Brother Robert: Growing Up with Robert Johnson

Traduction: Nicolas Guichard

Annye C. Anderson, demi-sœur de Robert Johnson, a côtoyé le bluesman pendant de nombreuses années, durant sa jeunesse. Elle en livre, tout au long des pages de cet ouvrage, un portrait intime absolument inédit, truffé d’anecdotes et de détails sur sa famille, sur ses nombreuses influences, ses goûts culinaires ou vestimentaires, et bien sûr ses performances musicales, dans la région du Delta, et surtout du côté de Memphis, la ville où il habitait.

Beaucoup de monde connaît Robert Johnson. Sa musique tout du moins. Pour le reste, de l’être humain derrière la musique on ne connaît que le mythe et les légendes propagées au fil des années. Parfois même, on est familier du mythe sans jamais en avoir entendu la musique. Il serait celui qui a  pactisé avec le Diable pour acquérir son incroyable talent de guitariste. Une histoire sans cesse ressassée. Une histoire parfaitement vendeuse. A cela s’ajoute une mort dont on ne connaît pas les détails, à 27 ans en plus… Vous voyez où je veux en venir ?

De prime abord, quand j’ai entendu parler du bouquin, cela m’a tout de suite intrigué tout en me laissant imaginer le pire. Qu’un membre de la famille de Robert Johnson décide de raconter son histoire plus de 80 ans après sa mort, une demi-sœur qui plus est et âgée de 93 ans (12 ans à la mort de Robert Johnson), il y a de quoi avoir quelques doutes quant à la légitimité de la démarche. 

Le récit d’Annye C. Anderson est divisé en deux parties. Dans la première, elle nous raconte essentiellement son enfance durant laquelle elle côtoiera son demi-frère Robert Johnson, qu’elle n’hésite pas à appeler « brother ». C’est par le prisme de son enfance à elle qu’elle nous présente Robert. Sa mémoire est solide. Ses souvenirs ne manquent pas. Si ce sont parfois des souvenirs d’enfants qui peuvent paraître anecdotiques, ils contribuent à contextualiser la vie telle qu’elle était à cette époque : pauvre ou très modeste, tirant sa plus grande force de la famille ainsi que de la communauté environnante et toujours conditionnée par le comportement des blancs à l’égard des noirs. Tel que le souligne Annye C. Anderson : « Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, il n’y a qu’une seule et même région et il s’agit du Sud. ». Durant les douze premières années de sa vie, Robert Johnson est pour elle un frère sans histoires, apprécié et attentionné, bon musicien, qui bourlingue de temps en temps mais retrouve toujours le chemin du foyer familial. Un être humain bien plus simple que le mythe que l’on a fait de lui. Il n’est alors pas une star. Le fait d’avoir gravé sur disque quelques chansons semble ne rien bouleverser de son vivant. Si des détails manquent parfois, car Annye C. Anderson n’hésite pas à souligner qu’elle ne le tenait pas en laisse, rien ne permet de douter de l’exactitude de son propos.

La deuxième partie débute bien après la mort de Robert Johnson. Comme beaucoup de bluesmen noirs américains de cette époque, leur musique à parfois voyagé à leur insu et à celle de leurs proches. L’explosion du blues en Angleterre dans les années 1960 aura contribué à faire connaître quantité de bluesmen américains, qui mettront du temps à le découvrir et qui parfois, pour diverses raisons, ne toucheront pas du tout, ou qu’en partie, ce qui leur était dû financièrement parlant. 

C’est à partir de là que fut vraiment vendu au Diable l’âme de Robert Johnson. Des blancs, peu scrupuleux et bien au fait de cette situation, décidèrent alors d’exploiter tout ce qui était exploitable de la part de ces bluesmen ou de leurs proches, voire de s’improviser ayant-droits en soumettant leurs victimes à des procédures légales trop lourdes financièrement ou encore en les perdant carrément dans des rouages parfois complexes à comprendre quand on n’est pas du métier, bien entendu avec l’appui d’une « justice » favorisant rarement les noirs. Annye C. Anderson sera contrainte de dédier le reste de sa vie à récupérer ce qui était dû à sa famille, avec une détermination sans faille, mais en vain. Pour citer à nouveau ses propos : « Mais il y en a d’autres et il y en aura toujours : des Blancs qui ne nous connaissent pas et pensent qu’on leur appartient. »

Ce que permet Mon frère Robert Johnson : dans l’intimité de la légende du blues, c’est de démythifier le musicien et de l’ancrer dans le réel, ainsi que d’honorer sa mémoire, avant que plus aucun de ses contemporains ne soit en capacité de le faire. Il n’est pas ici question de journalisme de précision que l’on explore en quête de mille et un détails, mais d’un court récit, pertinent, imparfait, mais bel et bien légitime. 

Brother Jo.