Les similitudes sont réelles avec le long métrage de Claude Miller, “Garde À Vue” en 1981. Tout d’abord le contexte du face à face, qui plus est avec le profil du représentant de la loi, dans un huis-clos propice à une palpable tension dans des échanges où se jouent la destinée du mis en cause. Mais globalement, derrière une couverture caricaturale, grand guignolesque, les convergences en restent là car les deux êtres séparés par un bureau n’ont pas les mêmes attributs que dans le film, bien que les dialogues, l’écriture d’Audiard ne dépareillerait pas pour ce récit.

«Six heures du matin, Berthe, cent deux ans, canarde l’escouade de flics qui a pris d’assaut sa chaumière auvergnate. Huit heures, l’inspecteur Ventura entame la garde à vue la plus ahurissante de sa carrière. La grand-mère au Luger passe aux aveux et le récit de sa vie est un feu d’artifice. Il y est question de meurtriers en cavale, de veuve noire et de nazi enterré dans sa cave. Alors aveux, confession ou règlement de comptes ? Ventura ne sait pas à quel jeu de dupes joue la vieille édentée mais il sent qu’il va falloir creuser. Et pas qu’un peu. »

On est dans une fable à la Frédéric Dard, un conte burlesque situé non loin de St Flour dans le département du Cantal, les Salers paissent et se repaissent avec délectation autour du brouhaha distillé par Berthe. Berthe n’est plus centenaire, elle a dépassé cette barrière canonique et elle peut se targuer d’offrir son expérience, son recul, son bon sens sur ce que peut représenter la vie et sa morale. Elle nous fait sourire, voire rire mais je l’étouffe de crainte de passer pour un psychotique notoire en communauté, de part sa gouaille, son allant et ses réparties du tac au tac. En balayant son existence pavée de sombres heures, elle balaie par la même l’histoire d’un pays confronté à des démons, à une éthique parfois en toc.

Philippon aime ses personnages, j’en suis certain, il ne se contente pas de la gaudriole, salvatrice certes, mais par le support du ping-pong de la mise en examen il en extrait un substrat bien plus profond qu’il n’y paraît. La forme est là et la subtilité aussi afin de nous exposer des réflexions d’ordre politiques, sociétales ou philosophiques. En quelque sorte il exprime comme un syndrome de Stockholm inversé qui pousse à ce que le poil se dresse, à la difficulté à déglutir, à l’empathie non surjouée. Mamie Luger, quel surnom, vous le comprendrez apparaîtra au fur et à mesure du récit comme l’aïeule rêvée, pour certains, mais je l’ai eu… Elle est de ces femmes qui ont dû lutter seules, qui ont dû se forger une carapace au monde extérieur et aux attaques intérieures, qui ont dû s’affirmer pour que leurs pieds restent intacts, elle est le cri de révolte, la négation de la fatalité, la femme qui se lève et qui fait face. Saura t-elle vous retourner? Sans salmigondis, l’auteur nous ouvre des voies de la raison malgré des faits réprouvés par un code législatif ou populaire. Il est de ces ouvrages qui derrière la légèreté vous permettent la réflexion sans injonctions lestes.

Profondément humain!

Chouchou

PS: A l’écriture de ce billet, j’écoutais un titre Soul que je ressentais parfaitement correspondre au ton, à la parole de l’ouvrage mais étant introuvable sur la toile je vous en livre les références: Brother Bill « Wha’s Happ’nin » sur le label Numéro Group.