Alors, redisons- le une dernière fois, les romans que sort Jimmy Gallier dans sa petite maison d’édition marseillaise Jigal sont bons. Je ne les ai pas tous lus mais je n’ai jamais été déçu. Aussi il était bien temps de s’intéresser au plus éloigné géographiquement des auteurs Jigal, je veux parler de Janis Otsiemi, originaire du Gabon et à ses dires devenu romancier « par effraction » et dont Jimmy n’arrête pas de me vanter sa tchatche depuis longtemps.
« À Libreville, une folle rumeur envahit la ville et crée la psychose… Dans la rue, tout le monde marche les mains dans les poches en évitant soigneusement d’approcher des inconnus… Il semblerait en effet que d’une simple poignée de main, de louches individus détroussent les passants de leurs « bijoux de famille » ! On les appelle les voleurs de sexe… C’est dans cette atmosphère électrique que, parallèlement, les gendarmes de la Direction générale des recherches mènent leur enquête sur un trafic de photos compromettantes touchant le président de la République… De son côté, la police recherche activement les auteurs du braquage qui a mal tourné d’un homme d’affaires chinois, laissant trois morts sur le carreau… À Libreville, la vie n’est pas tous les jours un long fleuve tranquille… »
Dépaysement total avec ce roman, vous je ne sais pas, mais moi, mis à part un excellent « Lagos lady », il y a quelques mois, cette partie de l’Afrique m’est totalement inconnue d’un point de vue littéraire… à tous points de vue finalement . Le Gabon, ancienne colonie française ( et patrie du grand footballeur Pierre Emerick Aubameyang! ) où les administrations encore en place semblent être encore très inspirées des nôtres est la trame de fond francophone de ce roman où l’équipe de flics ripoux du capitaine Pierre Koumba, directeur des affaires criminelles de la PJ de Libreville va devoir s’escrimer, à sa manière et pour différents motifs, sur trois affaires .
La première concerne une magouille de petits chelous locaux qui tentent un chantage avec des photos compromettantes, une affaire bien trop ambitieuse pour eux surtout quand elle touche le pouvoir, jusqu’au plus haut personnage de l’exécutif « Papa Roméo, le grand émergent », c’est à dire Ali bongo le fils d’Omar Bongo et actuel président du pays. L’histoire racontée par Janis Otsiemi lui a été inspirée par une réalité de 2010 qu’il vous fera découvrir lui même. Il a écrit en 2007 « guerre de succession au Gabon: les prétendants » et connait donc très bien, pour le plus grand bonheur du lecteur, les rouages politiques de son pays .
La seconde affaire suivie par la PJ de Libreville montre un aspect moins amateur de la criminalité de la capitale Libreville quoique… le terrible bilan du braquage raté mettra en évidence les carences des acteurs et Janis Otsiemi en profite pour exposer la corruption des élites policières et le rôle de plus en plus important de la Chine dans l’exploitation des ressources économiques du pays, prenant de plus en plus la place de la France.
Enfin, le troisième pensum de Kouma et de ses adjoints consiste à faire taire ou pour le moins comprendre la réalité d ‘une rumeur qui prêterait uniquement y à rire si elle n’avait pas pour conséquence le lynchage des personnes accusées bien à tort de vol de sexe. N’ayant pas d’intérêts politiques et financiers dans la résolution de cette intrigue, Kouma and co ne s’y intéressent qu’à la suite de la pression qu’exerce sur eux les plus hautes autorités, les gênant ainsi dans l’étude de leurs paris PMU. Là encore et c’est passionnant janis Otsiémi s’est inspiré d’une rumeur qui a vraiment circulé dans plusieurs pays de la région pendant plusieurs décennies.(lire à ce propos l’intéressant article de l’ Obs de 2010 mis en lien en fin de chronique.)
Et tout cela sera résolu en un peu moins de 200 pages, vives, alertes, sans temps mort, avec une verve réjouissante,un bagout explosif qui rappelle Frédéric Dard par cet emploi d’un argot délicieux et ici très ensoleillé. L’auteur manie le verbe brillamment pour les besoins de son histoire mais aussi pour montrer voire dénoncer certains aspects de la société gabonaise et cela allume fort même si l’auteur avoue se mettre des limites « Il m’arrive de m’autocensurer, c’est-à-dire de m’autoriser des prudences, pour éviter de m’attirer des ennuis. Ce qui m’oblige à utiliser des euphémismes, à créer un langage, à contorsionner la langue à la limite de l’hermétisme pour échapper à cette autocensure » (article de Françoise Alexander, le Monde du 26/10/2015. )
En conclusion, Janis Otsiémi a réussi la parfaite harmonie entre un roman policier intelligent et prenant, basé sur la réalité urbaine de sa ville et une photographie subversive de la société gabonaise et de ses institutions et tout cela avec un franc parler percutant et une verve irrésistible.
Jubilatoire et couillu!
article de l’Obs sur la rumeur des voleurs de sexe.
Wollanup.
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