« C’est une grande aventure, comme il en arrive une fois dans une vie d’éditeur: créer un univers à partir d’une page blanche. »
Il est de retour. Aurélien Masson, ex-boss de la Série Noire repart à l’aventure en créant une nouvelle collection EquinoX aux éditions les Arènes. Elle débarque chez votre libraire le 21 mars.
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Personne ne s’y attendait vraiment, pourquoi avoir quitté la SN et Gallimard ?
C’est une question très française, nous ne sommes pas les champions des changements et de le réinvention de soi. Je suis entré à la Série Noire comme lecteur en juin 2000, je l’ai dirigée de 2004 à 2017…je pense que 17 ans dans un même lieu c’est déjà bien non?
N’as-tu pas peur d’être associé longtemps à la SN ?
C’est une drôle de question, non seulement je n’ai pas peur mais en plus il n’y a rien infamant à porter cet héritage Série Noire, j’en suis même très fier sinon je n’y serais pas resté…
Concernant toujours la SN, y a-t-il des auteurs que tu aurais voulu éditer et que tu n’as pas pu faire par manque de temps ou par des problèmes de financement?
Je n’aime pas les regrets, ça fait du sang noir et après on pourrit de l’intérieur. Donc non pas de regret.
Que retiendras-tu de ton passage d’une dizaine d’années chez Gallimard ?
Bon d’abord c’est 17 ans pas 10 ans, c’ est pas pareil….on se sera bien marré…au début des années 2000 la Série Noire était dans une situation complexe et ne suscitait plus autant le désir…Quand Raynal s’est barré y a que Pécherot et Férey qui sont restés…Personne ne nous attendait, on était sous le radar et on défourraillait dans toutes les directions…avec le temps nous avons eu quelques succès et d’un coup l’aventure est devenue plus sérieuse. Pour reprendre Ravalec ces 17 années furent un « pur moment de rock’n roll », vite et fort, comme si on allait mourir demain…Lemmy sors de ce corps…
Le choix de ta nouvelle maison a beaucoup surpris tout en sortant de l’ombre une maison peu connue des amateurs de polars, pourquoi les Arènes?
Ce qui a tout décidé c’est d’abord ma rencontre avec Laurent Beccaria avec qui le contact est tout de suite passé. Je lisais XXI et je me suis très vite mis à rêver à EquinoX comme le pendant « fictionnel » du travail de défrichage du réel opéré par XXI. Et puis j’ai beaucoup aimé l’idée de sortir d’une page blanche. On m’avait proposé de reprendre des collections déjà existantes mais bon je dois avouer qu’après la SN, c’était impossible. Le seul moyen de quitter la SN était de sauter clairement dans l’inconnu. Comme dirait Raizer « face au gouffre un pas en avant ».
Qu’a fait Aurélien Masson depuis son départ de Gallimard?
Vous allez avoir droit à une réponse ultra-originale. Depuis mon départ en mai 2017 de la SN et ben j’ai lu des livres, des manuscrits, j’ai rencontré des auteurs, des confirmés, des débutants…On repart au combat, tout est à faire, le ciel est la limite (et le caniveau). Et depuis le mois de janvier je fais la tournée des libraires avec les représentants histoire d’incarner au maximum EquinoX que les gens comprennent qu’il ne s’agit pas d’une énième collection de polars mais de la prolongation amplifiée de ce que je fais depuis 17 ans.
La rumeur dit déjà que c’est l’influence de la trilogie de Sébastien Raizer qui a dicté ton choix, pourquoi as-tu nommé cette nouvelle collection EquinoX?
Et ben désolé de vous dire que c’est une pure et simple rumeur. J’aime beaucoup Sébastien avec qui j’ai fait une superbe trilogie qui n’a malheureusement pas trouvé son public, mais je connaissais le mot « équinoxe » bien avant…déjà gamin je rêvais de créer un label de musique qui se serait appelé EquinoX.
Qu’as-tu à répondre à ceux qui déclarent (aboient) déjà que tu es en train de monter une SN bis?
Les rumeurs, les aboiements, je vois que l’ambiance est bonne et bienveillante…J’avoue ne pas très bien comprendre la question. J ai bossé à la SN 17ans et je l’ai dirigée 13 ans, donc évidemment que je ne vais pas devenir un autre. Je défends une vision organique de l’édition, faite de hasards, de rencontres. J’ai toujours été affectif donc bien sûr j’ai toujours envie de bosser avec ceux que j’ai aimés et dans le même temps on continue de lire des manuscrits et on continue à rêver les yeux ouverts. Là, 5 personnes sont en train de travailler sur des livres qui ne seront pas finis avant 2020. Et puis la Série Noire Bis est une drôle d’expression: de quelle Série Noire parlons-nous? Celle de Duhamel ? Celle de Soulat et Mounier? Celle de Raynal? La période où je l’ai dirigée? Ou la nouvelle SN de Delestré et Aubert?
Encore une fois ce qui compte ce sont les livres et les chocs qu’ils créent en nous. Quand on me demande quelle est la ligne, je réponds en citant Albert Londres « la seule ligne c’est la ligne de chemins de fer ». Et je pense que d’ici quelques années cette question ne se posera plus, là c’est sûr que pendant un an ou deux la SN va publier certains textes que j’ai choisis (tout comme j’avais publié des textes de Raynal à son départ).
Quel est le contenu de cette première « saison » d’ EquinoX? De nouveaux auteurs, des confirmés, des étrangers ? Qu’est-ce qui dicte tes choix éditoriaux?
Cette année nous publierons 9 textes. 4 romans en grand format, 4 romans d’un format court et un recueil de poèmes!! L’idée est d’avoir deux formats afin de ne rien s’interdire. Il n’y a rien de plus déprimant que de se faire entendre dire, quand on est auteur, « j adore votre texte mais il est trop court ».
Dans les grands formats nous allons retrouver Dominique Manotti avec Racket qui nous décrit les coulisses machiavéliques du rachat d’Alstom par General Electric, en lisant ce livre on pense à la citation de Mao « le poisson pourrit par la tête ».
En mai il y aura le nouveau livre de Benoît Philippon Mamie Luger qui nous décrit la garde à vue d’une auvergnate centenaire au sang chaud dont on vient de trouver 7 cadavres dans sa cave, humour noir garanti. En octobre, Patrick Delperdange revient avec L’éternité n’est pas pour nous qui confirme la proximité esthétique de cet auteur belge avec des auteurs américains comme Larry Brown. Un livre à la fois noir et tendre qui vous froissera le coeur. Et enfin en octobre nous publierons Présumé disparue de Susie Steiner, premier roman d’une jeune auteure anglaise et le début d’une série centrée autour d’une femme flic célibataire haute en couleurs (le second sera publié en octobre 2019).
Les textes courts, vous le verrez en les lisant, sont des textes coup de poing suffisamment forts de par leur sujet et/ou leur parti-pris stylistique pour que nous n’ayons pas besoin de plus. Le bal s’ouvre avec Un feu dans la Plaine, premier roman d’un jeune français, vous décrit l’errance hallucinée d’un jeune prolétaire dans une France tétanisée et fracturée gavée discours politiques rances. Le genre de livre qui vous fait vous sentir moins seul face à la folie du monde. Le mois suivant arrive Ceci est mon corps de Patrick Michael Finn dont c’est le premier roman publié en France et qui nous décrit un vendredi saint dans une ville ouvrière américaine où une bande d’adolescents est laissée seule à elle-même pour le meilleur et pour le pire. Ce livre est une sorte de rencontre monstrueuse entre Sa majesté des mouches et la première partie de Voyage au bout de l’enfer. Une révélation… En septembre nous publierons le nouveau roman de Sylvain Kermici, Requiem pour Miranda, un livre âpre qui vous prend au tripes et vous hante et qui décrit en 60 pages la séquestration d’une femme par deux tueurs en série. Nous ne sommes pas ici dans la fascination du tueur, tout au contraire, l’auteur nous place à la hauteur de la victime et des bourreaux et nous fait plonger dans les méandres de la psyché humaine. En novembre ce sera le tour de Jedidiah Ayres avec Les féroces, roman sec et nerveux qui nous décrit la révolte sans pitié d’un groupe de prostituées mexicaines maintenues en détention dans le désert. Fils de pasteur texan, amateur de romans noirs, de rock n roll et Peckinpah, Jedidiah va faire parler de lui dans les prochaines années.
Et enfin pour finir en beauté, beauté crépusculaire mais beauté quand même, nous éditerons au sein d’EquinoX le recueil posthume de poèmes d’Hervé Prudon. Prudon était un ami, je l’appelais mon papa des étoiles car il avait toujours l’air d’avoir la tête perdue dans le cosmos. Les deux derniers mois de son existence, Hervé a noirci quelques pages dans différents carnets. Sa femme, Sylvie Péju, les a retranscrits avant de me les confier. Vous verrez, c’est fort et hanté, ça sort des clous, bref c’est du Hervé Prudon, jamais à sa place et c’est tant mieux…
Quel est le roman qu’il ne faudra surtout pas rater cette année, perso, j’ai repéré « les féroces », très bien critiqué aux USA?
Ouhh la vilaine question, un papa aime tous ses enfants donc aucun favoritisme mais bon d’après ce que tu viens de dire et te connaissant, je ne peux que te conseiller de lire Ceci est mon corps de Patrick Michael Finn, tu vas te prendre une sacrée baffe et en plus c’ est admirablement traduit. Mais une fois lu, il faudra passer aux autres hein…
Propos recueillis par mail le 6 mars. Sincères remerciements à Aurélien Masson pour sa disponibilité et bonne chance à EquinoX.
Wollanup.
merci pour l’interview, le programme donne très envie!
Merci à toi. Manotti pour démarrer, royal !