Les « Hérésies Glorieuses », titre du premier roman de Lisa McInerney paru en France aux éditions Joëlle Losfeld à l’occasion de cette rentrée littéraire, ont connu un succès retentissant outre-manche : la belle Lisa a en effet remporté le prix « Bailey’s woman » en 2015 dans la catégorie fiction ainsi que le prix « Desmont Elliot » comme meilleur premier roman en 2016.
Véritable tremplin d’une carrière qui s’annonce prometteuse et féconde, ce livre nécessitait la rencontre de son auteure. C’est chose faite, puisque Lisa nous reçoit dans le boudoir très feutré de monsieur Gallimard lui-même, ou tout du moins celui de sa maison d’édition. Avec un grand sourire presque juvénile et la prunelle malicieuse, cette damnée romancière irlandaise déploie ses charmes comme un puits sans fond dans lequel on se jette sans réfléchir…
C’est en tant que blogueuse sur l’irrévérencieux « Arse End of Irland » que votre talent littéraire se fit connaître. Pouvez-vous nous parler un peu de ce temps ?
J’ai commencé à écrire au travers de mon blog « Le trou du cul de l’Irlande » parce que c’est là que je vis, au milieu de nulle part. Un endroit très rural et plutôt pauvre en fait. Le point de départ de ce blog, c’était d’être en réaction contre une idée stupide mais pourtant officielle propagée à l’époque par tous les journaux pérorant au sujet d’une prétendue prospérité de l’Irlande. En vérité, tout ce fatras de commentaires qu’on a pu lire sur le développement technologique de l’Irlande, les investissements commerciaux, l’argent et les maisons secondaires en Europe… tout ça ne concernait pas ma communauté mais celle de Dublin.
Je voulais traiter le sujet, avec beaucoup d’humour noir et de railleries, comme l’ont toujours fait les Irlandais d’ailleurs ! On aime rire face aux problèmes, s’en moquer. Et je pense que c’est de là que je tiens mon style.
Mais entre rédiger des billets sur blog et écrire un roman, il y a un monde quand même non ?
J’ai toujours voulu écrire de la fiction, en fait j’en ai écrit plein mais c’était très mauvais (rire). J’étais jeune !! Et puis Kevin Barry (auteur irlandais) est arrivé sur le devant de la scène. Il mettait en place une anthologie de nouvelles. Il avait lu mon blog. Il m’a donc envoyé un email de Londres et m’a dit : « Je vous veux dans mon bouquin, envoyez-moi donc une de vos nouvelles si vous écrivez de la fiction». J’avais pas grand chose sous la plume, c’est à dire absolument rien. Alors je me suis mise à plancher, je lui ai envoyé un texte et il a aimé. Ma nouvelle a été publiée, puis un agent est venu pour me représenter et s’occuper de ma carrière naissante.
Et il est arrivé avec quoi cet homme ?
Une très bonne idée en tête : me faire écrire un roman. Il m’a demandé si j’avais un projet à l’esprit. Je lui ai vaguement répondu « Peut-être deux trois trucs, par-ci par-là ». Il m’a dit : « Très bien, tu as six mois pour me présenter ton oeuvre». Et là ça a été la panique !! (rire). Toute les Hérésies sont issues d’un processus de création sous panique contrôlée !
Ha bah ça a plutôt bien marché ! Mais alors, comment l’histoire est-elle venue finalement, plutôt des personnages, d’une ébauche d’intrigue sous-jacente ?
Oui, tout vient des personnages. Il y a pas mal de monde dans mon crâne en fait. Des personnages que j’ai créés depuis des années, et pour lesquels je cherchais une intrigue où les faire coller. Tout a commencé avec le personnage de Maureen, l’image de ce crime odieux qu’elle a pu commettre et cette ombre qui rôde… puis Ryan, qui existait déjà depuis très longtemps en moi, est venu. Tony et les autres sont finalement arrivés avec leurs propres histoires la rejoindre.
Il y a-t-il un de ces personnages auquel vous êtes plus particulièrement attachée d’ailleurs ?
Probablement Ryan, parce qu’il est le plus jeune. Et je reste persuadée qu’il a une chance de changer sa vie ; s’il trouve le bon guide. Je ne suis pas sûre que Tony ou Georgie le puissent par exemple, même s’ils restent très attachants et très humains.
Justement, je trouve que c’est la très grande force de votre ouvrage : l’ambivalence des personnages, leur complexité et l’étrangeté de leurs contours les rendent particulièrement vrais. En fait, toute cette histoire pourrait ressembler à un conte noir et autobiographique.. Qu’en est-il exactement ?
Et bien non, je ne suis pas une meurtrière !! (rire) ni une camée, ni quoi que ce soit.. Bien évidemment, j’ai rencontré dans ma vie des gens aux parcours chaotiques qui ont pu avoir ce genre de déboires, comme faire de la prison par exemple. Je me suis intéressée à leurs histoires, j’ai cherché à comprendre leurs façons d’agir, leurs motivations et ce qui les a poussés à faire ces mauvais choix. J’ai senti l’importance de comprendre les gens, même si on n’approuve pas leurs fonctionnements. Ce n’est donc pas une catharsis, mais plutôt un hommage. Un profond désir de parler de l’Irlande, de Cork et de tous ces gens aux destins hasardeux.
J’ai cru comprendre qu’une des pistes de réflexion quant à l’origine de ces trajectoires vagabondes concernait la famille, ses relations distordues et parfois toxiques. Une des thématiques centrales de l’histoire !
Oui complètement. Ma famille en Irlande est assez inhabituelle, j’ai été élevée par mes grand-parents et je n’ai jamais connu mon père. C’est aussi pour ça que je n’ai jamais cherché à écrire des histoires de familles « normales » (un papa, une maman, deux enfants). Il y avait beaucoup d’amour et de soutien ceci dit, je m’entendais très bien avec ma mère et mes grands-parents, mais c’est cette structure familiale inhabituelle en un sens qui m’a amenée à écrire, à célébrer même cette étrangeté !
Ces bizarreries, ces vides, ces querelles familiales, ce sont des fondements de la personnalité. Même si ce sont les pires gens possibles, que vous les détestez : vous venez de là, ils vous ont crées ! On ne peut pas penser un personnage en oubliant d’où il vient.
Un autre sujet central avec lequel vous n’êtes pas tendre non plus, c’est la religion. On pourrait même dire que vous sortez l’artillerie lourde ! S’agit-il là d’un compte à rendre personnel, ou plus généralement d’une attitude typique irlandaise moderne ?
Oui c’est tout à fait ça. Et en même temps… repensant à Maureen, le personnage qui a clairement une dent contre l’Eglise, elle est un petit peu dépassée, hors du temps. Elle revient de quarante années d’exil en Angleterre et pense que l’Eglise a toujours le même pouvoir qu’à son départ. Et ce n’est pas le cas. L’Eglise catholique en Irlande maintenant, c’est surtout pour le décorum, pour faire des fêtes de familles et boire des coups. En fait, elle est complètement à la masse et c’est ça qui est drôle !
Après, il y a des raisons très claires à cette colère que vous avez pu ressentir dans le livre. Les effets de l’Eglise sont toujours là : en Irlande l’avortement est toujours interdit. Quelques soient les circonstances. Au niveau étatique, l’influence de l’Eglise est bien là, même si le peuple la délaisse. Elle possède toujours des terrains. Il y a beaucoup d’argent en jeu.
L’élection récente de Mr Vardakar alors, ça annonce un mouvement justement vers une remise en cause de ce pouvoir politique très traditionaliste ?
Oh là là non ! Je le déteste ! (rire) Il est complètement à droite ! Le fait qu’il soit gay et que sa famille soit d’origine indienne n’a aucune incidence sur ses positions ultra-conservatrices. Il y a deux ans, le peuple irlandais est allé voter en faveur du mariage gay. Toutes générations confondues. Et là, oui, on a pu sentir un désir de s’affranchir des positions traditionnelles de l’Eglise. Mais au niveau politique, c’est toujours les mêmes qui tirent les ficelles : des conservateurs.
Et au niveau du futur des « Hérésies Glorieuses », quelles sont les perspectives alors ? J’ai vu qu’il y a avait une suite « The Blood Miracles » ainsi qu’une adaptation télévisuelle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Oui, le deuxième volume arrivera en France dans quelques années toujours aux éditions Joëlle Losfeld. On retrouvera Ryan dans une histoire de trafic de drogues connecté à la mafia italienne et celle de Naples notamment…
En fait, j’ai pensé toute cette histoire comme un triptyque : Sex, Drug and Rock n’Roll !! Le premier volume, les « Hérésies Glorieuses» c’est Sex. Je l’ai imaginé avec beaucoup de personnages. Puis vient Drug, avec « The Blood Miracles », qui se recentre autour du personnage de Ryan. Le troisième, en cours d’écriture, ce sera donc Rock n’Roll : de nouveau avec beaucoup de personnages qui se télescopent.
Pour la série télé, c’est très excitant. Je croise les doigts ! Les droits ont été achetés. J’ai réécrit l’adaptation qui concerne surtout l’histoire des Hérésies. Les personnes qui sont derrière le projet sont plutôt sérieuses : le directeur est Julian Farino, il a réalisé tout un tas de films cools et de documentaires undergrounds. Il est surtout connu pour la série « Entourage » et il a même tourné des épisodes de « Sex and the city » ! (rire). J’espère qu’on trouvera des jeunes acteurs avec le vrai accent de Cork ! Je pense qu’on a besoin de se renouveler en Irlande, un peu comme ce qui a été fait pour la série Gomorra.
Espérons que ce projet vous fera honneur ! Merci beaucoup pour votre gentillesse Lisa, ce fut vraiment un plaisir d’avoir cette conversation avec vous. Pour finir, j’aurais deux petites questions rituelles : si vous aviez un son à nous proposer pour illustrer les Hérésies, quel serait-il ? Avez-vous aussi un livre à nous recommander que vous avez particulièrement aimé récemment ?
Et la douce de nous lâcher un bon vieux « No Oath, no Spell » de Murder by Death, accompagné du très intéressant premier roman de David Keenan « This is Memorial Device » sur un imaginaire groupe post-punk écossais pris dans le maelström des 80’s (non traduit à ma connaissance).
On trouvera par contre (et au passage), en français, « England Hidden’s Reverse » du même auteur, témoignage pour le coup authentique et hors-norme sur la scène post-industrielle de Londres aux excellentes éditions du Camion Blanc de Sébastien Raizer (dont une nouvelle interview arrive à grand pas dans nos colonnes).
Un grand merci également à l’inaltérable Christelle Mata sans qui cette interview ne serait pas.
Propos recueillis par Wangobi. Juin 2017.
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