Jeojutokki 

Traduction: Han Yumi et Hervé Péjaudier

Entre Eraserhead de David Lynch, Carrie de Stephen King et Les Revenants de Laura Kasischke, elle est la nouvelle voix du réalisme magique. Ses héros, baroques et tragiques, errent en quête de vengeance, de rédemption ou d’amour tel un reflet onirique de nos propres existences, portés par un imaginaire sans limites.

On ne le dit que trop peu, on ne parle pas assez de l’exercice de la nouvelle, à qui on semble préférer celui du roman. Pourtant, les deux se valent. Un texte de qualité restera toujours un texte de qualité, qu’importe son format. Non ? J’énonce là ce qui me semble être une évidence. J’espère que ça l’est. Mais dans le doute, je me permets. Tout ça pour en venir à Lapin maudit, recueil de nouvelles de la coréenne Chung Bora publié chez Matin Calme, dont on dit qu’il est un phénomène mondial et sur lequel on appose d’impressionnantes références. Une chose est certaine, il est difficile d’oublier cette couverture une fois qu’on l’a vu, mais qu’en est-il du contenu ?

Dix nouvelles composent ce recueil. Pour ceux qui pourraient craindre de manquer de matière à lire,  cela tient quand même sur 283 pages. Il y a donc de quoi se mettre sous la dent. Mais la sobriété et la concision de la plume font que vous en verrez le bout assez rapidement. Si vous deviez buter sur quelque chose durant votre lecture, ce serait probablement plus sur l’univers de Chung Bora qui peut ne pas plaire. Mais parait-il que ça plait. Quoi qu’il en soit, il faut être en mesure d’apprécier la dimension magique/fantastique de ces textes et cela n’est pas donné à tout le monde. Si vous cherchez du pur réalisme, Lapin maudit n’est probablement pas pour vous. Pour autant, toutes les nouvelles ne sont pas aussi excentriques que cela puisse paraître, même s’il y a toujours quelque chose de cet ordre dans ces textes.

Au fil de ces pages, vous découvrirez un lapin maudit qui causera bien des misères à une famille, un « enfant », fruit de déjections, qui prend forme dans la cuvette des toilettes, une victime d’un accident de voiture qui sombre progressivement, une femme qui tombe enceinte de façon inexpliquée mais dont on dit que la vie de son bébé dépendra de sa capacité à lui trouver un père pour sa naissance, une autre trop amoureuse d’un androïde qui le lui rendra brutalement, un renard puis un enfant qui saigne de l’or et qui fera la fortune et l’infortune de son père, un garçon maltraité par une créature dont il s’échappera pour finir maltraité par les hommes, un couple qui devient propriétaire d’un bâtiment dans lequel il emménage et autour duquel il va se passer beaucoup de choses étrange, et j’en passe… On navigue constamment entre contes étranges et écrits un peu ou franchement teintés de surnaturel, mâtinés d’un peu de romantisme, de science-fiction, d’horreur ou de magie, le tout souvent assez noir. Un mélange qui a de quoi surprendre.

Lapin maudit ne sera peut être pas de tous les goûts, mais il demeure une curiosité intrigante qui peut autant séduire des amateurs, qu’étonner positivement des lecteurs qui n’ont pas l’habitude de ce type de lectures. Dans tous les cas, l’imaginaire foisonnant de Chung Bora ne devrait pas vous laisser indifférent. A vous de juger si le livre méritait ou non de finir dans les finalistes du Booker Prize en 2022.

Brother Jo.