New York City, fin des années1980, début des années 1990. Brooklyn et le Queens ne sont pas encore le décor de ces escapades et expériences urbaines cool aujourd’hui fameuses. Déliquescence de l’habitat, pauvreté, déclassement, délinquance dure font des cités refermées sur elles-mêmes et saupoudrées dans les boroughs des îlots de pure sauvagerie. Rassemblées par Karim Madani, journaliste pour des revues spécialisées dans les cultures urbaines et les musiques afro-américaines, les trajectoires de quatre jeunes gens nous donnent un aperçu d’une réalité sociale méconnue.

Les frères Braunstein, Ill Bill et Necro, J. J. (Jewish Jane) et Ethan Horowitz ont en commun d’être blancs, juifs et déclassés et de vivre au cœur du cratère. Enfants de voyou israélien expulsé vers les Etats-Unis, de juifs soviétiques déchus d’une existence dans le paradis socialiste ou bien de citoyens américains qui se sont détournés des règles orthodoxes de leur communauté, ils doivent s’en sortir par tous les moyens : trafic de drogues, vol à la tire, braquages, bagarres de rue ultra-brutales pour sauver sa peau ou se tailler un espace vital.

D’une certaine manière, ils sont les derniers avatars d’un banditisme juif historique à New York.  Avant qu’elle ne se dilue dans la mafia italienne avec laquelle elle s’était associée, qu’elle aille essaimer à Vegas, une véritable Yiddish Connection a tenu le haut du pavé dans les années 1920 et 1930. Elle avait pour figures marquantes des hommes comme Meyer Lansky, Bugsy Siegel, Mickey Cohen.

Mais nous parlons d’un autre époque. Les gangs noirs et latinos se font une guerre sans merci pour un bout de territoire, pour écouler du crack, sur le tempo du moment, le rap, le hip-hop, qu’Ill Bill et Necro embrasseront si bien à leur manière qu’ils finiront par monter leur propre label après défendu leur flow et leur rimes devant des assemblées féroces. Deux petits Blancs jetés dans la fosse aux lions. Ethan Horowitz se fait un nom de voleur de bagnoles prodige puis devient braqueur de dealers. J. J. monte un gang de filles juives, les Cee Jay, aussi violentes que les rues qu’elles arpentent.  Pour elles, les Ramones cadencent au plus près leur quotidien.

Des cités-forteresses du Bronx et du Queens à The Deuce, 42nd Street dans Manhattan, de Coney Island au sud à Rikers au nord, la sinistre prison qui est une étape obligée des voyous, se dessine une géographie new-yorkaise étourdissante de violence.

Il y a une rage de vivre chez tous ces personnages, dont les histoires vraies paraissent hors du commun. Il y a une énergie vitale. Elle définira d’ailleurs un courant de la street-culture et du hip-hop, celui des goons, les « criminels », qu’Ill Bill et Necro porteront dans leurs productions musicales. Plus que les Beastie Boys, déconneurs et issus d’une middle class juive, Ill Bill et Necro seront des pionniers blancs dans l’univers hip-hop. De ces quatre qui voulaient survivre, c’est peut-être eux qui s’en sortent le mieux. Car aucun ne raconte son histoire en évoquant « the good old time ».

Karim Madani nous calibre, dans le genre journalisme narratif, un documentaire qui passionnera tous les amateurs de culture urbaine et musicale et leur laissera un poster d’époque de New York en bichromie, avec beaucoup de noir et quelques petits blancs.

Pour terminer, n’oublions pas de garder un œil sur les productions de cette nouvelle maison d’édition familiale, Marchialy, qui revendique de ne publier que de la « littérature du réel » (récits, reportages…). L’année dernière, le remarquable Tokyo Vice de Jake Adelstein, reporter spécialisé sur le crime organisé pour le compte d’un grand quotidien japonais, m’avait tout simplement bien fait voyager. Entre ça et un énième polar qui râcle le macadam, le choix du véhicule est vite vu. D’autant que chez Marchialy, on vous désigne de sacrées carrosseries. Un éditeur qui annonce la typo et le grammage du papier,  il y a une élégance quand même.

Paotrsaout