Traduction : Catherine Renaud.

Leif GW Persson est un expert en criminologie suédois renommé, il a écrit plusieurs essais sur le sujet. Mais il a également écrit plus d’une dizaine de romans pratiquement tous traduits en français dont trois sont des aventures du commissaire Evert Bäckström. « La véritable histoire du nez de Pinocchio » est le troisième volet de cette série mais même si on n’a pas lu les autres, ce qui était mon cas, on n’est pas gêné pour la compréhension du bouquin. Ceux qui connaissent déjà retrouveront sans doute avec plaisir ce héros atypique…

« Evert Bäckström est chargé d’une affaire peu commune : trouver un suspect pour le meurtre de Thomas Eriksson, célèbre avocat des gros bonnets de la mafia suédoise, n’est pas difficile, mais réduire la longue liste des personnes qui voulaient sa mort est presque impossible. Heureusement, Bäckström a passé des années à cultiver des relations douteuses, avec l’aide desquelles il résout ses affaires en échange de quelques faveurs. Mais cette fois, même le flic le plus corrompu de Suède ne pourra prédire où cette enquête le mènera. La victime était en possession d’œuvres d’art russe d’une grande valeur, dont une boîte à musique du joaillier Karl Fabergé dont l’origine remonte au mariage entre la famille royale de Suède et les Romanov. »

C’était le lundi 3 juin. Même si c’était un lundi et qu’il avait été réveillé au beau milieu de la nuit, le commissaire Evert Bäckström y repensera toujours comme au plus beau jour de sa vie. Son téléphone portable professionnel s’était mis à sonner à cinq heures pile et, comme celui qui appelait semblait bien décidé à le faire décrocher, il n’avait pas eu le choix.

  • Oui, répondit Bäckström.
  • J’ai un meurtre pour toi, Bäckström, annonça l’agent de permanence de la police de Solna.
  • À une heure pareille ? dit Bäckström. Ça doit au moins être le roi ou le Premier ministre ?
  • Encore mieux que ça ! s’exclama son collègue qui criait presque d’enthousiasme.
  • Je suis tout ouïe.
  • Thomas Eriksson, déclara l’agent de permanence.
  • L’avocat ? fit Bäckström, qui eut du mal à cacher sa surprise. Ce n’est pas possible, pensa-t-il. C’est trop beau pour être vrai.

Ainsi commence le roman, c’est rare qu’un détective se réjouisse du meurtre sur lequel il enquête, mais Evert Bäckström n’est pas un détective ordinaire, en plus il avait eu des démêlés avec la victime…

C’est un sacré personnage ce commissaire : raciste, sexiste, homophobe, prétentieux et méprisant… un anti-héros odieux et repoussant ! Adepte de la bouffe, de la baise et des alcools forts, ce qu’on pourrait comprendre mais qui ne le rend pourtant pas sympathique vu sa prétention et son mépris pour les autres. Il fait bosser ses adjoints pendant qu’il s’accorde des pauses roboratives et bien évidemment est corrompu. Lors d’une enquête, il utilise son intelligence davantage pour trouver un moyen de s’enrichir que pour la résoudre. Sans scrupule, il n’hésite pas à monnayer des fuites dans la presse, à dérober des pièces à conviction… un ripou de première classe !

Et pourtant on le suit avec jubilation, il est tellement imbu de lui-même qu’il en devient drôle dans sa vie quotidienne : son attention à son Supersalami qu’il considère comme un super héros, ses efforts pour se débarrasser de son perroquet… Il est éminemment cynique, il connaît parfaitement les frontières du politiquement correct et contrôle avec brio le fossé entre ce qu’il peut dire et ce qu’il pense. Leif GW Persson insère dans les dialogues les pensées in petto des personnages, pas seulement celles de Bäckström et ce décalage leur donne encore plus de mordant.

Il y a forcément quelque chose de pourri au royaume de Suède pour qu’un homme tel que Bäckström y soit un héros ! Lors de l’enquête sur le meurtre de l’avocat, le commissaire et son équipe sont amenés à s’intéresser à des ventes d’œuvres d’art appartenant à des proches du roi… Ben oui la Suède est une monarchie, il y en a encore plein au XXIème siècle… incroyable non ? Il y a un roi donc, une cour, des privilèges et une police spéciale VIP chargée d’éviter les scandales. C’est une Suède bien sombre que nous décrit Leif GW Persson, très loin de l’image qu’on s’en fait ici parfois. Et que dire de la police et de ses pratiques quand l’auteur confie que Bäckström lui a été inspiré par des policiers qu’il a rencontrés ?

Leif GW Persson entraîne son lecteur dans une histoire noire et rocambolesque qui remonte à plus de cent ans avec de nombreuses ramifications comprenant, entre autres, le dernier tsar de Russie, Churchill et un lapin maltraité. Et l’histoire se tient, le lecteur n’est jamais perdu et malgré la noirceur, on regarde en riant souvent Bäckström se démener pour résoudre cette affaire et surtout en récolter un maximum d’argent !

Un bon polar, incisif et drôle.

Raccoon