Matthew McBride revient le trois janvier avec « Soleil Rouge » chez Gallmeister. Fini l’humour massacreur de « Frank Sinatra dans un mixeur » dont il nous parle dans cet entretien réalisé fin mai 2015 à St Malo.La vie dans le Missouri, la drogue, la zik et des détails sur son nouveau roman,beaucoup de choses dans cette interview où Matt s’est montré beaucoup plus grave que laissait prévoir la lecture de « Frank Sinatra… ».
McBride se revendique de Daniel Woodrell et considère avoir écrit un roman résolument redneck avec « Soleil rouge ».
Qui êtes-vous Monsieur McBride ? Que voulez-vous nous dire de votre vie ?
Le moins possible. Je n’aime pas vraiment parler de moi plus que nécessaire. Je tiens à ma vie privée. J’apprécie de venir ici, rencontrer des gens mais… Je ne pense pas avoir tant de choses à dire.
OK, ça me va. Vous avez travaillé pour Chrysler pendant 13 ans ?
Oui, j’ai eu beaucoup de boulots. J’ai travaillé dans toutes sortes d’usine imaginables. Mais pour être clair, je détestais tous ces boulots, je n’étais pas très bon pour ça. Ecrire est la seule chose pour laquelle je suis bon et je pense que c’est depuis que je suis tout jeune. Je ne veux pas avoir un boulot identifié, je ne veux pas travailler dans une banque ou quelque chose comme ça. Je ne veux pas ça. Je veux faire autre chose de ma vie. J’ai toujours su que j’étais fait pour écrire, depuis le lycée et les cours d’anglais.
Vous avez décidé d’écrire dès le lycée ?
Je ne pense pas que je savais réellement que je voulais écrire et en vivre mais j’écrivais tout le temps et j’aimais ça. J’aime vraiment écrire. J’écrivais juste tout le temps, je ne pouvais pas m’en empêcher même si je ne développais pas. Je dirais que vers 20 ans environ, je pensais que quand je serai un vieil homme de 35 ans, je vivrai dans les bois en écrivant des bouquins. Et la vie n’a pas tourné ainsi.
Donc écrire fait partie de vous ?
Ça fait partie de moi. C’est probablement ce que la plupart des gens appellent une vocation. Ecrire est splendide. C’est ce que je suis destiné à faire dans ce monde, je ne suis pas bon à grand-chose d’autre !
L’écriture vient naturellement ou vous avez pris des cours ?
Je n’ai jamais pris aucun cours. Je n’ai jamais eu aucune aide pour quoi que ce soit, je suis un autodidacte. La plupart des écrivains que je connais ont des diplômes d’écriture ou des MFA (master of fines arts). J’ai un GED (équivalent bac), je n’ai pas fini le lycée. Quand j’ai écrit mon premier livre je n’avais pas écrit un seul mot de ma vie, rien de plus long qu’un mot d’amour pour ma femme par exemple. Et j’ai décidé d’écrire un livre avant d’avoir trente ans. J’ai écrit mon premier livre à 29 ans. Ça a pris longtemps avant qu’il soit publiable. Il l’a été mais l’éditeur a renoncé et j’ai perdu cette occasion. Il m’a fallu encore 6 ans pour écrire ce livre, trouver un éditeur qui l’a finalement publié. Mais ça signifie des années, des années…
Vous travaillez encore ?
J’ai travaillé jusqu’en 2008. J’ai quitté Chrysler, je voulais du temps pour écrire. C’était un gros sacrifice de réaliser mes rêves, je veux dire je gagnais plus de 300 $ par jour, tous les jours. Et avec le dernier boulot que j’ai eu l’année dernière (j’étais agent de sécurité) je me faisais 250 $ par semaine, je travaillais 6 jours par semaine. Donc pas d’argent. Pas d’argent c’est très dur, et ça a été très dur depuis que j’ai quitté mon job. J’ai travaillé 15 ans juste pour l’argent, j’avais 1500 $ par semaine ce qui est plutôt pas mal aux Etats-Unis. Je suis passé de ça à rien, ça peut paraître stupide mais je n’ai aucun regret.
Qui sont vos parrains en écriture ?
Mes écrivains favoris ? Je fais deux catégories : les vivants et les morts. Mon écrivain préféré vivant est Cormac McCarthy, je le kiffe, je l’adore. C’est le plus grand écrivain vivant, personne ne peut faire ce qu’il fait ! Et Daniel Woodrell. J’adore Woodrell. Je l’ai rencontré et nous parlons assez régulièrement depuis. Il a lu mon nouveau livre et il a été un très bon mentor. Mes écrivains morts favoris et qui m’ont influencé sont Hemingway et bien sûr Hunter S Thompson. J’ai un tatouage ici qui dit : « buy a ticket, take the ride » une phrase célèbre de Thompson.
On peut voir ?
J’ai un projet de tatouage / Hemingway… peut-être que je le ferai sur l’autre bras. C’est une citation qui dit « writing is easy, all you have to do is sit down at a typewriter and bleed ». Et c’est une belle phrase.
Et boire en ce qui concerne Hemingway…
Oui, boire beaucoup ! Il a aussi une phrase qui dit « write drunk, edit sober ! »
Considérez-vous que votre roman fait partie du «white trash»? Ce qu’on appelle white trash, cette littérature qui parle des pauvres blancs dans le Sud ou le Midwest.
Ce livre pourrait être qualifié pour ça. Le nouveau qui sortira l’an prochain le sera incontestablement.… Je veux dire, si tu as aimé celui-là, tu aimeras probablement le suivant, mais il est différent, complètement différent.
Moins drôle ?
Oui. Celui-ci est un livre drôle. Je voulais qu’il y ait du rire à chaque page. Toutes les deux ou trois pages, tu peux trouver quelque chose qui te fait rire. Il y a de la violence extrême aussi, mais, comme il y a tellement d’humour qu’on peut la supporter. Il y a un écrivain aux Etats-Unis, Scott Phillips, vous le connaissez ? Il a écrit « moisson de glace » qui a été adapté au cinéma. Scott Phillips m’a dit un jour que ce qui rend un livre bon, c’est d’avoir tout au long des pages du plaisir à suivre le héros. Et je pense qu’il y a du plaisir à lire à propos de ces gars. Tu fermes le livre et tu te demandes ce qu’ils vont faire donc tu te remets à lire.
Oui, c’est vrai que quand on commence ce livre, on ne peut pas s’arrêter.
C’est ce que tout le monde dit. Le nouveau livre est bien plus sérieux, bien plus sérieux.
Comme Woodrell ?
Bien plus littéraire aussi. Il y a de l’humour dedans. Mon prochain sera bien plus comparable à Woodrell en ce sens qu’il est assez sérieux avec de temps en temps, un grand éclat de rire inattendu qu’on ne voit pas arriver. Il y a de l’humour. Woodrell a réellement influencé mon second livre, beaucoup.
Pensez-vous que votre livre est une peinture réaliste du Missouri que vous connaissez ? Vous connaissez des gens comme ça ?
Oh oui. Vous avez entendu parler de Ferguson ? Ferguson est dans toutes les infos à propos des émeutes contre les brutalités policières. A St Louis, on a vécu des émeutes aussi. St Louis est une des villes les plus violentes des Etats-Unis. C’est extrêmement violent, il y a des meurtres tous les jours. C’est comme le Far West, tout le monde porte une arme, partout. Dans un coin pareil, tu te trimballes avec un flingue !
Les drogues aussi sont une réalité de St Louis ?
Ces drogues sont une réalité aux Etats-Unis. Mon deuxième livre parle de la méthamphétamine, c’est un gros problème aux Etats-Unis.
Pourquoi n’y a-t-il que des sales types dans votre roman ?
Les sales types donnent plus de plaisir quand on écrit sur eux. On a beaucoup de liberté créative en tant qu’auteur quand on écrit à propos de sales types faisant de mauvaises actions et de mauvais choix. C’est plus drôle d’écrire sur ce genre de choses.
Même Valentine est un sale type…
Oui c’est un sale type, mais il a ce petit chien qu’il aime tellement et ça l’humanise un peu. C’est une sorte de bête avec un côté tendre. Il est sensible puisqu’il aime ce chien. J’ai eu deux petits chiens et beaucoup de choses que Frank fait dans le livre, mes deux chiens les faisaient. Refuser de descendre les escaliers, monter finalement et là dégringoler cul par-dessus tête… C’est drôle !
Il n’y a pas de personnage féminin important, pourquoi ?
Vous savez, il n’y a pas beaucoup de femmes impliquées dans les braquages de banques ou ce genre de crimes sur lesquels j’écris. Traditionnellement, ce sont les hommes qui font ça. Il y a peu de braqueuses. Peu de femmes font des choses aussi dures.
Et pour Valentine, pas d’histoire d’amour ?
Non, pas d’histoire d’amour, je voulais qu’il soit différent.
Et il l’est ! A la fin…
La fin ? La scène du garage ? Beaucoup de gens m’en ont parlé parce qu’il y a une tronçonneuse ! C’est ce qui fait que les gens retiennent le bouquin. Vous la lisez et vous vous dites : « Bordel de merde ! je ne peux pas le croire ! ». Je voulais écrire quelque chose de spécial, je voulais que les gens se disent « quel livre original ! ».
Quelle est pour vous la meilleure bande-son pour votre roman ?
Je ne pourrais pas vous le dire. Je n’écoute pas de musique quand j’écris. Je n’ai jamais vraiment pensé à ça.
Moi je pensais à Drive by truckers.
Drive by truckers ? C’est drôle, je connais justement le type qui chantait avec eux : Jason Isbell. J’adore ce mec ! Je pense que Drive by truckers et Jason Isbell seraient sûrement une meilleure BO pour mon nouveau livre, mais je ne sais vraiment pas pour celui-là.
Vous écoutez de la musique ?
Pas quand j’écris, mais sinon tout le temps. J’aime le rap, le heavy metal, le classique. J’aime vraiment beaucoup de styles.
Vous n’avez pas de préféré ?
Non vraiment pas. Et si je donne un nom, dans 10 minutes, je me dirai « oh non, j’aurais dû dire celui-là c’est mon artiste préféré ».
Je connais ça. Quel est le sujet de votre deuxième roman ?
Il s’appelle « the swollen red sun », c’est sur la meth. C’est complètement différent, mon style est différent, je me suis plus concentré sur la construction. Certains qui ont lu les deux ne peuvent pas croire que ce sont mes deux livres ! Et si il y a quelque chose que je veux vraiment faire, c’est ça : je veux écrire des livres tous différents. Certains écrivains écrivent toujours le même livre avec un autre héros, ou racontent des histoires similaires. Je ne ferai jamais ça, ce n’est pas le genre d’auteur que j’ai envie d’être.
Est-ce qu’il sera publié en France bientôt ?
L’année prochaine.
Chez Gallmeister ?
Toujours. Oliver Gallmeister est mon héros, il assure. Vous connaissez néo-noir. Tous les écrivains, tous ceux qui sont dans cette collection sont mes copains depuis des années et ce sont tous des écrivains super talentueux. Ils sont tellement bons !
Vous aimez Whitmer ?
Ben est un de mes bons amis, c’est un des plus grands d’après moi. Ben, Jake… je suis très ami avec Jake (Hinkson). Nous parlons assez régulièrement… Todd Robinson va venir ici, il a écrit un livre traduit en français : Cassandra. Moi et Todd on a fait des lectures ensemble. Et Pete Farris… Et tous ces mecs sont chez Gallmeister. C’est une putain de chance !
Y aura-t-il un retour de Nick Valentine ?
Il y a des gens qui me le demandent, mais je ne pense pas. Je ne le veux pas. Je pense que ce serait dur d’écrire un deuxième tome. Certains me disent que je devrais. Je sais que quand on lit un livre, qu’on aime vraiment, on en veut un deuxième. Je sais que c’est ce que font des auteurs de polars et ils gagnent beaucoup d’argent comme ça. Je n’ai jamais été intéressé par l’argent en écrivant. Si j’avais été intéressé par l’argent, je n’aurais jamais quitté mon boulot. Je suis juste intéressé par la qualité de mon écriture, juste par mon art. Et si c’est assez bon pour que d’autres aiment et payent pour l’avoir, c’est génial, c’est une énorme récompense !
Peut-être dans 10 ans ?
Je ne dirai jamais : « non, pas question ! ». Je pourrais. Pour l’instant, ce que je ressentais avec Valentine est fini. Si je ressens de nouveau quelque chose pour lui un jour, je pourrais, mais c’est difficile à dire…
Quel dommage ! J’en voulais un deuxième…
Tu as le droit d’attendre ! Je veux dire, je sais que tu as aimé le livre et que tu en veux vraiment un autre mais ce serait vraiment un putain de boulot et je pense que le deuxième ne serait pas aussi bon que celui-ci.
Hmm. Même le titre est parfait ! Quand j’ai vu le titre, je me suis dit « qu’est-ce que c’est ? ».
Le titre américain « Frank Sinatra in a blender » a été gardé dans la traduction française. Ce titre est assez accrocheur : quand tu l’as vu, tu t’es demandé « qu’est-ce que c’est ? » parce qu’on visualise Frank Sinatra et ça n’a absolument aucun sens. C’est juste assez pour te rentrer dans la tête. Peu importe si tu as regardé dix livres ce jour-là, deux jours plus tard, tu t’en souvenais parce que ça t’intriguais et tu te demandais « quoi ? de quoi ça parle ? ». La chose la plus courante qu’on m’a dite c’est qu’on commence le livre sans savoir de quoi ça parle. Jusqu’à ce qu’on voit… le chien ! On rencontre le chien et on réalise que le chien s’appelle Frank. Et là, je pense qu’on se dit : « oh merde ! j’espère que le chien ne va pas être passé au mixeur ! ». Parmi les gens autour de moi, certains m’ont demandé : « Hey Matt, j’ai pas fini le livre, mais dis-moi juste que le chien n’est pas passé au mixeur, ça m’angoisse ! ». Et là il y a des gens qui m’ont dit aussi, vous savez quoi ? « C’était cool de passer le chien au mixeur »! Mais vous savez, je ne l’ai pas blessé en réalité. Mais j’en avais besoin. Un chien est un animal sympathique, tout le monde aime les chiens. Et même si tu n’aimes pas les chiens, si un chien te blesse tu lui pardonnes… tout le monde aime les chiens. Et je pense que beaucoup de gens se sont mis derrière Nick Valentine parce qu’ils avaient peur pour son chien ! Et il veut une revanche !
Oui et quelle revanche !… Racontez-nous l’histoire de Charlie Sheen…
D’accord. Un de mes amis Brent Morris est un producteur très connu d’Hollywood. Il a fait un film appelé monster avec Charlize Theron… du beau monde. Il est ami avec Charlie. Je suis ami avec Brent. J’ai parlé du livre à Brent et de la dédicace à Charlie, il a trouvé ça super. Quand je suis allé à Los Angeles, j’ai voulu le donner à Charlie, mais il n’était pas là, c’est Brent qui le lui a donné. Il a tweeté à propos du livre et des millions de gens en ont entendu parler grâce à ça. C’était cool ! Charlie est un amour de mec ! Il est complètement cinglé et il se fout de tout ! Et c’était super pour « Frank »!
Il y a beaucoup d’alcool dans votre livre. Etes-vous Corona ou Schlitz ?
Je bois du whisky mec ! Si je bois de la bière, c’est habituellement de la Budweiser. Je suis de St Louis et nous avons Anheuser Busch, la brasserie qui fabrique la budweiser alors je dois en boire. Mais j’aime le whisky et j’aime fumer de l’herbe. Je ne bois pas beaucoup.
Et le whisky : Jack Daniels ou Wild Turkey ?
Crown Royal.
Crown Royal et Wild Turkey dans le livre…
Wild Turkey, ça va aussi.
Avez-vous un chien en ce moment ?
J’ai eu deux chiens mais j’ai divorcé et c’est mon ex-femme qui les a gardés, alors…
C’est votre premier voyage en France , quelles sont vos impressions ?
Et bien ce n’est pas mon premier grand voyage. Je vis en ce moment à Bali. Je fais des recherches pour un livre que j’écris. J’ai vécu aussi en Thaïlande, également pour des recherches car mon prochain livre se passera entre Bali et la Thaïlande. J’ai passé six mois là-bas. Je suis allé dans une prison, la prison Kerobakan à Denpasar. Il y avait des trafiquants de drogue dans la prison vous en avez peut-être entendu parler. Ils ont été exécutés quelques semaines plus tard. J’ai rencontré ces hommes avant qu’ils soient tués. J’ai un peu de mal parce que j’ai visité six ou sept pays cette année ! Je suis ici pour deux semaines, ce n’est pas beaucoup, mais j’apprécie la beauté de la langue. Sinon, j’ai de bonnes impressions de la France, tout le monde est gentil avec moi !
Dites-moi une chose qui vous rend fier d’être américain.
Je suis fier d’être américain mais je ne suis pas très heureux de la manière dont mon pays évolue. Je veux dire que mon pays est presque foutu. C’est pourquoi je me suis éloigné. Je suis fier d’être américain, je ne voudrai aucun autre pays au monde, mais je pense que c’est très mal parti. « Frank » est un livre drôle, mais en réalité il y a beaucoup de problèmes politiques. Beaucoup trop de problèmes dans nos existences. C’est fou le nombre de gens tués par la police, et des gens innocents… c’est complètement fou. Les flics ont le droit de tuer !
Les armes font partie de votre histoire…
Ça fait partie de notre société. On ne pourra jamais s’en débarrasser. Ils veulent niquer les gangs mais ils n’y arrivent pas. Que font-ils ? Le gouvernement leur donne des munitions… N’importe qui peut acheter un flingue. C’est toujours le Far West. Très dur !
Raccoon et Wollanup.
Très trèèèèès bon entretien, j’adore cet auteur !
Bravo !
merci Léa, j’ai oublié de dire que c’est Raccoon qui s’est fadée la traduction.
Ouais ! Vraiment bien !
Merci Simone.
Whaou ! quel interview dense et très interessant, pas de langue de bois !
McBride ne connait pas la langue de bois.