A Lausanne, dans un avenir proche, peut-être plus proche qu’on ne le croit, l’ultralibéralisme est à son apogée, à son pic… Le travail et les loisirs sont organisés pour permettre un rendement optimal. Les anglicismes et néologismes sont nombreux et font partie d’une langue particulièrement étudiée par les élites pour faire croire aux esclaves du capitalisme qu’ils sont partie intégrante de la réussite de l’entreprise, qu’on les associe au succès sans toutefois les rémunérer de leur peine. Non, on les garde s’ils font le taf, sinon, on les requalifie, terme nettement moins violent que de de les licencier. On parle de “co-workers”, de “socials”, de “days off”, de “Global Screen”, de « coach médical », bienvenue dans le monde du micro-management à l’américaine avec ces « friday wear » et autres putasseries. Evidemment, ces termes ont déjà sûrement titillé vos oreilles, ce discours qui endort, qui rassure, qui donne une impression de bienveillance, qui permet surtout aux “Happy Few” et “Winners” d’empocher le magot et d’aller s’installer dans des citadelles surprotégées ou dans des endroits encore idylliques et secrets de la planète, vous l’avez déjà entrevu, non?
Seule une minorité profite, la théorie du ruissellement vaste funèbre et fumeuse fumisterie libérale… La colère des exclus en Europe et partout dans le monde monte et des années de résistance pacifique n’ayant rien donné, les mouvements altermondialistes, écologistes durcissent le ton, se radicalisent et deviennent aussi ignobles que le monstre qu’il veulent abattre. Dans ce décor qui ressemble à s’y méprendre au nôtre, juste un petit peu poussé, avancé de peut-être une ou deux décennies, nous suivons un narrateur employé dans une entreprise et qui vit un peu dans sa bulle, un peu “autre”.
Et puis dans un monde où sévissent des virus de plus en plus meurtriers et tordus et des tempêtes apocalyptiques à répétition, commencent des coupures d’électricité. Au début, brèves et qu’on pense locales alors qu’en fait elles s’abattent sur de grandes parties de l’Europe, elles deviennent plus longues, plus fréquentes jusqu’au blackout général et le chaos…
“ l’obscur” n’est pas le roman le plus tapageur du genre, son énorme force vient de l’évocation d’une apocalypse qui est tout à fait crédible, déjà signalée comme une très possible éventualité par les plus grands observateurs, tout comme le risque d’une pandémie mondiale d’ailleurs, sans commentaire… Le décor est très proche de ce que nous connaissons et Philippe Testa montre efficacement ce que deviendrait notre société moderne si policée le jour du désastre.
Alors, ce n’est peut-être pas le moment idéal pour lire ce roman, le traumatisme est déjà suffisamment présent chez tous. Mais d’un autre côté, si vous voulez prévoir la suite éventuelle de nos tourments, la prochaine torgnole, ce roman est captivant, sérieux, crédible et particulièrement dur avec l’espèce humaine. Le discours est très marquant et montre que, finalement, ce sont les individus un peu ou beaucoup à la marge qui s’en sortent le mieux en enfer. Alors, soyez fiers de votre différence, cultivez-la, fuyez le “mainstream ».
Salutaire !
Clete.
« Ce sont les individus un peu ou beaucoup à la marge qui s’en sortent le mieux en enfer. »
Au moins, ça fait plaisir de lire une telle conclusion.
Encourageant?