– Vous m’épelez !
C’est très gênant de lui rétorquer qu’elle, en revanche, ne me plaît pas du tout. Je reprends néanmoins ma litanie…
– J.E.A.N.D.A.N.I.E.L.B.E.A.U.V.A.L.L.E.T.
Elle pianote mollement, marque une pause quasi théâtrale et statue bientôt.
– Au rayon jeunesse !
Je ne saurai jamais si l’hôtesse d’accueil du bazar culturel où j’ai fini par échouer de guerre lasse prend pour elle mon sourire de caniche amoureux (by courtesy of Louis-Ferdinand Céline), mais sa réponse me ravit au plus haut point. Pour un peu je l’embrasserais, voir plus malgré le manque d’affinité, là, tout de suite, sur son comptoir. JD, au rayon jeunesse ! La sienne, la mienne, la nôtre ? Bref.
À peine sorti du lieu, le livre enfin sous le bras, je me pose sur un banc du square Paul Painlevé et tombe sur cette première phrase définitive : « Comment peut-il y avoir un angle sur la Terre alors qu’elle est ronde ? ». Et tout remonte à l’unisson : cet angle de la terre, ses chicanes, ses contresens assumés, son insularité et, bien sûr, son raffut binaire qui nous a chamboulés à jamais. L’Angleterre ! Ça nous a pris différemment, JD et moi, par des chemins de traverses distincts, parallèles souvent, opposés jamais. Nos « angles » de vue et notre amour précoce d’une même terre devaient forcément se croiser un jour. Et ce fut le cas dès 1986 au sein de ce fanzine musical naissant au patronyme impossible : Les Inrockuptibles. Jean-Daniel en cristallisa l’essence et en fut la plus emblématique signature pendant trente-cinq ans, dispensant passions et découvertes à des milliers d’adeptes.
Depuis quelques mois, nous savions sa première fiction à l’approche mais l’attendions sur d’autres tarmacs. Son contrepied digne d’un Harry Kane nous met dans le vent et nous rappelle pourtant ce qu’il est vraiment, cet Anglais d’âme et d’esprit, cet éternel gamin assoiffé de sons nouveaux, ce passeur passionné et passionnant. De fait, l’appellation « Littérature jeunesse » lui va comme un gant et nous mettons nos pas dans ceux de son jeune provincial français pour une délicieuse et légère promenade londonienne. Une dérive urbaine en convoquant une autre, il ne nous faut qu’une volée de pages pour penser à l’écriture fluide d’un autre JD, Salinger bien sûr, celui de L’Attrape-cœurs, d’Holden et d’une autre fugue.
Sans en déflorer les pourquoi et les comment, nous suivons Siméon, gamin en mutation et paumé dans la City. Nous croisons Banksy, Sonic Youth ou presque, des bad boys et des punks de haute lignée, la Reine aussi. Les situations sont fraiches et cocasses, la tonalité s’avère idéalement légère, et les phrases, souvent jolies, ne pèsent que le poids d’une plume souriante et agréable.
Elégamment illustré par Robin Feix (bassiste et graphiste de Louise Attaque sous d’autres cieux) le gentil voyage scolaire prémâché tourne en parcours initiatique et les révélations induites feront long feu. Nous connaissions le talent de Jean-Daniel Beauvallet pour apprivoiser les mots en douceur, mais la surprise du changement de registre n’en reste pas moins bluffante.
JLM
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