Traduction: Séverine Weiss.
“ Pour résumer, ma vie n’avait rien de reluisant et relevait plutôt de la survie, et de cela je ne pouvais blâmer que moi-même et mes acolytes: l’alcool, la cocaïne et une propension bien ancrée à ce que mon vieux prof de philosophie grecque appellerait l’acrasie – cette faiblesse de caractère qui vous pousse à agir contre votre intérêt. Si le grec n’est pas votre truc, appelons ça Idiot Wind, le vent idiot, comme Bob Dylan. C’est le nom que j’ai fini par lui donner, et pendant plus de dix ans son souffle a déchiqueté ma vie. “
Bon. J’avais deux très bonnes raisons de vouloir lire à tout prix Idiot Wind: Jay McInerney le conseille – et je lirais à peu près n’importe quoi si Jay dit que ça vaut le coup. Ensuite le titre est une référence directe à l’une des plus belles chansons ( à mes oreilles) du grand Bob.
Que celles et ceux pour qui la vie ne peut être qu’un long fleuve tranquille coulant pépère sous le signe de la responsabilité et des certitudes accompagnées d’un verre de flotte, passent leur chemin.
Idiot Wind est un blues magnifique chanté par un type qui réussit à se vautrer tellement dans l’échec et dans les mauvaises décisions qu’il est obligé de fuir New-York pour éviter de se faire zigouiller. C’est stupide ce qu’il fait, il le sait, et pourtant il ne peut pas s’empêcher de s’enfoncer dans la mouise, c’est plus fort que lui. On approche la fin des années 1980, Peter deale allègrement du côté de Tribeca, QG au Raccoon Lodge l’un de ces bars improbables comme seule New York sait abriter: “ Où, si ce n’est au Raccoon Lodge, pouvait-on jouer des coudes près du comptoir avec des négociants en matières premières et des ouvriers travaillant sur les gratte-ciel, des secrétaires et des sculpteurs d’art cinétiques, des camionneurs et des peintres abstraits, des instituteurs et des acteurs en galère? Faire une partie de billard avec Keith Richards? Échanger des regards égrillards avec Debra Winger? Tailler une bavette avec Jay McInerney (oui, oui, encore lui!) … Pour un moulin à paroles cocaïnomane comme moi, il n’y avait pas d’endroit plus agréable où exercer mon commerce.”
Voilà pour le tableau de départ. La suite sera un enchaînement d’autres tableaux, moins glamour, sur les routes d’Amérique, en stop, en train de marchandises, en marchant. En mendiant. Le but initial est un job promis par quelqu’un à San Francisco. Le résultat est une purge qui s’effectue au fur et à mesure que les kilomètres défilent.
Car ce voyage doit non seulement mettre de la distance entre Peter et son fournisseur de came mais c’est aussi l’occasion de se sevrer et de laisser derrière son passé de junky.
Evidemment, la route est rythmée par les noms des grands écrivains vagabonds, de Kerouac et Neal Cassady à Orwell, les références à la littérature sont nombreuses et font en quelque sorte, parfois, office de béquille à Peter. Mais la route prend le dessous et de fil en aiguille, de rencontre en amitié, Peter aiguise son regard et son récit fait l’état de la situation des hobos d’Amérique suivant l’État dans lequel ils se trouvent. Il découvre un monde insoupçonné jusqu’alors et, par la même occasion, il se découvre des forces et des capacités dont il ne se pensait pas capable. Le vagabondage l’agrandit.
Photographe aussi des années Reagan – nous sommes en 1987 – Kaldheim est un observateur précieux de l’Amérique de cette fin de décennie.
Huit mois de périple, de sevrage, de guérison. Le récit du voyage intègre des passages du passé, les moments où le vent s’était mis à souffler. Jamais pleurnichard, aucunement moralisateur, Peter Kaldheim réussit enfin à écrire le roman dont il rêvait depuis toujours. En le lisant vous pouvez vous surprendre à penser à vous-mêmes, peut-être aux moments où le vent soufflait aussi en vous chauffant les oreilles.
Idiot Wind est un cadeau, un récit rempli d’humanité qui fait un bien fou par les temps qui courent.
Monica.
du coup je le note !
Ah oui, il faut! 😉