Dark at the Crossing
Traduction : Janique Jouin-de Laurens
L’année dernière, les lecteurs français pouvaient découvrir Eliott Ackerman, nouveau venu sur la scène littéraire américaine, également traduit chez Gallmeister. Son roman En attendant Eden est toutefois chronologiquement plus récent que celui qui nous intéresse ici. Il ne surprendra personne qu’à nouveau, l’expérience dans le corps des US Marines de l’auteur (il y est resté 8 ans et servi plusieurs fois au Moyen-Orient) charpente une histoire qui se déroule dans une zone de conflits et réunit des personnages aux destins bouleversés par la guerre, la perte et l’exil.
Ancien interprète pour l’armée américaine en Irak, Haris Abadi a pu émigrer avec sa sœur aux États-Unis. Incapable d’y trouver sa place, il décide de se rendre en Syrie pour combattre le régime de Bachar-al-Assad aux côtés des insurgés. Mais son passeur le dépouille de son argent et de son passeport américain ; en un instant, Haris perd ainsi son statut d’Occidental protégé. Bloqué en Turquie, il erre près de la frontière où il rencontre Amir et son épouse Daphne, deux Syriens réfugiés dont la guerre a détruit la vie. Haris trouve auprès d’eux un abri et un nouveau point d’attache. Mais Haris ne se ment-il pas à lui-même ? Est-il un soldat en quête d’une cause, ou un déraciné à la recherche de son identité ?
L’action, les combats ont peu de place dans l’histoire mais la guerre est bien là, dans le paysage, dans les corps scarifiés, les esprits sans repos, dans les introspections douloureuses. La vie et la mort, le bien et le mal sont jumeaux dans ce paradoxe séculaire qu’est la guerre. Haris a gagné la nationalité américaine en servant les troupes dans son pays envahi, l’Irak. Ne sentant pas à sa place en Amérique, il a décidé de rejoindre une autre guerre. Mais si c’est finalement Daesh qui peut lui faire passer la frontière et l’enrôler, cela n’est plus si important. Daphne refuse de croire à la mort de sa fille sous les bombes et est prête à tout risquer pour le vérifier et redonner un sens à sa vie. Amir croit pouvoir aider son pays martyrisé en collaborant aux enquêtes d’ONG et d’institutions occidentales et ferme les yeux sur la réalité vénale de son travail, sans réel impact positif sur le martyre de la Syrie. David Ackerman réussit à nous rendre proches et attachants ses personnages abîmés par leurs remords et leurs trahisons.
Plus largement, l’auteur peint un tableau évocateur de la zone grise de la frontière turco-syrienne où les réfugiés croupissent dans le dénuement à l’extérieur ou encombrent les couloirs d’hôpital, où les trafics d’hommes et de marchandises fleurissent avec la complicité de petits fonctionnaires corrompus. Il donne une dimension humaine à un drame perçu ici au travers de cartes, de lignes de front, de décomptes choquants ou abstraits.
Une évocation de la folie et la futilité de la guerre, de vies brisées, d’habitations écrasées sous les bombes, de bonnes intentions égarées avec, au final, une amertume puissante.
Paotrsaout.
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