Traduction: Margot N’guyen Béraud 

Bogota possède une attraction que Carthagène n’a pas. Centre névralgique de la Colombie, elle étincelle pour bon nombre, cherchant émancipation, reconnaissance ou évolution indépendante. Cette expérience et cette équation se jouent au sein d’un salon d’esthétique. Lui aussi semble être l’épicentre d’illusions, le carrefour de luttes des classes, le théâtre des cloisonnements ancrant un déterminisme violent, sans concessions. La narratrice du récit voit les actes de l’intérieur, en dirigeant les projecteurs vers cette esthéticienne symbolisant les pratiques d’un pays et ses dérives, elle nous décrira avec acuité et sens une critique acide de son monde.

«La Maison de la Beauté est un luxueux institut de la Zona Rosa, l’un des quartiers animés de Bogotá, et Karen l’une de ses esthéticiennes les plus prisées. Mais son rôle dépasse largement l’art de la manucure et de la cire chaude. Ses clientes lui confient leurs secrets les plus intimes. Un petit massage avant l’épilation… et Karen apprend tout sur leurs implants mammaires, leurs week-ends à Miami, leurs divorces ou leurs amourettes.

Un après-midi pluvieux, une adolescente entre dans le salon – en uniforme d’écolière et sentant très fort l’alcool : Sabrina doit être impeccable pour une occasion très particulière. Le lendemain elle est retrouvée morte.

Karen est la dernière personne à l’avoir vue vivante. Qui Sabrina a-t-elle rejoint ce soir-là? Que se sont confié les deux jeunes femmes lors de ce dernier rendez-vous? »

Melba Escobar de Nogales, née en 1976, a soutenu un thèse de littérature sur le journalisme culturel. Chroniqueuse pour le journal El Pais de Cali, elle a bénéficié d’une résidence d’écrivain au sein de l’université de Santa Fé, Nouveau-Mexique, “Le Salon de Beauté” est son troisième livre publié mais sa première incursion dans le roman noir.

Bien souvent la quatrième de couverture et les accroches afférentes paraissent éloignées d’une vérité, d’une honnêteté intellectuelle. En ce qui concerne cet écrit, et en particulier l’avis d’El Tiempo synthétise le rendu de celui-ci! « A la fois roman social, récit urbain, roman d’apprentissage, thriller sur fond de corruption politique » éclaire de manière concise les spécificités et qualités de l’ouvrage.

Le social creuse son sillon dans un pays qui peine encore à trouver de la stabilité et s’inscrire dans une volonté populaire d’infléchir une politique dénuée de structures, d’infrastructures. Il n’y a pas de volonté institutionnelle d’encadrer les missions régaliennes qui permettent sécurité, éducation, soutien aux démunis.

Récit urbain, bien sûr, dans ce mirage représenté par la capitale où les contrastes saisissent face à ses pendants provinciaux. La cité des décisions législatives et exécutives semble mépriser la plèbe des rues, ses concitoyens.

Roman d’apprentissage, d’émancipation, ou en tous les cas les tentatives, dont Karen reste le point de gravité. Elle n’a pas toutes les armes, elle se laisse happer par des expédients lui promettant la solution à ses problèmes et son objectif posé. Elle apprend, mais souvent à ses dépends, dans la douleur.

Thriller sur fond de corruption politique, dont la tension est très bien retranscrite, révèle, de nouveau, les scories d’un état lesté d’un histoire récente traumatisante.

Ces multiples entités rhétoriques sont parfaitement agencées en réussissant à se limiter à des descriptions sensées, fortes de personnages  traînant qui une souffrance, qui une remise en cause, qui l’opacification d’actes non assumés. Et ce roman réussit son entreprise, dans une dimension raisonnée, pour dépeindre aussi bien une société et des personnages symboles de celle-ci. Sa lecture nous révèle sous ce prisme une Colombie exsangue lacérant des êtres hypnotisés par l’onirisme et la crédulité.

Une claque où les marques des ongles tatouent le visage et l’esprit!

Chouchou