands auteurs pour vanter un bouquin. Cette fois-ci, c’est encore gonflé. James Lee Burke aurait comparé les romans de Michael Farris Smith à McCarthy et Faulkner. La référence Faulkner, tout roman noir ricain situé en-dessous de la ligne Mason Dixon qui tient à peu près la route y a le droit et McCarthy est souvent cité si le roman est particulièrement dur. Que Burke, mon idole, parce qu’il y a tout simplement Burke et puis tous les autres, ait pu balancer de telles inepties m’inquiète au plus haut point. Soit il avance trop rapidement dans une sénilité non visible dans ses derniers romans toujours impeccables soit il picole gravement ou alors, enfin, il n’aurait jamais lu les deux auteurs qu’il a cités et là je n’y crois pas une seule seconde.
Bref, ce genre de commentaires n’apporte rien et peut, tout simplement, nuire à la réputation d’un éditeur sérieux se hasardant à de tels artifices pour vendre une œuvre qui n’a pas besoin de cela tant la qualité est là. Michael Farris Smith fait tout simplement du Michael Farris Smith, c’est tout à fait recevable, et s’il fallait le comparer à un grand auteur américain sur le fond de l’histoire ce serait évidemment à Larry Brown que Farris Smith cite d’ailleurs comme influence majeure dans l’entretien qu’il nous a accordés et que nous mettons en ligne à la suite de la chronique. Willy Vlautin et le Tom Franklin du « retour de Silas Jones » et leurs écrits emplis d’humanité et de compassion et tendresse pour les plus humbles peuvent aussi être considérés comme ses pairs les plus proches actuellement.
On avait fait la connaissance de Michael Farris Smith, il y a deux ans chez Super 8 avec un plaisant « une pluie sans fin » et on le retrouve chez Sonatine dans un roman beaucoup plus ambitieux qui en surprendra plus d’un.
Russell revient chez lui dans le Mississipi après onze de prison pour avoir tué accidentellement un homme en roulant en état d’ivresse.
L’un de ces soirs où la lumière s’attarde et repousse sans cesse la nuit et tant qu’il y a de l’essence dans les pompes des stations on se dit que ce serait trop bête de ne pas la faire flamber.Plus d’une fois par la suite il s’était dit qu’il y aurait mieux valu qu’il y ait une raison. Quelque chose qui l’aurait provoqué, poussé, énervé, bousculé, quelque chose qui aurait pu expliquer qu’il ait tant bu… Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.
Maben revient chez elle, brisée, après une dizaine d’années d’errance, et accompagnée de sa petite fille.
Pas encore trente ans mais déjà le visage de quelqu’un qui est à terre. Le visage de quelqu’un qui s’accroche.
Russell, à la descente du car qui le ramène, est tabassé par les deux frères de la victime. Maben, lors de la nuit passée dans un motel est arrêté par un flic et violée à l’arrière de la voiture de patrouille. Un crime va les relier.
Ce genre d’histoires qui ressemblent à tant de chansons country, pas de doute, on a déjà lu… Aussi qu’est-ce qui fait que l’on va encore accrocher à un scénario si souvent utilisé ? Il y a d’abord, bien sûr l’écriture de Michael Farris Smith qui fait qu’on lit ce roman en un « one shot ». Les chapitres courts s’enchaînent merveilleusement, pas une page d’ennui, pas un chapitre végétatif, pas d’envolées lyriques inutiles et obsolètes voulant montrer qu’on a ses lettres comme dans tant de romans français médiocres, mais des descriptions que ne renierait pas Burke.
Ici, c’est le règne de l’ordinaire, du banal dans une région qui parait sinistrée avec une population résignée qui courbe l’échine devant les galères banales. Pas de flingues partout, un seul suffira, pas d’abrutis sous meth, pas besoin d’aide chimique dans la méchanceté. Des gens ordinaires qui ont fait des choix ordinaires, assumé leurs conséquences ordinaires, ont reçu une bonne dose de malheur somme toute ordinaire et vont répondre à l’adversité de multiples manières allant de la tristesse, l’accablement à la révolte, la rage, la folie, à la recherche de rédemption, à la quête d’une vie simple, ordinaire, banale e finalement rassurante
Beaucoup de belles scènes intimes poignantes, à vous briser le cœur dans « nulle part sur terre » : les retrouvailles entre Russell et son père, un père séparé de son fils et qui vient s’humilier ivre mort lors d’un match de baseball de celui-ci, la rencontre de Russell avec l’amour de sa vie qui a refait la sienne sans lui, beaucoup de silences, de non-dits pudiques, des instantanés comme marques d’amour, d’humanité dans une histoire pourtant bien sombre et qui font que ces mains tendues transcendent une atmosphère bien glauque pour envisager, qui sait, une éclaircie, une accalmie…
La fin m’a beaucoup surpris parce qu’une toute autre issue était très, très envisageable et ce choix effectué par Farris Smith montre le sérieux du travail de l’auteur et la mansuétude de l’homme.
Impeccable.
Wollanup.
PS: entretien à suivre.
Impeccable, comme toujours, et en particulier la vision de la fin que j’ai personnellement adorée pour la raison que tu donnes.
Pas facile de parler de l’épilogue et de ces choix de narration.