Traduction : Gérard de Chergé.
Parker Bilal, pseudonyme de l’écrivain anglo-soudanais Jamal Mahjoub pour ses romans policiers écrit le troisième volet des enquêtes de Makana ex-flic soudanais réfugié au Caire. Ceux qui comme moi aiment déjà ce détective seront heureux de le retrouver, mais ce troisième opus, loin du Caire n’est pas le meilleur pour moi et mieux vaut commencer par les deux premiers : « les écailles d’or » et « meurtres rituels à Imbaba » pour se faire une idée véritable de l’univers de Makana.
« Début 2002, peu après le 11 Septembre. Alors que les Israéliens assiègent Ramallah, une forte tension agite les rues du Caire, où Makana file tant bien que mal la Bentley de Me Ragab, que sa femme pressent d’adultère. En réalité, l’avocat va voir sa protégée, Karima, une jeune fille gravement brûlée dans l’incendie de son domicile. La police croit à un accident, il soupçonne un crime d’honneur commis par le père de la victime, un djihadiste en cavale. Makana se rend à Siwa, oasis à la lisière du désert libyen, pour se renseigner sur la famille de Karima, mais il s’y heurte à l’hostilité des autorités, qui appliquent la loi à leur manière et se méfient des étrangers. Pire, il est accusé de deux meurtres barbares qui l’éclairent sur une donnée majeure de l’équilibre local : la présence de gisements de gaz… »
Karima, la jeune fille brûlée dans l’incendie de son appartement était la fille d’un sale type, délinquant et djihadiste qui a dû fuir l’Egypte. Alors qu’il devrait être au Danemark, Makana découvre qu’il a été rapatrié, comme beaucoup d’autres après le 11 septembre, vers une prison secrète où les interrogatoires échappent aux règles internationales. La mort de cette jeune fille ne traumatise pas la police qui se contente de la thèse de l’accident ou du suicide. Les crimes d’honneur déguisés ne sont pas rares mais ne suscitent pas d’émoi. Cette enquête va amener Makana à se pencher sur la condition des femmes égyptiennes à laquelle peu de gens s’intéressent : une association au Caire, mais personne dans la petite ville isolée de Siwa.
Dans l’oasis de Siwa perdue dans l’immensité du désert, bien loin du Caire, les habitants sont peu concernés par les lois du pays et n’apprécient pas trop que l’on se mêle de leurs affaires. Dès son arrivée, Makana se retrouve escorté par la police locale, rarement libre de ses mouvements. Face à la loi du silence qui règne sur la petite communauté, Makana est bien seul et si ses amis et partenaires lui manquent, ils nous manquent également car tous ses acolytes sont des personnages attachants et participent au charme de cette série.
A Siwa, l’atmosphère est lourde, particulièrement pesante car, comme dans une île, on ne peut s’isoler et tout est exacerbé : les tensions, les passions, les rancunes. Bilal Parker sait faire ressentir l’oppression qui règne sur cette ville où la violence peut se déchainer brutalement. Si le tourisme se développe et ce doit être une région magnifique, c’est une activité annexe qui n’influence pas véritablement la vie des gens. Outre la culture des dattes, il y a la contrebande : activité traditionnelle pour ceux qui connaissent par cœur le désert et ses pistes.

Les bains de Cléopâtre à Siwa.
Le pouvoir est en réalité entre les mains de trafiquants. Pour eux, l’important est de faire des affaires et le désert abrite bien des trafics secrets. Ils n’ont aucun état d’âme à commercer avec des djihadistes. Ils ont eux-mêmes une vision radicale de l’islam et s’ils ne sont pas pieux, imposent à leurs femmes et leurs filles des modes de vie archaïques et brutaux. Ils ont tous les droits sur elles, en usent et en abusent en toute impunité. Makana prend de sacrés risques en enquêtant car à Siwa les punitions sont violentes pour qui dérange. Il découvre des destins tragiques de femmes et leurs histoires résonnent d’autant plus en lui qu’il pense à sa fille peut-être encore vivante.
D’autres requins encore plus puissants et haut placés lorgnent sur les ressources du sous-sol… Bref, Makana a encore mis les pieds où il ne fallait pas et pour s’en sortir, il devra montrer une résistance incroyable, un peu trop peut-être!
Le roman est bien construit, le suspense est là. Bilal Parker sait écrire! Il nous offre encore une galerie de personnages bien campés et crédibles, même si tous ne sont pas attachants : une bénévole pour une association au Caire, les policiers corrompus, les commerçants du coin qui ont tous quelque chose à cacher, un médecin alcoolique… Il nous dresse un portrait très noir de l’Egypte rurale dont on se dit qu’il s’est encore sûrement aggravé.
Un bon polar, très noir.
Raccoon
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