Après “Par les rafales” en 2018 et “Zippo”, l’année suivante Valentine Imhof quitte l’univers du polar pour s’aventurer avec bonheur dans la littérature noire au cœur d’un roman hautement ambitieux. Même si “Zippo” se situait déjà aux USA, on peut néanmoins dire que “Le blues des phalènes” est son grand roman ‘américain’. Puisant dans l’histoire et la culture américaines, elle nous raconte avec talent et passion la destinée de quatre personnages traversant l’histoire des États-Unis au XXème siècle, au moment où le pays entame son hégémonie mondiale sur les ruines de l’Europe.
“Milton, le rejeton prodigue qui a rompu les ponts avec sa richissime famille ; Arthur, le vétéran de la guerre des Boers et des tranchées de la Somme, qui porte le poids de crimes impardonnables ; Pekka, née le jour où sa mère posait le pied sur le sol de New York et qui change de nom à chaque fois qu’elle veut changer de vie ; Nathan, enfin, le fils de l’Explosion, qui fuit le mal et le retrouve où qu’il aille.”
Ces quatre-là n’auront comme histoire commune que leur présence à Halifax lors de la terrible catastrophe qui détruisit la ville en 1917. Le roman, formidable récit d’aventures magnifiquement renseigné et détaillé, raconte la vie de ces quatre personnages confrontés à la très dure réalité du monde moderne. Tous ont commis le pire, tous ont tué…tous affronteront leur destin.
La fuite était le moteur des deux premiers polars de Valentine Imhof. Ici, le thème est proche même si les personnages n’ont pas obligation de se cacher. Un jour, ils décident de partir, de disparaître, mais les causes sont diverses et non dictées par l’urgence. Ils fuguent par nécessité mais aussi par envie, pour croire encore à des lendemains radieux.
Sur deux décennies, l’auteure les confronte aux grands événements des USA. La première guerre mondiale, la grippe espagnole, la crise de 29, le chômage, l’alcoolisme, les totalitarismes émergents, les hobos, les syndicats, les luttes sociales, la psychiatrie…
Valentine Imhof rédige des récits poignants, très noirs mais avec une belle plume et une manière très habile de désamorcer parfois l’indicible. La lecture des cinq cents pages est un vrai bonheur. Quatre histoires s’entrecroisent montrant l’envers du décor du rêve américain, les épreuves subies par le peuple. Traitant l’Histoire américaine par le prisme des gens ordinaires qui luttent pour s’en sortir, elle offre une version romanesque réussie du précieux ouvrage de Howard Zinn “une histoire populaire des États-Unis”, véritable bible, citée dans ses références.
La narration de la catastrophe de Halifax, l’exposition universelle de Chicago et la vie des hobos sont des sommets du roman. L’écriture est souvent virtuose. On retrouve “La route” de Jack London. L’émotion et la dureté de Flannery O’Connor est présente. Harry Crews et James Agee sont parfois conviés. En fait, c’est réussi et envoûtant comme les grands romans d’Antonin Varenne.
Très proche de ses personnages dont elle nous confie toutes les pensées intimes, les rêves, les plaies et les zones d’ombre, Valentine Imhof laisse au lecteur le soin de juger leurs actes.
Immanquable pour les amateurs d’Histoire américaine “le blues des phalènes” séduira de manière plus générale tous les amateurs de bonne littérature noire, sociale et politique.
Un grand et beau roman, et si parfois son propos peut heurter, « Rien n’est beau que le vrai… ».
Clete
PS: A venir, un entretien « Mon Amérique à moi » avec Valentine Imhof.
Magnifique chronique, sensible et forte. Heureuse de lire ces mots. Je partage absolument tout ce que tu dis si bien. Un vrai grand beau roman.
Merci Simone. Oui, un grand roman.
Je réitère les mots de Simone, vous avez fait là une recension belle et intelligente de ce grand roman. Bravo j’applaudis des quatre mains !
Merci Brigitte. Applaudissons ensemble « Le blues des phalènes ».