Chroniques noires et partisanes

LE BRIGAND BIEN-AIMÉ de Eudora Welty / Folio (2016) et Cambourakis (2014).

Traduction: Sophie Mayoux.

Bien sûr, et tous les lecteurs en situation de dépendance le savent, un lecteur glouton ne doit pas se rendre dans une librairie sans avoir une bonne raison d’y aller sous peine de ressortir avec des achats non prévus. Jusqu’à ces derniers temps, la misère culturelle de la ville de Vannes permettait ce genre d’entreprise risquée car les rares étalages des libraires vannetais ne faisaient que suivre le mouvement commercial, la mode, le pire localement se trouvant à la FNAC

Mais depuis quelques mois, le paysage a fortement changé avec l’arrivée d’une nouvelle librairie « le silence de la mer » (allusion à la nouvelle de Vercors certainement) qui offre vraiment des choix différents, qui propose des bouquins autres et souvent américains comme on les aime. Je tiens à dire que je n’ai aucun intérêt dans cette librairie et que si jamais, les proprios de la boutique lisent cette petite chronique, ils seront bien surpris d’être cités. Toujours est-il que la dernière fois que j’y suis passé, dans un coin, m’attendait, me tendait les bras, un petit Folio à la couverture très évocatrice, inductrice, provocante. Comme le résumé de quatrième de couverture qui suivait me convenait, je n’ai bien sûr pas résisté.

Eudora Welty, l’auteure, ce nom me disait bien quelque chose, mais pas grand-chose en réalité… Bon, de nos jours, il est très facile d’en savoir un peu plus sur un auteur et son œuvre et je vous fais part brièvement de mes recherches. Eudora Welty est née en 1909 dans le Mississipi, et, évidemment, cela avait dû me séduire d’emblée. Ses premières nouvelles sont parues en 1936 et son premier roman « The robber Bridegroom » en 1942 et c’est lui qui nous intéresse. Si l’on en croit les avis sur le Net, la dame est une des grandes voix de la littérature du Sud des Etats Unis, au même titre que toutes les autres grandes voix masculines que l’on nous balance souvent à tort et à travers pour vendre. J’ai même lu qu’elle était comparée à Flannery O’Connor, ma foi, la rudesse des nouvelles de cette dernière n’est par contre pas un instant visible ici, peut-être dans des écrits ultérieurs comme « la fille de l’optimiste » pour lequel Eudora Welty obtiendra le prix Pulitzer en 1973.

Il avait déjà été publié chez nous en 1989 par Flammarion et il a été exhumé des limbes par les éditions Cambourakis que je ne remercierai jamais assez de m’avoir fait découvrir Tom Drury et Don Carpenter et son fracassant « Sale temps pour les braves ». Bon, je félicite Cambourakis pour ses efforts éditoriaux, un peu moins pour le prix de cette petite perle de Welty en grand format et vous serez bien avisés de préférer l’édition de poche au tarif beaucoup plus avantageux.

On le sait tous, la relation entre un roman et son lecteur dépend de bien des facteurs psychologiques, de ressorts que nous ignorons souvent et tout cela pour vous dire que l’histoire de Rosamonde m’a touché au plus haut point alors que dans d’autres circonstances, je l’aurais peut-être quitté au bout d’une vingtaine de pages. Voilà, ce très court roman m’a séduit à un point qu’il m’est très difficile d’expliquer.

« L’orage s’était apaisé et le corbeau se taisait, mais qui sait s’il dormait ? » Il était une fois en Amérique, les forêts vierges du Mississippi, les voyageurs à cheval, les Indiens embusqués, les bandits, les trappeurs aux visages barbouillés de baies écrasées. En ces temps primordiaux les corbeaux savaient dire « Retourne-t’en, mon coeur, rentre à la maison ». Et au fond des bois vivaient Clément Musgrove, un planteur innocent, sa fille Rosamonde, belle comme le jour, une marâtre laide comme la nuit et Jamie Lockhart, le brigand bien-aimé.

On devrait mieux lire les 4èmes de couverture puisque l’éditeur commence sa petite présentation par « Il était une fois ». Alors, on prend très vite conscience par soi-même qu’il s’agit d’un conte. En fait, c’est même la transposition en Amérique, dans le Mississipi, d’un conte des frères Grimm nommé « Der Räuberbräutigam », « le fiancé brigand ». Le père Clément Musgrove en vieux roi naïf et protecteur, Rosamonde en princesse, une marâtre vénéneuse, des épreuves, des aides, des méchants, des lieux mystérieux, une fin heureuse et des viols… Ben oui, des viols impunis et non condamnés ni réellement blâmés, l’Allemagne du 19ème siècle où les frères Grimm collectaient des contes populaires n’était pas spécialement le paradis des femmes.

On ajoutera des Indiens, glissés dans le paysage pour faire authentique et parfaire le décor succulemment rococo de cette histoire. Un conte, bien sûr, mais qui réserve bien des surprises, des malices avec un ton résolument humoristique et mené par une sacrée belle plume.

Rococo.

Wollanup.

4 Comments

  1. Sandrine

    Oui, Eudora Welty, bien oubliée. Je l’aime, mais plus encore Flannery O’Connor, un chouïa moins oubliée et dont je devrais parler sur mon blog tiens, elle est si méchamment drôle.
    Et moi, j’ai bien Cambourakis et tout ce qu’ils font pour les textes d’ailleurs et/ou qu’ils font ré émerger alors je conseille leur belle réédition, même si ces beaux ouvrages coutent un peu cher.

    • clete

      Alors, on partage une certaine tendresse pour Flannery O’ Connor, Sandrine. Par contre sur Cambourakis, je persiste et signe.

  2. Chouchou

    TRES belle maison d’édition avec le souci du détail et une faculté d’exhumer ou de mettre en lumière de beaux littérateurs. Par contre des difficultés, soient de surdité sélective, soient de cécité partielle, dans le côté relationnel!…. Nous avions pourtant mis en valeur « Un dernier verre au bar sans nom » de Don Carpenter. Bref…

    • clete

      No comment.

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