Billy The Kid (1859-1881) est pour tous désormais entré dans la légende de l’Old West américain. Dans sa violente et fulgurante carrière d’outlaw, il aurait descendu autant de types qu’il aurait vécu d’années, soit 21. De nombreux éléments de sa vie et de sa mort sont toutefois sujets à précaution, controversés et obscurs car tirés de récits romancés, de biographies contradictoires ou de témoignages fumeux. La littérature et le cinéma ne sont pas privés en tout cas d’apporter leur contribution à l’élaboration du mille-feuille mythique. Luc Baranger, citoyen canadien né à Trélazé (Maine-et-Loire) est le dernier en date à nous raconter quelque chose de Billy The Kid. Auteur de polars, traducteur, féru de blues et d’histoire américaine (ce qui transpire dans ces publications, citons le très bon Tupelo Mississipi Flash en 2004), il n’avait pas publié directement en France depuis une dizaine d’années.

Albuquerque, automne 1949. Maureen McLaughlin, douce mère de famille, fait la connaissance de l’intriguant Leroy Parker qu’elle est chargée d’assister dans ses travaux ménagers. Au fil des semaines se noue entre la femme et le vieil homme une solide amitié. Jusqu’à cette journée d’hiver où Leroy révéle à Maureen son secret. Celui qui fit jadis trembler le Sud des États-Unis et que tous ont cru mort, le légendaire Billy the kid, c’est lui.
Commence alors pour Maureen et sa famille, entre incrédulité et fascination, un voyage dans le passé du vieil homme et dans les mythes de l’Ouest américain.

Raconté par Abigail, arrivée elle-même au crépuscule de son existence, le récit revient sur la tendre relation entretenue par un vieil homme (un Billy The Kid pas franchement rangé des camions mais en tout cas retiré de la circulation sous cette appellation) et les membres de la famille dont la mère est devenue son aide à domicile. Il est attachant, ce vieux Monsieur Parker, et diablement fascinant. Avec un plaisir féroce, il va livrer les détails de son existence agitée et les secrets qu’il gardait jusque-là pour lui. Profitant de la faculté de la poussière à ne pas retomber immédiatement après une cavalcade ou une échauffourée, il a, il y a bien longtemps, judicieusement laissé le cadavre de Billy The Kid (soi-disant abattu par Pat Garett) entrer dans la légende et promené sa peau d’homme anonyme en compagnie d’autres mauvais garçons célèbres (Butch Cassidy, The Sundance Kid…) ou d’aventuriers prompts à participer à des entreprises belliqueuses, fût-ce sous le drapeau d’une nation qui prétend agir pour le bon droit. Quand il raconte cela, il a quatre-vingt-douze ans, et il en a vu. Plus que témoin de son temps, il a été acteur d’événements agités, survenus avant et après son décès officiel.

Solidement documenté, le roman nous donne à revivre un pan de l’histoire de l’Ouest, revisité avec une allégresse qui favorise les pistoleros, qui n’auraient pas tous fini sous les balles des shérifs, marshals ou autres agents Pinkerton, comme le voudrait la version officielle qui se prend au passage une belle volée de plomb et d’ironie. Et jusqu’au bout, Monsieur Parker reste un kid facétieux mais sans remords et pas prêt à le se laisser pisser sur les bottes.

Un joli pied de nez à l’Histoire, le genre de conte qu’il faut raconter aux petits comme aux grands, ça leur fera les dents.

« (…) Il m’écrasait de tout son poids quand j’ai pressé la détente. Je dis pas que j’y ai pris du plaisir, mais je l’ai fait sans me poser de questions. C’était lui ou moi. On vivait en permanence avec la violence et la mort. C’était comme ça en ce temps-là.

   Sentant une gêne autour de la table, Parker argumenta.

– La plupart des hommes que je côtoyais quand j’avais dix-sept dix-huit ans, ils avaient combattu pour le Nord ou pour le Sud. Ils avaient été de la plupart des boucheries, comme celles de Bull Run, Shiloh ou de Gettysburg. A Gettysburg, dix-sept mille morts, trente-trois mille estropiés. En trois jours. Vous vous rendez compte ? Y a des chiffres comme ça qu’ont le don de vous donner une drôle d’idée de l’amour du prochain. Les pires rascals que j’ai croisés quand j’ai commencé à vivre du jeu dans les saloons de Silver City et plus tard d’Arizona, ils avaient fait partie des bandes de jaywalkers ou de bushwhackers, avant de changer de nom et de disparaître en Territoire Indien ou au Nouveau-Mexique. Faut tenir compte de ces choses-là pour comprendre ce que j’ai fait. C’était une toute autre époque qu’aujourd’hui où on trouve un policier à chaque coin de rue. J’imagine que c’est pas facile à comprendre, mais dans ces années-là, chaque particulier était la loi. »

Paotrsaout