Ayant découvert Patrick Pécherot tardivement avec Tranchecaille plaisant mais sans plus tandis que “ Une plaie ouverte” restera pour moi comme un incontournable, je dois reconnaître avoir eu une certaine impatience à découvrir “HEVEL”. Peu connaisseur donc de son oeuvre, je ne pense pas trop me hasarder néanmoins en disant qu’il est un grand spécialiste des polars historiques, l’ayant déjà lu sur la première guerre mondiale, sur la Commune et en le retrouvant à la fin des années 50, trois conflits meurtriers de l’histoire de France.
“Janvier 1958. À bord d’un camion fatigué, Gus et André parcourent le Jura à la recherche de frets hypothétiques. Alors que la guerre d’Algérie fait rage, les incidents se multiplient sur leur parcours. Tensions intercommunautaires, omniprésence policière exacerbent haines et rancœurs dans un climat que la présence d’un étrange routard rend encore plus inquiétant…2018. Gus se confie à un écrivain venu l’interroger sur un meurtre oublié depuis soixante ans. Il se complaît à brouiller les cartes et à se jouer de son interlocuteur. Quelles vérités se cachent derrière les apparences?…”
Et ces apparences, ces faux-semblants, ces voiles comme les brumes du final sont toujours au coeur d’un roman qui les lie dans son titre sous le nom de Hevel tiré de l’Ecclésiaste hébraïque et signifiant le souffle, la buée, la fumée… Envahi par ces souvenirs réels ou inventés ou trafiqués, le lecteur va devoir prendre son mal en patience tant le récit du narrateur semble parfois sonner faux ou s’éloigner par des digressions au milieu du récit du vieil homme parlant d’un meurtre dont il a été le témoin soixante ans plus tôt.
Nombreuses sont les digressions, aucune n’est inutile ou sans grand intérêt, poétique quand le narrateur s’enthousiasme sur le mot escarmouche, particulièrement piquante quand il s’attaque aux recettes utilisées par les auteurs du genre littéraire qui est le sien, amusé quand il pousse une véhémente diatribe sur le monde numérique. La poésie est toujours présente chez Pécherot mais l’humour, c’est pour moi une nouveauté.
Quelques réflexions de Gus:
« J’ essaie de causer odeurs, couleurs changeantes, arbres, brouillards et murs des villes.Si je pouvais, je vous dirais aussi les en-cas et les menus, pain et service compris. L’essentiel, quoi. L’entre-les-lignes, les mots dans un regard, un geste, un port de tête. La parole est là autant qu’ailleurs. On la recueille ou on reste sourd. »
Alors bien sûr, HEVEL n’est pas un thriller survitaminé même si les révélations finales sont assez surprenantes. Pécherot brille par son talent à montrer une époque. En quelques phrases, agrémentées de détails pertinents sur les habitudes alimentaires, sociales et culturelles de l’époque, sans alourdir son texte, il nous fait entrer dans l’Histoire, pénétrer dans son histoire, dans le décor et on est très rapidement aux côtés des personnages dans une époque qui jusque là nous était inconnue. Par des brèves de journaux, des discussions de comptoir, des réflexions en apparence anodines, il nous renseigne sur l’opinion publique en France en cette fin des années 50.
Mais surtout, et c’est aussi original que remarquable, Pécherot nous raconte la guerre d’Algérie depuis le Jura, à des centaines de kilomètres du danger. On sent l’inquiétude des familles dont un enfant est parti, les remous créés par la présence de travailleurs algériens dans la région, les mentalités colonialistes bien ancrées, le racisme ordinaire, le travail souterrain du FLN, les porteurs de valises de l’impôt révolutionnaire… et au milieu quatre hommes dont le destin, par malchance, par profit, par amitié, par conviction, par cynisme, va être complètement transformé quand ils croiseront incidemment la guerre pourtant si lointaine mais dont certains flashs montrent bien toute l’horreur voilée par des médias sous contrôle.
Attachant photographe de la France populaire, Patrick Pécherot nous offre une nouvelle fois le beau portrait de quatre hommes ordinaires balayés, malmenés par le grand vent de l’ Histoire avec une plume … un vrai bonheur pour conter les heurs et malheurs des classes populaires.
Brillant!
Wollanup.
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