Les exégètes et les lecteurs qui le suivent depuis longtemps savent que dans l’oeuvre fabuleuse de Pierre Pelot, le western tient une place tout à fait particulière. C’est même le genre de prédilection de ses débuts littéraires. Entre 1966 et 1982, Pierre Pelot a écrit pas loin de 40 textes se rattachant au western, notamment une conséquente série avec un personnage principal, Dylan Starck, un métis franco-indien né dans le Sud des Etats-Unis. 2023 nous apprend qu’il n’avait pas tout à fait renoncé à ses premières inspirations.
La fin de la guerre de Sécession vient tout juste d’être signée. Une bande de pillards commandés par Captain Sangre de Cristo et une sorcière sanguinaire surnommée Mother débarquent dans la vallée d’Ozark, en Arkansas. Ils s’installent dans la ferme des McEwen, massacrant les parents et la plus jeune des quatre filles de la famille, avant de poursuivre leur chevauchée meurtrière.Les trois soeurs survivantes n’auront de cesse de traquer cette horde pour se venger. Par monts et par vaux, au hasard de la reconstruction du Sud, elles vont finir par former une bande de femmes hors la loi à la recherche de ceux – tous ceux – qui ont détruit leur vie…
En fin connaisseur des Etats-Unis, Pierre Pelot a choisi une bonne tourbe historique comme le terrain de son roman. Dans la région des Ozarks, Arkansas, la guerre de Sécession ne s’est jamais incarnée en batailles rangées ou boucheries à grande échelle. Pour ainsi dire, la contrée a même été épargnée par les bandes de franc-tireurs et de soudards antagonistes, Jaywalkers, Bushwackers ou Red Legs, qui ont éreinté le Missouri et le Kansas voisins, au nord, par leurs actions de guérilla et leurs raids sanglants dirigés principalement vers les civils supposés être du mauvais bord. Et puis un jour, qui devrait être celui de la paix à peine signée, tout change. Une bande de massacreurs aux bords de la folie passe par la propriété de la famille McEwen pour égorger, violer, piller et incendier. La vie des trois filles McEwen survivantes bascule dans un noir cauchemar. La défaite véritable, ce serait d’accepter leur sort injuste. S’il leur reste quelque chose à vivre, puisque plus rien ne fait sens, ce sera la vengeance.
Pierre Pelot est un horticulteur. Il sait faire éclore avec constance les plus belles fleurs de son écriture dans ses descriptions ou ses scènes d’action, très vives, avec un registre qui peut passer du cru au presque précieux par moment. Il n’y a pas de roses sans la caresse d’une épine. Les pétales sont ici d’un rouge puissant. Le roman déchaîne une violence échevelée, qui laisse pantois. Ça mitraille, ça sabre, ça égorge, ça éventre sur un rythme enlevé. Et cela n’est pas l’apanage unique des hommes. Les femmes y ont leur part. Leur innocence, leur jeunesse, leurs espérances bafouées, les sœur McEwen, Enéa en cavalière de tête, vont se montrer sans concession. Leur adversaire est d’envergure inhabituelle. C’est l’époque des hommes pour lesquels le meurtre est aussi banal et quotidien que de chier dans les bois. Mais ils sont assortis là d’une illuminée adepte du sacrifice humain.
Les sœurs McEwen vont constituer en chemin un escadron femelle déterminé en incorporant dans leurs rangs des putains malmenées par la colonne des pillards. C’est aussi un aspect fort de ce roman, une révolte de femmes contre un destin tragique, contre un statut d’humiliée. Des femmes vont prendre leur vie entre leurs mains et laver leurs humiliations dans le sang. Bien que hors-la-loi, elles vont redonner une âme et une dignité à toute une communauté martyrisée par la guerre et la folie des hommes.
A la différence de leurs adversaires maléfiques, elles cherchent ainsi une paix de l’esprit et un rééquilibrage de leur monde sens dessus dessous. Et après ? Elles ne veulent pas y penser. Les rêves d’amour, de mariage, de vie familiale heureuse d’Enéa sont peut-être définitivement morts avec la lame de sabre qui lui est entrée dans la joue et l’image imprimée sur sa rétine de ses proches suppliciés. La guerre qui s’achèvait, c’était la promesse du retour de l’être aimé, le fils des voisins Starck. Leur vie ne sera plus jamais la même.
Pierre Pelot avait bien entendu toute la légitimité et toutes les munitions pour s’aventurer (à nouveau) sur les territoires du Old West. Loin en amont du ciel rejoint sans conteste les étoiles du western littéraire de fabrique européenne. Elles ne sont pas si nombreuses. Nous avions – chaudement – chroniqué le dyptique de l’Irlandais Sebastian Barry dans nos colonnes. En voici une autre.
Sauvage, cruel, émouvant. Et une magnifique cavalière sur le dos de La Noire.
Paotrsaout
grand merci pour ce que vous avez écrit à propos de Loin en amont du ciel. Et pas seulement merci mais bravo aussi. Pour votre regard et la force tranchante qui le porte même si cette image peut paraitre curieuse… De tout coeur.
Merci d’avoir pris le temps de nous saluer, Monsieur Pelot. Disons que côté force tranchante, vous nous en avez donné aussi avec vos sabres de cavalerie. Et, pas de belle chronique sans texte inspirant. Amicalement.