Catherine Day s’ennuie sec dans sa vie de citadine, elle démissionne et s’en va. Elle se retrouve en Gaspésie, une péninsule québécoise, à Caplan, un village posé entre la route 132 et l’océan. Un ou deux bistrots, une poignée de navires, rien à faire que regarder l’eau et le ciel, écouter les jurons des vieux pêcheurs. Catherine est là pour un rendez-vous.
Elle fait connaissance avec les locaux, Renaud le barman, sa logeuse Guylaine, les pêcheurs Vital Bujold et Cyrille Bernard, le curé Leblanc. Elle discute avec eux, ne comprend pas trop pourquoi elle reste puisque son lieu de rendez-vous a brûlé deux mois plus tôt.
Malgré des dialogues nourris et parfois crus et drôles, « Nous étions le sel de la mer » avance assez lentement dans la première partie.
Un matin Vital Bujold revient au port avec un cadavre dans son filet.

― Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.

 Ils se sont approchés, lentement. Ils ont pris doucement le corps des mains de Cyrille qui s’est relevé, trempé d’elle. Il est resté un moment immobile, hébété, à les regarder faire, puis il est sorti du bateau et s’est dirigé vers la camionnette. Au passage, il m’a jeté un regard vide d’homme dépouillé qui n’a plus d’endroit où échouer sa peine. J’ai pris ce regard et l’ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé comme l’image du désarroi.

C’est à partir de ce moment du roman qu’entre en scène Joaquin Moralès, personnage qui reviendra plusieurs fois sous la plume de Roxanne Bouchard (ce roman a été publié initialement en 2014 au Canada). Le sergent vient tout juste d’être muté au poste de police Bonaventure, un peu plus loin sur la côte. Il vient de la banlieue montréalaise, n’a pas du tout les manières ni les usages de cette côte sauvage, rude avec les gens du coin. Avec lui, ou plutôt malgré lui, le livre prend une brusque accélération.

Deux enquêtes vont alors avancer parallèlement. Bien évidemment elles sont en relation même si l’une est policière, assez classique, et l’autre bien plus personnelle, presque généalogique, et surtout d’une grande sensibilité.
On comprend très vite ce que cherche Catherine Day, les prologues de chaque partie nous renseignent suffisamment, mais ne comptez pas sur moi pour le révéler.
Quant à Joaquin Moralès, il est confronté à un monde dont il ignore tout. Cette péninsule est peuplée de taiseux dont les liens sont compliqués à délier. On le voit tenter de surnager dans ce nœud de silences que lui imposent les gens qu’il interroge, ce qui donne des situations franchement absurdes, voire burlesques. Et quand enfin ils lui parlent, il s’agit de dégager une vérité bien enfouie sous les mensonges, truffée de patois et d’expressions biscornues, un peu trop parfois d’ailleurs, notamment les dialogues avec Renaud et Vital.

Le roman se poursuit avec ces deux enquêtes, ou plutôt avec une quête familiale et ce qui ressemble à une affaire policière. Joaquin Moralès et Catherine Day sont deux solitaires malgré eux. L’un fait penser à un Buster Keaton moderne, rien ne tourne comme il veut. L’autre affronte une grande tristesse et ne sait pas quoi faire de sa liberté fraîchement acquise.
L’affaire est classée un peu vite au goût de Joaquin Moralès. Il sent bien que les gens autour de lui cachent des choses au sujet de la navigatrice retrouvée dans le filet du marin. Les bouches se ferment trop vite quand il pose des questions un peu précises, de plus sa totale méconnaissance de la mer ne l’aide pas, tout comme le coroner Robichaud qui délivre le résultat de l’enquête avant même son début. Tout va mal pour Moralès, mais il n’est pas homme à se laisser conter des histoires, et n’hésite pas à rouvrir de vieux dossiers, quitte à bousculer un ou deux notables.

 Nous étions le sel de la mer tangue avec ces deux personnages qui se croisent sans se voir, s’évitent pendant un temps, et finissent par discuter et nous emmener vers une conclusion haletante. Nico Tag

Il y a le sel de la mer de Roxanne Bouchard et il y a celui de la terre.