Traduction : Dominique Vittoz

Andrea Camilleri, Le Grand Camilleri, connu pour ses romans noirs parus chez Métailié et toutes les aventures de Montalbano parues chez Fleuve nous dévoile ici un autre pan de son œuvre : des romans basés sur des faits réels exclus de l’histoire officielle de Sicile, édités eux chez Fayard. L’homme est décidément prolifique ! Mais toujours passionnant ! C’est une bonne nouvelle pour moi qui ne connaissais pas toute cette partie de son œuvre. L’épisode révélé dans ce livre est celui du règne d’une femme en 1677 en Sicile, épisode qui, ainsi que l’explique Camilleri à la fin du livre, n’est que très peu mentionné dans les livres d’histoire de la Sicile.

« Palerme, en 1677, est la capitale d’une Sicile sous domination espagnole. Quand son vice-roi, don Angel de Guzmàn, meurt en pleine séance du Conseil, les notables siciliens cupides et dépravés exultent : cette brève vacance du pouvoir est une aubaine inespérée. Mais don Angel a laissé un testament, et le successeur qu’il désigne pour l’intérim n’est autre que…sa propre épouse, donna Eleonora di Mora. Si la stupeur est grande dans la ville, elle tourne vite à la fascination, car cette femme tirée de l’ombre se révèle d’une beauté envoûtante, d’une intelligence redoutable et d’une équanimité révolutionnaire.

Vite appréciée des fonctionnaires intègres, aimée par le peuple et adorée par le médecin de la cour, Don Serafino, donna Eleonora retrousse ses manches en faveur des plus démunis. Mais ses ennemis n’auront de cesse de trouver la faille pour que cesse le scandale d’un vice-roi femme. Et surtout, équitable. »

Dès le début, on replonge dans le langage si particulier de Camilleri mâtiné de tournures et de patois sicilien auxquels s’ajoute ici un peu d’espagnol, car la Sicile à l’époque est espagnole et le vice-roi ne maîtrise pas totalement la langue de ses sujets. Ce mélange n’est aucunement un obstacle au plaisir de la lecture mais au contraire un grand plus : cette langue est imagée et chaleureuse, sans doute un travail énorme de la traductrice !

Et puis il y a le rythme ! Camilleri, homme de théâtre et de radio, sait raconter une histoire : pas de temps mort, toujours dans le fil de l’intrigue, des personnages vivants et intéressants, croqués rapidement sans être caricaturaux.

Les éléments historiques sont amenés au fil de l’histoire, naturellement, pas d’exposés de situation parfois pesants dans les romans historiques.

Voilà pour la forme.

Pour le fond, Camilleri nous a gâtés. L’histoire est passionnante tout autant que poétique : cette femme a régné le temps d’une lune, astre ô combien féminin ! Elle a affronté les élites corrompues y compris l’Eglise et la Sainte Inquisition et défendu les opprimés dont, bien entendu, les femmes et les enfants abusés. Elle a su un temps s’imposer dans un monde d’hommes au XXVIIème siècle pour… je ne vous dirai évidemment pas quel résultat !

En plus cette histoire est vraie et là, ça fait encore plus rêver ! Bon bien sûr, c’est un roman et Camilleri avoue en fin d’ouvrage quelques libertés prises avec l’Histoire, mais elles sont mineures, enfin celles qu’il avoue et de toute façon, l’histoire qu’il a écrite est si belle qu’on lui pardonne tout !

Un livre tellement savoureux et passionnant qu’on le dévore en une seule fois !

Raccoon