Traduction: Olivier Lannuzel
« Dans un mois et cinq jours, elle bénéficiera d’une libération conditionnelle, au titre de l’article 59 du Code pénal.
Quand elle est entrée dans ce complexe, Bruna avait vingt-six ans. Quand elle en sortira, elle en aura trente-huit. L’âge où débute la crise du milieu de la vie, où les hommes s’achètent des coupés rouges et les femmes se ruent sur le yoga et la pilates. L’âge où les hommes commencent à tromper leur femme, et où les femmes se demandent si elles n’ont pas commis une erreur quand elles ont lié leur destin à cet âne égoïste et bedonnant avachi sur le canapé. Quand elle sortira d’ici, Bruna n’aura pas à subir ces désagréments. Elle a été mariée une fois, mais elle ne l’est plus. Elle ne l’est plus et croit profondément qu’elle ne le sera plus jamais.
Bruna travaille à la prison comme cuisinière. »
Les présentations sont faites, Bruna est emprisonnée pour meurtre avec préméditation. Le milieu carcéral féminin est rarement évoqué, tout y est réglé à l’avance, les tâches de Bruna sont les mêmes de jour en jour, elle cuisine pour les détenues. Ce fonctionnement libère son esprit, et lui permet de reprendre le fil de son histoire dans sa tête. De reprendre depuis le début jusqu’à son incarcération.
Ces passages nous ramènent au début des années 2000, à Split sur la côte dalmate. Bruna et Frane, un jeune marin, sont amoureux, se marient. Ils finissent par emménager dans l’appartement au-dessus d’Anka Šarić, mère de Frane.
Doucement, insidieusement, un enfer quotidien, familial, pavé de petits riens, se met en place entre Bruna et Anka ; Frane lui, navigue pendant de longues périodes. Cette grisaille entre belle-mère et belle-fille se transforme en une lutte pour déterminer qui des deux a le pouvoir.
On sait à peu près tout dès le début, la quatrième de couverture est assez révélatrice. On sait qui a tué et qui est mort, rapidement on va savoir comment. « La femme du deuxième étage » n’est pas du tout un whodunit, on n’y trouve pas de mafias ou de tueur en série, pas plus que des rebondissements à chaque fin de chapitre, à peine une enquête. Alors qu’est-ce qui rend ce roman sombrement addictif ?
Tout le roman tient sur cette simple et unique question : pourquoi ? Pourquoi Bruna a tué et se trouve t-elle dans une prison loin de la côte adriatique, à Požega, sur le versant est de ce pays à la géographie si particulière?
« Elle remonta dans sa voiture et rentra à la maison. Elle grimpa à l’étage en douce, sans un bruit, pour ne pas attirer l’attention d’Anka. La maison des Šarić était grande, sombre et glacée, comme un château endormi. Elle s’allongea dans les draps froids, à l’écoute de la nuit noire. Un malaise indéfinissable l’empêcha de dormir.
Le lendemain, de retour du travail, elle se changea, enfila un jogging et descendit comme d’habitude déjeuner avec Anka. »
En plus d’être un roman sur la violence ordinaire, intrafamiliale, La femme du deuxième étage est également un roman sur la vieillesse, la maladie, le handicap, la dépendance, et le poids pesant lourd sur les épaules des aidants.
Les descriptions sont âpres et méticuleuses, sans être longues ; le vocabulaire y est précis. Lors des nombreux flash-backs, Jurica Pavičić cherche des prémonitions, des signes avant-coureurs de la catastrophe annoncée, de la véritable tragédie qui couve. Il fait preuve d’une rare empathie envers son héroïne qui m’a rappelé certaines nouvelles de Stefan Zweig. Jamais il ne juge Bruna, il reste toujours d’une objectivité sans faille, si bien qu’un doute subsiste, s’agit-il vraiment d’un assassinat ?
Ce qu’on avait entrevu dans L’eau rouge se confirme ici, à partir d’un fait divers familial Jurica Pavičić bâtit à nouveau une histoire solide.
NicoTag
La Croatie a de bons écrivains, et également de bons musiciens. Les Bambi Molesters se joignent à Chris Eckman, et fondent ensemble The Strange.
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