Traduction : Carine Chicherreau.
« Fates and furies » est le troisième roman de Lauren Groff, jeune auteure américaine dont les autres romans ont déjà eu du succès, mais celui-ci a bénéficié d’une pub inédite quand Barack Obama en a fait son livre préféré de 2015 ! Les deux mots du titre original correspondent aux deux parties du bouquin, bien différentes. Dommage que la version française du titre « les furies » gomme cet aspect duel du livre qui est l’un des principaux intérêts du roman.
« « Le mariage est un tissu de mensonges. Gentils, pour la plupart. D’omissions. Si tu devais exprimer ce que tu penses au quotidien de ton conjoint, tu réduirais tout en miettes. Elle n’a jamais menti. Elle s’est contentée de ne pas en parler. »
Ils se rencontrent à l’université. Ils se marient très vite. Nous sommes en 1991. À vingt-deux ans, Lotto et Mathilde sont beaux, séduisants, follement amoureux, et semblent promis à un avenir radieux. Dix ans plus tard, Lotto est devenu un dramaturge au succès planétaire, et Mathilde, dans l’ombre, l’a toujours soutenu. Le couple qu’ils forment est l’image-type d’un partenariat réussi.
Mais les histoires d’amour parfaites cachent souvent des secrets qu’il vaudrait mieux taire. Au terme de ce roman, la véritable raison d’être de ce couple sans accrocs réserve bien des surprises. »
Le roman s’ouvre sur une image : deux jeunes gens sur une plage, célébrant leur mariage. Ils sont jeunes, beaux, amoureux… Lotto et Mathilde. Présentation succincte et tout de suite Lauren Groff prévient : [c’est lui que nous ne pouvons quitter des yeux. C’est lui qui brille]. Et c’est lui qui sera au premier plan de la première partie du roman : Fortune.
L’auteur a doté Lotto de tous les privilèges : blanc, beau, brillant, issu d’une riche famille du Sud, choyé par toute sa famille et promis comme il se doit à une belle destinée. Après la mort de son père, il part un peu en vrille et sa mère l’envoie dans une grande école du Nord pour le remettre dans le droit chemin. C’est là qu’il rencontre Mathilde, sans famille, qui a dû bosser pour payer ses études et qu’il épouse très vite au grand désespoir de sa mère qui leur coupe les vivres.
Avec lui au premier plan, on découvre leur histoire. Pendant dix ans, il galère en tant qu’acteur et c’est Mathilde qui fait bouillir la marmite et lui apporte un soutien sans faille. Lotto s’en émerveille et sa pire crainte est qu’elle s’en lasse. Quand vient le succès en tant que dramaturge, il est tantôt dans les affres du doute, tantôt dans l’euphorie du succès mais Mathilde est toujours là, présence fidèle et discrète.
Dans cette première partie, l’écriture est brillante, foisonnante à l’image de Lotto et de leur vie, tourbillon de fêtes dans le monde de l’art, du théâtre. Shakespeare, sa puissance et ses références mythologiques sont les sources d’inspiration de Lotto et Lauren Groff nous présente ses œuvres qui évoluent en même temps que sa vie.
Puis Lauren Groff s’intéresse à Mathilde dans la deuxième partie : Furies. Elle sonde les zones d’ombres et dévoile les dessous de ce mariage si réussi. On entre alors dans un deuxième roman à la tonalité beaucoup plus sombre mais aussi plus puissante. Lauren Groff nous montre le côté obscur de Mathilde, qui si elle n’a jamais menti, a par omission et par amour caché des pans entiers de sa vie et de sa personnalité. C’est un personnage complexe, profondément humain dans sa noirceur même, dont l’histoire, pleine de bruit et de fureur n’aurait pas détonné dans une tragédie antique ou dans l’œuvre de son mari…
Les personnages sont bien campés, terriblement vivants et pertinents. En explorant leur histoire, leur relation, leur couple, Lauren Groff va beaucoup plus loin que la simple autopsie d’un mariage. Tout en racontant l’intime, elle va vers l’universel et parvient de surcroît à faire voler en éclat le rêve américain d’une terre de liberté. Elle décrit une société où la réussite sourit bien plus facilement aux gens bien nés, où ce rêve n’est qu’un mythe.
Un grand roman, puissant.
Raccoon
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