Traduction : Laurence Sendrowicz.

Dror Mishani, né à Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit son héros Avraham Avraham enseigne la littérature et l’histoire du roman policier à l’université de Tel-Aviv. Il est entré dans l’univers du polar avec Simenon et son intérêt pour tous les personnages, victimes comme assassins donne à ses romans une atmosphère particulière. « Les doutes d’Avraham » est le troisième volet de cette série.

« Une veuve sexagénaire est retrouvée étranglée dans son appartement de Tel-Aviv. Peu après l’heure probable du décès, un voisin a vu un policier descendre l’escalier de l’immeuble. Avraham, promu chef de la section des homicides, est confronté à sa première enquête de meurtre. Il doute plus que jamais de lui-même, sur le plan personnel autant que professionnel. Pendant que la police s’active, une jeune mère de famille, Maly, s’inquiète du comportement insolite de son mari : ayant renoncé à trouver un emploi, il la délaisse depuis quelques jours, fréquentant trop assidûment la salle de boxe et refusant de répondre aux questions pressantes qu’elle lui pose. »

Comme l’indique le titre, Avraham est en plein doute : nouvellement promu chef de la section des homicides, c’est la première enquête pour meurtre qu’il doit diriger. Chef de ses anciens collègues, il a du mal à trouver les bons rapports, à accepter de n’être plus en première ligne sur le terrain, à subir les pressions de sa hiérarchie, la malveillance de celui qui voulait être chef…

On retrouve Holon, banlieue de Tel-Aviv où vit et travaille Avraham. Dror Mishani plonge la ville dans une atmosphère hivernale surprenante pour Israël : tempête, pluie, froid, autant d’éléments qui évoquent Maigret à Avraham et qui le réjouissent un peu car Marianka, sa compagne belge installée depuis peu avec lui cesse de parler de l’hiver bruxellois avec nostalgie quand l’atmosphère fraîchit. Encore des doutes, bien plus personnels pour Avraham…

Dror Mishani construit son roman en suivant deux histoires : celle d’Avraham, qui mène l’enquête en remontant la piste de la vie de la victime et celle d’une famille, d’un couple qui se débat dans des difficultés économiques et se défait suite à un drame. On sait bien sûr que ces deux histoires vont se mêler. En fait, le lecteur en sait bien plus qu’Avraham et l’intérêt ici n’est pas la recherche du coupable, mais le pourquoi, Dror Mishani réussit à créer le suspense sur ce simple élément.

L’empathie qu’il exprime pour tous les personnages fonctionne, ils sont tous humains. Des êtres blessés, meurtris qu’on va suivre en sachant qu’il n’y aura pas de gagnant. L’univers de Dror Mishani est loin d’être manichéen : pas de méchants haïssables, mais des êtres ordinaires qui pètent les plombs face au malheur et basculent par faiblesse, par bêtise, par accident. Le meurtre est toujours une tragédie dont les dégâts ne s’arrêtent pas avec la résolution de l’affaire, l’enquêteur lui non plus ne peut pas en sortir indemne. Un univers bien sombre mais si humain.

Un très bon polar où le noir se détache d’une palette de gris.

Raccoon