Traduction: Bruno Boudard
1904, en Virginie appalachienne, point de départ du roman, un train convoie des centaines de bûcherons surnommés “les loups de la forêt”. Quittant leurs camps sur les hauteurs pour quelques heures de repos, ils s’en vont à Helena, la ville dont l’économie et la survie dépendent uniquement et exclusivement de l’exploitation forestière et de sa scierie qui emploient 4000 personnes. Alcool, femmes, musique, danses, tout est bon pour oublier l’enfer de leur vie à abattre des arbres plusieurs fois centenaires, jour après jour, saison après saison pour un salaire de misère et dans des conditions souvent dantesques tout en contribuant de fait à un massacre environnemental de grande envergure. Mais au sein de cette assemblée baroque et insolite, certains sont là aussi pour trouver les moyens de lancer une grève musclée, armée, sanglante pour en terminer avec l’insolence des Absentéistes de New York, les propriétaires de l’immense affaire, deux sénateurs et un juge pressenti pour la cour suprême des USA.
Dès ce départ, l’auteur introduit les personnages clés de l’histoire tout en nous montrant le monde cosmopolite “la lie de l’Europe” qui compose cette main d’oeuvre exploitable à volonté et rapidement interchangeable. Ainsi de surprenants destins nous sont contés chez les bûcherons bien sûr mais aussi dans la population très hétéroclite dans ses classes les plus modestes: une veuve slovène qui ne l’est pas réellement, un pasteur désemparé qui doute de lui et de sa foi, un touchant colporteur syrien égaré et précieux passeur de culture…
Et dans ce monde évolue depuis quelques années Cur Greathouse qui a quitté la ferme familiale dont il aurait dû hériter pour s’épuiser sur des troncs en plein coeur de l’hiver. L’expérience vécue et le hasard des rencontres lui ont fait rejoindre le camp de ceux, anonymes, qui veulent être payés un peu plus, avoir quelques garanties en cas de maladie ou d’accident du travail… un peu moins de cent hommes prêts à s’armer et aller au combat pour que les choses changent.
Lors d’un long et émotionnellement très riche analepse, la vingtaine d’années de vie de Cur avant son arrivée à Helena nous est contée avant que nous retrouvions l’histoire dans ses préparatifs de coup de force armé. Matthew Neill Null, loin d’écrire un roman “nature writing” raconte la dure vie de ces forçats des bois sous de multiples angles avec intelligence et une connaissance pointue du monde forestier qu’il nous explique avec passion. Ce sont ces déracinés, ces damnés de la terre que l’auteur nous montre au jour le jour dans tous les aspects de leur vie, leurs peines, leurs épreuves, leurs rêves fous d’ailleurs ensoleillés ou d’emplois juste un peu moins éprouvants et un peu mieux payés voire de retours radieux au pays regretté, des espoirs de mariage, de création de familles… Et parmi eux, ces hommes dont Cur qui veulent agir mais dont les chefs, les meneurs, les plus hardis, disparaissent les uns après les autres.
Par sa situation initiale et dans son déroulement “le miel du lion” est assurément un sacré roman noir, politique et prouve une fois de plus des difficultés de lutter quand argent, justice et pouvoir vous sont tous trois confisqués.
Au cours de cette poignante histoire de lutte ouvrière, Matthew Neill Null montre la barbarie de ce capitalisme à travers l’histoire économique de cette ville, Helena, née de rien et dépendante du bon vouloir de trois nantis cupides et de leur frénésie à détruire la forêt, préférant laisser pourrir du bois plutôt que d’arrêter la scierie. Plusieurs fois dans son propos l’auteur montre pareillement que les horreurs de la condition ouvrière ne parviennent même pas à fédérer réellement cette internationale de la misère. Roman hautement politique, « le miel du lion » raconte de manière captivante les débuts tragiques et balbutiants des mouvements syndicaux en se focalisant sur cette lutte rurale en Virginie.
L’an dernier, dans la même collection, Jon Sealy faisait des débuts époustouflants de classe et de maîtrise avec “Un seul parmi les vivants”, passionnante histoire dans le milieu des moondoggies sous la prohibition. Un an après, “le miel du lion” propose la même intelligence, la même passion et la même érudition pour un univers, le même talent à créer, avec un bien beau style, de grands et mémorables personnages de tragédie illuminant des romans aux intrigues douloureuses mais imparables.
Nectar !
Wollanup.
Terres d’Amérique et Johnny Cash, je valide totalement !
Oui, tu peux valider, un grand roman.